[Récit + liste] 52j, 8600km, tous transports: Europe Nord et Centrale

jeanjacques · 08-10-2014 23:55:34

Myrtille88 a écrit :

on imagine bien les différentes scènes, et les personnages qui vont avec

Ouep, j'aime bien aussi le ton de ce récit Et comme ma connexion est trop faible pour afficher les photos rapidement, souvent j'ai fini le texte avant de voir les photos, cela laisse une part d'imagination encore plus grande

Iksarfighter · 09-10-2014 10:03:14

Tu as payé deux fois l'entrée au Nordkapp Senter ou bien tu as réussi à feinter un peu ?

Caroline73 · 09-10-2014 13:02:31

Tu veux dire quand j'y suis retournée le lendemain? Non j'ai rien repayé, vu que j'étais à pied. J'ai pas tout saisi mais c'est les véhicules motorisés qui payent un truc non? J'aurais bien été revoir le petit film aussi du coup, mais y avait trop de monde, à cause de l'Hurtigruten.

Ouep, j'aime bien aussi le ton de ce récit

Merci ^^ j'ai un peu l'impression que ça fait Caroline au pays des bisounours, tellement je m'extasie sur tout, mais c'est vraiment ce que j'ai ressenti: l'impression de pouvoir m'ouvrir sereinement à tout ce que les pays traversés pouvaient proposer. Je n'ai jamais ressenti la moindre énergie négative, pas que tout était facile, loin de là, mais rien n'a été hostile. Je pense que maintenant j'aurais du mal à partir plus d'une semaine avec des personnes. Quand je vois comme j'ai eut du mal à trouver mon rythme en Islande où nous étions 4... je me dis que seule j'aurais put plus facilement m'adapter. Pourtant je me plait en groupe et j'y trouve d'autres plaisirs, mais globalement le voyage solo me semble une manière plus sereine et naturelle de voyager. Mais ça vient surement beaucoup de moi, quand je pars avec des personnes, c'est quasi toujours moi qui ai tout organisé et supervisé, du coup je me sens responsable un peu de tout. Quel pied de n'être responsable que de soi-même. Ça et du bon matériel, du bon matos bien adapté à mes besoins ça change la vie aussi...

Caroline73 · 09-10-2014 17:03:51

Quatrième partie: Le cœur sauvage de la Laponie, Nordkalottruta de Kautokeino à Kilpisjarvi

Le bus me pose en plein Alta, et Alta c'est très grand (et c'est pas très joli, surtout quand il fait gris), pas envie de me taper des bornes et des bornes pour sortir de la ville trouver un bivouac, tout ça pour revenir demain. J'aurais bien été voir le musée mais ça sera pour une prochaine fois, ça doit être à perpet et bien chiant à organiser pour y aller. Puis des bus pour Kautokeino il y en a un par jour et encore... Coup de chance celui d'aujourd'hui est dans 40 minutes. Juste le temps de faire mon ravitaillement au pas de course pour les 10 prochains jours au supermarché le plus proche. Le bus est un mini bus qui ne conduit que des locaux, nous sommes seulement 5, que des gens qui semblent connaitre le chauffeur: un étudiant, une sami et un couple âgé. Deux heures de route et ça donne déjà le ton, il ne semble y avoir qu'une immense forêt et pas grand chose d'autre par ici. A Kautokeino je trouve en longeant les pistes de motoneige un coin discret où poser le tipi, ça fera l'affaire pour la nuit.

J20 - 17 juin - Le début

12h45, je suis enfin sur le bon chemin! Ça aurait put commencer plus tôt mais le début de la Nordka c'est vraiment pas le truc facile à trouver. Le personnel de l'hôtel sami (mais qu'est ce qui n'est pas sami dans ce coin? A Kautokeino on croise des gens en quad habillés du costume bleu traditionnel, y a des tipis partout et tous les panneaux sont en sami) à 50 mètres du départ n'a pas sut me l'indiquer. "Il faut attendre les locaux..." Les locaux? Mais tu fais jamais 50 mètres autour du bâtiment? Il y a un panneau fléché au bord du lac... Pour en arriver là, en quittant mon bout de forêt près des pistes de motoneige je me suis d'abord dirigée avec ma carte, mais je trouvais tellement rien que j'ai fait demi tour pour retourner à l’hôtel qui sert d'info tourisme, pour apprendre que j'étais sur le bon chemin... (enfin, en le déduisant moi-même en lisant la carte affichée dans l'entrée car bien entendu personne ne connait la Nordka. Pas que ça m’ait surprise, je le savais par les récits que j'avais lu que rien n'était connu ni indiqué) Arrivée au petit hôtel sami je furette autour, grattouille le museau d'un rêne très amical puis rentre discuter avec le personnel. "C'est où la Nordka?" "Faut demander à l'info tourisme. A l'hôtel en ville." J'ai faillit rire. Je me suis retenue. Parce qu'ils étaient gentils quand même les gens, à vouloir m'aider...

C'est pas très joli Kautokeino...

Le premier panneau

Le début du chemin...

Derrière moi...

Je marche 3 heures avant de m'arrêter pour la nuit car il commence à pleuvoir franchement. Et j'en ai soupé des marécages. Leur ambiance morne et immobile a quelque chose d'hypnotisant. Mais c'est plutôt fatiguant a traverser, souvent je patauge, parfois il y a des troncs glissants à moitié submergés qui servent de pont que je traverse en équilibre. J'ai du mal à rentrer dans le truc, je ne sais pas bien à quoi m'attendre. Des fois ça va. Des fois non. J'apprends à saisir l'environnement, les distances, faire coller le paysage avec la carte, les possibilités et les limites de mon équipement, les miennes, ma vitesse, les difficultés propres au terrain...

Au cœur du marécage

Chplock chplock...

Dernière modification par Caroline73 (09-10-2014 17:11:11)

Iksarfighter · 09-10-2014 19:45:57

Caroline73 a écrit :

Tu veux dire quand j'y suis retournée le lendemain? Non j'ai rien repayé, vu que j'étais à pied. J'ai pas tout saisi mais c'est les véhicules motorisés qui payent un truc non? J'aurais bien été revoir le petit film aussi du coup, mais y avait trop de monde, à cause de l'Hurtigruten.

Ah oui en effet ils ne sont pas tant requins que ça !!! Peut-être encore la mentalité norvégienne
" Free entrance :
We care about the environment and support sustainable
development. We encourage environmentally friendly
solutions by offering free entrance to visitors who arrive
by foot, bicycle or other non-motorised vehicles. "

Je ne le savais pas !

Dernière modification par Iksarfighter (09-10-2014 19:49:14)

Caroline73 · 10-10-2014 17:24:05

Leur pays est super cher, mais dans leur mentalité je les trouve réglo, plus réglo qu'en France. Par exemple le tunnel du Cap Nord est devenu gratuit en 2012 dès que les péages ont eut finit de rembourser le coût de construction, c'est pas en France que ça arriverait! (mais on est pas 5 millions et on a pas les même ressources naturelles) (et ce truc a des portes anti gel automatiques pour l'hiver, c'est dingue non?)

Caroline73 · 10-10-2014 17:48:15

J21 - 18 juin -

2h30 de marche après mon campement j’atteins Cunovuohppi déserte. Après avoir traversé de nombreux marécages je monte sensiblement et me trouve dans une zone plus montagneuse et plus sèche. La marche est facile, le temps reste beau et venteux. Le vent chasse les insectes et me rafraichit. Pendant que je marche je regarde les rênes et les oiseaux fuir devant moi. Un long moment je m'assois en haut dune colline venteuse pour contempler la Laponie, océan brun vert à perte de vue sur lequel danse les tâches de lumières du soleil qui se cache par moment. J'ai traversé mon premier gué aussi, avec les chaussures de surf et le surpantalon serré par un élastique c'est impeccable. Je ressens bien à quel point je suis seule et ne peut compter que sur moi ici, mais c'est loin d'être un sentiment désagréable. Quand je pose enfin le camp je me sens satisfaite, j'ai avancé d'une petite trentaine de kilomètres aujourd'hui. Je mange chaud (à part une soupe) pour la première fois depuis le camping de Svolvaer et ça aussi ça fait du bien.

Muleto · 10-10-2014 18:37:56

C'est juste magnifique...
Encore, encore !

Caroline73 · 13-10-2014 16:47:34

C'est juste magnifique...
Encore, encore !

J22 - 19 juin -

J'oscille entre optimisme: j'avance bien, je n'ai pas de réelles difficultés à faire les 25 bornes par jour, même si le terrain n'est pas très agréable les paysages et l'ambiance sont tripants, et un brin de déprime et de doutes: si il se met à faire moche pour de bon je vais prendre du retard, j'y arriverais pas.

Aujourd'hui j'ai eut un fort doute et un gros ras le bol. J'ai perdu 2h30 après la hutte de Raisjavri à trouver le bon chemin. Le balisage comme d'hab s'était fait la malle et la suite était loin d'être évidente à deviner avec ce terrain marécageux et détrempé. J'ai d'abord longé une route en faisant des allers retours au gré de mes hésitations, puis suivi un long chemin boueux, emprunté par des véhicules, qui finissait dans un gué... et pas une trace bien sûr. J'ai refait demi tour, devinant des vieilles marques de peinture au début de cette route boueuse je devais être sur le bon chemin, mais le gué était large, pas envie de le traverser pour rien... mais c'était ma seule option et celle qui ressemblait à la carte.

Après ce gué qui sera finalement plus facile qu'il en avait l'air et qui était plus une barrière psychologique qu'autre chose je me sens mieux. Il fait plutôt beau. Et lasse de mes chaussure trempées je garde les chaussures de surf pour continuer dans les marécages. C'est pas plus mal.

A la fin de mon étape je trouve un coin sympa, encore un peu à l'abri de la "forêt", la carte indique qu'après ça redevient pelé. Pas vu âme humaine depuis le début. Pourtant je vois des traces: voitures, habitations vides, enclos, clôtures, traces de roues... mais personne. On dirait un peu que l’endroit a été abandonné, je m'imagine qu'il ne reste plus que moi sur terre, comme dans un film de science fiction.

J23 - 20 juin -

Si un jour a fait basculer tout le voyage vers ce qu'il est devenu par la suite, c'est celui-là.

Le matin: un vent de fou, des averses de neige fondu, une visibilité merdique... Aujourd'hui je ne sors pas du tipi. Faut arrêter les conneries. Point. Je ne sors que pour replanter de temps en temps une sardine qui se barre à cause du vent. Plus exactement à cause du terrain de cailloux moussus qui les retiens mal. J'ai souvent le flemme de remettre mes chaussures trempées alors je sors en chaussettes, de toute manière elles sont trempées aussi. Et je rentre vite en grognant dans mon sac de couchage dans lequel je suis bien à comater en écoutant de la musique.

Mais au bout d'un moment, des heures à ne rien faire, je commence à me dire un truc. Non mais tu vas pas faire ça pendant encore un mois?? Cette grande lande pouilleuse, monotone et inhospitalière a un charme hypnotisant certain... mais un mois comme ça et je finis serial killer. Faut être sami pour s'imposer ça toute l'année. Je vais aller jusqu'à Kilpisjarvi. Et après je ne sais pas. Bien que j'ai passé de longues heures sur la préparation de ce voyage je m'étais dit dès le début que rien n'était fixe, que le maitre mot était de me faire plaisir, de découvrir des choses, d'être en adéquation avec moi-même.

Et qu'est-ce qui m'a le plus plut depuis le début du voyage? Les rencontres. Et dériver d'un endroit à un autre. J’achèterais une carte et suivrait... n'importe quoi. Je me sens tout décousue. Décousue dans ma tête, décousue dans mes actes. Mais j'ai toujours pensé qu'assumer ses états d'âmes et aller de l'avant était le meilleur moyen de vivre, alors allons y, assumons ce mois à venir qui peut prendre n'importe quel visage. Merde à mon billet d'avion retour. Merde aux plans tout faits.

Comme je prends cette décision le soleil se montre enfin, comme un signe, il dessine les branches sur la toile du tipi. C'est le solstice demain. Allongée sur le dos, je regarde la toile, presque ronde. Comme une toupie inversée. Tout est mouvement et bruit autour avec ce vent, tout tourne. Je suis au cœur immobile de la toupie, et pourtant tout tourne en moi autant qu'à l'extérieur. Comme un petit œil de cyclone à l'échelle de ma petite vie.

Le soleil est resté 10 minutes. Faut pas déconner non plus. Mais je m'en fous. Je rentre chez moi. Mais pas trop vite, j'ai le temps. Et chez moi c'est déjà ici de toute façon, puisque chez moi c'est moi-même.

J24 - 21 juin -

Prête à quitter le tipi. Il fait gris, il bruine, un peu de neige fondue, mais presque ps de vent. Selon les critères locaux il fait beau quoi! Je me tire. Faut que je bouge.

Bon... somme toute je passe plutôt une bonne journée. Ma mauvaise humeur ne peux pas rester longtemps dans un endroit à l'ambiance aussi unique. Je marche sous les légères averses de neige fondue et je ressens quelque chose d'à la fois apaisant et fortifiant, pas du tout de sentiment de solitude.

Pour la énième fois, au énième marécage, je perds encore le balisage... Et j'en ais un peu marre de ce balisage qui se barre à la moindre difficulté, marais ou rivière, bref, quand on a besoin de lui. J'ai tracé hors-sentier. On avait besoin de faire un break le balisage et moi. Une ligne électrique (pratique car entretenue et accessible en-dessous. Toujours selon les critères locaux) et une montagne c'est bien plus fiable et facile à suivre. Calculant où je devais le retrouver par rapport au paysage et à ma vitesse j'étais pile à l'heure pour le reprendre, mon ami le balisage. Je deviens bonne à ce jeu de cache cache.

Je rejoins le grande rivière, la Reisa. Je fais une pause à l'entrée des gorges en grignotant un stick de rêne séché devant une hutte. Je peux avancer encore d'une dizaine de kilomètres. Des ponts glissants, des passages câblés à flanc de falaises, des pont suspendus... on s’amuse par ici...

Je m'arrête finalement pour la nuit dans une petite cabane non gardée. Je feuillette le guest book, les cartes, m'allume une bougie. Pas beaucoup de messages en anglais mais les dates montrent qu'il y a peu de passage. Quelqu’un était ici il y a 3 jours. En longeant la rivière j'ai bien senti un feu et vu une tente sur les berges mais personne... tout semble si déserté.

A 21h j'entends... un moteur?! Vu que je dormais à moitié en attendant que mes nouilles soient prêtes mes premières pensées sont incohérentes. Qu'est ce qui peut rouler ici? On passe à peine à pied! Un scooter? (pensée débile...) puis ça fait tilt. Un bateau! Qui s'arrête devant la cabane, qui est tout au bord de l'eau. J'entends des pas jusqu'à la porte, je sors car j'ai bloqué la porte. Le gars me regarde. Je le regarde. Il est surpris. Moi aussi. Juste parce que ça fait 5 jours que je n'ai vu personne. Ça fait un peu bizarre. On dit quoi à la première personne qu'on voit après 5 jours? Je dirais bien quelque chose de spécial, mais je crois que... je n'ai juste rien à dire.

Ils sont deux, des gardes du parc qui font la tournée des cabanes avant l'ouverture de la pêche la semaine prochaine pour tout vérifier. Je discute avec le gars qui a envie de tailler une bavette pendant que son pote, du style ours, attend au pied de leur longue barque à moteur en scrutant les falaises aux jumelles à la recherche d'aigle des mers.

Il me parle de tout et de rien, du parc, de la faune, des samis qui sont sur le côte à cette époque... ça le fait marrer que j'ai traité l'eau. L'eau est potable en Norvège! Y a rien de dangereux en Norvège (le pays des bisounours la Scandinavie j'vous dis!). Et aussi il n'est pas le premier norvégien que ça fait rire que tout le monde aille au Cap Nord, c'est un truc à touristes, pour eux c'est un caillou comme les autres, un peu plus au nord que les autres. C'est comme ça dans tous les pays. Par exemple ce grand truc métallique encombrant et moche au milieu de son nuage de pollution qu'on appelle Tour Eiffel... bah pourtant c'est toujours: "Ah! France! C'est Paris, Tour Eiffel!!" (existe la variante: Ah! La France, le sud, le vin et le soleil!!)

Il a l'air de me trouver plutôt "cool" d'être là toute seule, il finit par me souhaiter bonne nuit et m'inviter à prendre un café demain matin si ils sont encore à leur hutte.

J25 - 22 juin -

J'ai quitté les bords de la Reisa aujourd'hui après l'avoir suivie plus de 30 kilomètres. J'ai vu un peu plus de monde. Mes gardes d'abord, vers 12h30, quand j'ai entendu le bruit caractéristique de leur barque. Je me suis postée sur une plage et les ais attendu. On a encore discuté un brin, de ce que mangent les aigles, de la façon de compter les wolverines, du problèmes des loups et des troupeaux samis, le même problème que dans les Alpes au fond, de leur métier de garde qu'ils aiment car ils ont peu de contraintes... ils m'ont montré le vol des aigles des mers qui nous survolaient.

J'ai un peu bataillé pour suivre la rivière. Entre pierriers, vase, torrents à gué... parfois il y a des ponts, c'est rare, sinon des branches, des troncs, des "ponts" submergés, ou rien. Le temps est resté invariablement gris, mais ce n'est pas plus mal, s'il s’était mis à faire beau j'aurais eut droit aux moustiques.

Sur la fin je croise un gars en vélo, il est plus de 17h30. Il me demande si c'est la direction de la chute d'eau de Mollis. "Euh... oui... c'est par là..." J'essaye de rassembler mes esprits tellement la question m'a surprise, pour lui expliquer que j'y étais à 11h ce matin et que je ne vois pas comment il peut passer avec un vélo... mais il était déjà parti -_-

Mollis vu d'en haut et quand il fait beau

Mollis

Arrivée à Salvaev j'ai enfin du réseau, je peux enfin donner des nouvelles. J'appelle même mon conjoint. Je lui parle succinctement des mes plans pour la suite. Enfin des plans... Le garde ce matin m'a demandé: "Tu vas où après Kilpisjarvi?" "Je ne sais pas. Je vais peut-être rester un but en Finlande. Descendre vers le sud en stop. Je ne sais pas." "C'est un bon plan ça" m'a-t-il répondu en riant.

Je grimpe pour commencer à m'extraire des gorges et m'arrête dès que ça s'aplanit et qu’un bon coin de bivouac se dessine. La toundra, les bouleaux, un lac vaguement marécageux, un troupeau de rênes... on ne peut plus lapon comme bivouac. Les oiseaux chantent tout le temps et le ciel est d'un blanc de papier qui cache le soleil à n'importe quelle heure. Je ne sais plus où est le soleil, je ne peux même pas le deviner, les oiseaux chantent comme si on était le matin alors qu'il est 22h. Je reste debout devant mon tipi longuement. Puis mets mes boules kies et le tête dans mon duvet. Rêves agités encore une fois.

Dernière modification par Caroline73 (14-10-2014 10:09:12)

Caroline73 · 13-10-2014 17:41:49

J26 - 23 juin -

Ben ça alors... du soleil, pour mon dernier jour en Norvège. Fait chaud sous la toile. Je sors la tête du tipi. Juste quelques bouts de ciel bleu en fait. Et après on l'a plus revu. Mais c'était sympa de passer!

Aujourd'hui je m'enfonce dans de grands paysages bicolores absolument silencieux. J'ai d'abord poussé quelques troupeaux de rênes devant moi, mais quand la neige a affirmé sa présence et que la végétation s'est raréfiée ils sont restés en arrière. Et moi j'ai continué.

Et ces paysages c'est comme s'ils vous happaient, vous auriez vite fait d'oublier que vous existez. Je conseille à tout le monde quelques jours d'autonomie par an au-delà du cercle arctique. Très efficace pour laver le cerveau. Mais pas trop... parce que c'est vite usant pour les nerfs. C'est beau ces nappes qui se mélangent et se dessinent... à traverser c'est la misère. Le brun noir c'est de la lande marécageuse, le blanc de la neige mouillée... avec de la lande marécageuse en-dessous. Je me suis arrêtée un long instant pour essorer mes chaussettes (bien inutile). Je suis à 10 kilomètres de la frontière. Le balisage s’est encore fait la malle à un moment ou un autre sous un névé...

Contente de poser le tipi. Longue journée fatigante. Je suis encore à 4 ou 5 kilomètres de la frontière mais tant pis. Je me fais des nouilles et déguste du chocolat avec une infusion bien chaude. Ce bivouac doit gagner la palme du bivouac le plus isolé et désolé du voyage. On dirait la fin du monde ici, ça me fait pensé au Waste Land du poème de T.S.Eliot. Et pourtant toujours cette beauté, ce calme, ce drôle de sentiment de ne pas être seule difficile à décrire. Le premier humain doit être à 40 ou 50 kilomètres environ...

J27 - 24 juin -

Enfin une belle journée! A la cabane près du lac et de la frontière j'ai croisé 3 samis en quad. Ils ne parlaient pas anglais bien sûr. J'ai donc compris par signes qu'ils étaient samis, qu'ils avaient des rênes et que la frontière est par là... et eux ont compris que je venais de Kautokeino, que j'allais à Kilpisjarvi, que j'étais française ("Aaaah, Paris!"), que j'avais vu leurs rênes et que j'avais dormi aux lacs. Pas mal déjà!

J'atteins la frontière. Au revoir belle Norvège. Je m'allonge sur le dos sur le tertre qui matérialise la frontière. Calée contre la dalle, les jambes pendant en Norvège. Le soleil se montre, je tourne mon visage vers le ciel et ferme les yeux. C'est trop bon. Il n'y a que le bruit de l'eau, le très léger vent, le bruit des oiseaux. Tout est si silencieux que j’entends le battement des ailes des grands oiseaux qui passent près de moi et me font ouvrir les yeux. J'apprécie ces premiers instants en Finlande.

La frontière finlandaise

Une journée longue, rude, neige pourrie et gros pierriers au programme, passage sous les clôtures de rênes, village sami au milieu de nul part totalement désert... 11h30 pour faire 30 kilomètres. J'ai tracé pas mal hors sentier. Le balisage consiste ici en petits bâtons de bois gris aux bouts peints en orange... dans les pierriers gris et la lande rousse c'est une riche idée! Je préfère les pierriers à la neige, mais ça n'avance pas plus vite. Mais tout ça ne suffit pas à me faire changer d'avis, c'était une belle journée!

Je finis cette journée à l'extérieur d'une petite cabane à me faire à manger, sac de couchage sur les épaules, regardant le soleil qui ne se couche toujours pas depuis 1 mois alors qu'il est presque minuit. J'ai atteins la première cabane qui était mon objectif. Fermée. M'a pris les nerfs, j'ai tracé vers l'autre cabane que je voyais sur la carte à 2 kilomètres, mais tracé tout droit, pas la patience de prendre le pont, j'ai traversé à l'arrache à gué sans même enlever mes chaussures (c'est pas très profond, en jouant à saute cailloux sans se poser trop de questions ça passe). Une femme y dormait déjà, je l'ai laissée dormir et suis restée dehors pour manger, il ne fait pas bien froid.

J28 - 25 juin -

Journée harassante. Je jette l'éponge peu avant 22h, à 3 kilomètres de Kilpisjarvi. Encore 12h30 de marche aujourd'hui, ça fait 2 grosses journées. Je me suis encore retrouvée à brasser de la neige mouillée et des pierriers tout mon soûl. Si j'avançais moins vite je reculais.

J'ai croisé en tout 5 randonneurs aujourd'hui, en plus de la femme de cette nuit, tous plutôt proches de Kilpisjarvi. Leur arracher un bonjour ou même un regard relève de l'exploit. Sont coincés les finlandais ou quoi? Ces premières rencontres me laissent pleine de questions. J'ai envie de comprendre.

Sinon il m'est arrivé un truc qui traduit bien dans quel état je suis. Le soleil faisait du bien, je marchais lentement dans la neige, sans penser à grand chose, comme un zombie. Les paysages se ressemblaient, je venais 1 heure avant de passer une cabane où un autre randonneur faisait une pause, laissant sécher ses chaussettes sur la balustrade. Fatiguée, je décide de m'arrêter un peu, un petit coin de mousse sèche et le soleil si bon, je décrète une sieste! Puis je repars après environ 3/4 d'heure... j emarche une autre heure et soudain devant moi une cabane. Et je me dis: 'tain, elles se ressemblent toutes les cabanes dans le coin. Et y a même les même chaussettes sur la balustrade... et le même panneau... mais... bordel, c'est la même cabane!! Et je me souviens qu'à ce moment ça me paraissait tellement aberrant, j'avais tellement pas envie d’assimiler cette information, que le premier truc auquel j'ai pensé c'est pas que j'avais fait demi-tour, mais que j'étais coincée dans une boucle temporelle façon X-Files... Oui, j'suis un peu un cas social, et oui, en fait j'avais juste fait demi tour sans m'en rendre compte. Pendant 1h! Sans voir que la rivière que je longeais et qui était à ma gauche se retrouvait depuis 1 heure à ma droite... Allez, 2 heures de perdues et 10 kilomètres pour rien. J'ai préféré ne pas y penser, repartir direct sans faire de pause, et occulter ce qui venait d'arriver. Négation totale de la réalité. Très mature comme comportement...

J29 - 26 juin -

Aujourd'hui je ne suis bonne à rien physiquement. Le moindre effort me coûte et m'essouffle. J'ai constamment de douloureuses crampes aux mains depuis que je suis au camping. J'ai atteins Kilpisjarvi à 12h. Et j'ai enfin capté que la Finlande avait une heure de décalage horaire avec la Norvège. Le Visitor Center m'a bien aidée (ils ont fait des yeux énormes quand je leur ais dit que je venais de Kautokeino!), j'ai des infos sur l'hébergement, les magasins, les bus... Au seul magasin du bled je fais mes courses, j'étais au bout du bout de mon ravitaillement, et j'achète une carte du pays. Puis je marche jusqu’au camping, qui comme d’habitude est à perpet, encore 5 kilomètres avec mes gros sacs de courses. Je plante la tente, me douche, mange une viennoiserie à la cantine en regardant la carte, je lave mes vêtements, je cuisine et je mange, je charge mes appareils et me fais une liste sur mon Ipod pour le bus de demain. J'aime énormément ces petites choses quotidiennes: une douche, une couette, écouter de la musique, manger du chocolat, regarder le ciel, sentir le soleil... toutes ces choses qu'on peut faire presque partout. Faire le sudoku au dos du paquet de soupe en poudre...

C'est la fin de 10 jours et 200 kilomètres avec les pieds mouillés non stop. Merci les chaussettes en merinos. Et je n'avais pas pris une douche depuis 13 jours! Mes cheveux sont une cause perdue... même en les lavant trois fois!

J30 - 27 juin -

Je me suis levée assez tôt pour prendre une autre douche, petit déjeuner dans ma tente, puis re-petit déjeuner à la cantine. J'ai demandé à l’accueil quel était le meilleur endroit pour m'arrêter. Le fille m'indique les endroits les plus peuplés donc les plus difficiles pour le stop. A moitié arbitrairement je choisis Pudasjarvi. Ça sera mon seul bus avant de continuer en stop, mais il durera toute la journée. Arrivée prévue à 20h. Environ. Alors que j’attends devant le camping la fille de l’accueil vient me prévenir que le bus aura sans doute du retard. Je rigole un peu.

Le bus long courrier est presque vide, je trouve le nom de la compagnie musical: Lapin Linjat. Ma playlist préparée la veille de 120 chansons me fera la voyage.

Le même lac que celui du tableau de la photo suivante

Dernière modification par Caroline73 (14-10-2014 13:20:38)

kodiak · 13-10-2014 19:32:57

C'est assez drôle sans les textes. On se prend a essayer d'imaginer ce qui s'est passé entre 2 photos...

Myrtille88 · 13-10-2014 21:21:41

Je n'imaginais pas les paysages de la Laponie aussi variés

Très belles photos, qui rendent bien l'immensité mais elles attendent ton discours

j'aime bien quand tu dis "quel pied de n'être responsable que de soi-même", j'ai le même sentiment, cette absence d'obligation apporte de la quiétude et permet d'être très proche de la nature.

Ta capacité à s'émerveiller est un vrai privilège, une chance que tu peux préserver, et cela ne fait pas "Caroline au pays des Bisounours" .
Tu sembles à la fois découvrir tout en étant déjà très proche des lieux comme si tu leur appartenais.
J'aime ces moments aussi où tu t'assoies dans des lieux du quotidien et regarde les gens aller et venir, tu es à la fois voyageuse et norvégienne, et du coup nous lecteur on fait comme toi on regarde les gens aussi (sans les voir vraiment )

J'imagine que les moments passés au Cap Nord ont dû être très forts. Ca n'est pas banal de bivouaquer là. En fait on pourrait croire que les paysages du Cap ne sont pas nouveaux mais en fait c'est sûrement très différent par la lumière, l'odeur et le son peut-être (?), et aussi par le fait d'imaginer d'être presque au pôle,
enfin je ne sais pas vraiment...

C'est agréable d'apprendre que mes récits te plaisent, ce partage est très enrichissant pour chacun.

Caroline73 · 14-10-2014 13:20:07

Ouf! C'est fait! C'était pas une mince affaire.

Merci Myrtille!

Tu as raison, en bivouaquant au Cap Nord j'ai trouvé que c'était quelque chose dans le bruit qui était différent. Dans le bruit du vent. Je me fais peut-être des idées mais l'espace est tellement grand, et il n'y a tellement rien devant nous qu'on dirait que le vent vient "frapper" la terre après un long voyage.

Bon bah ça sera tout avant la mi-novembre. Jeudi matin je décolle pour mes premiers pas en Asie, 4 semaines, toujours solo, mais pas de rando cette fois, juste envie de découvrir autre chose. Pratique, sans le matos de bivouac toutes mes affaires tiennent dans un petit sac à dos de 25 litres! Merci RL!

Pour donner une idée de la suite car il reste quand même 22 jours, la Finlande, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et l’Allemagne... alors juste quelques photos parmi mes préférées.

N_75 · 14-10-2014 22:24:40

Salut Caroline !
Je viens de lire ta traversée de Kautokeino à Kilpisjärvi

Deux choses m'ont frappé ! à un moment tu dis avoir mis des boules Quies pour dormir, et bien sûr le demi-tour qui est plutôt cocasse ! Il peut s'attribuer au paysage qui n'est tout de même pas d'une grande variété à l'échelle de l'ensemble du parcours, peut-être au jour perpétuel qui doit contribuer à faire perdre ses repères (même si ça fait déjà pas mal de jours que tu bourlingues), et aussi à ta solitude qui te fait avancer à ton propre rythme. Le tout mixé te faisant sombrer dans une certaine léthargie.
Tu reviens alors ?

En tout cas, qu'est-ce que vous avez de la veine de pouvoir écrire aussi bien, de pouvoir transposer ainsi votre ressenti sur des mots !!!!
Bon voyage !

discret · 15-10-2014 09:49:00

Bonjour Caroline,

Tu nous emportes avec toi au bout du monde, littéralement à la fin des terres émergées, dans ces paysages infinis sans présence humaine, paisibles. C'est un vrai bonheur de commencer la journée avec une dose de ton récit, avant de se mettre au boulot.

Le retour à la civilisation doit être un vrai choc après tant de solitude et de grands espaces. Joie de retrouver les humains, l'eau chaude, le comfort mais aussi le rythme de la ville, les voitures, le bruit.

Enfin bravo pour tes photos, tu as un sens de la composition certain. C'était très sympa de voir une première fois les photos sans commentaires, d'imaginer l'histoire... et de se replonger dedans une deuxième fois avec ton récit.

Bonne route pour tes prochaines aventures!

Caroline73 · 15-10-2014 11:14:14

à un moment tu dis avoir mis des boules Quies pour dormir

Déjà qu'en France dans ma maison je dors rarement sans boules kies, alors avec tous ces oiseaux qui ont oubliés ce qu'est la nuit... certains ont vraiment un "chant" qui tape sur les nerfs en plus, comme celui qui pousse un bref cri aigu d'une seule note à intervalle régulier >_<

et bien sûr le demi-tour qui est plutôt cocasse !

J'avais quand même bien la tête dans le pâté pour pas remarquer un truc aussi basique que la grosse rivière qui avait changé de côté! -_- puis je me souviens que je scrutais les traces de pas qui avaient tassé la neige et que je suivais en me demandant à quelles personnes elles pouvaient appartenir... alors que les plus récentes étaient les miennes!

Tu reviens alors ?

En Laponie? Sûr! J'ai pas été au Sarek, et c'est vraiment un truc que je voudrais voir. Et les Alpes Lyngen.

Le retour à la civilisation doit être un vrai choc après tant de solitude et de grands espaces. Joie de retrouver les humains, l'eau chaude, le comfort mais aussi le rythme de la ville, les voitures, le bruit.

En fait on verra vers la fin du récit, mais plus je me rapproche de la France plus je vais retourner à la civilisation. Le 13 juillet j'étais à Berlin devant les écrans géants de Brandenburg Gate avec des milliers d'allemands à patauger dans la bière pour la finale de la Coupe du monde... J'suis plutôt une fille facile à vivre, même si j'ai des sautes d'humeur, et je m'amuse autant seule en Laponie pendant 10 jours qu'à chanter toute la nuit dans les rues avec des allemands bourrés. Puis chez moi dans les Alpes y a pas tellement de voitures, de bruit, ni de villes... deux jours après mon retour j’étais déjà dans la montagne avec mon chien, puis sur un kayak, puis en parapente...

bencas · 15-10-2014 11:32:52

Merci pour ton récit qui est vraiment agréable à lire et toutes ces photos qui donnent envie.
Ben

N_75 · 15-10-2014 19:41:54

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Dernière modification par N_75 (14-10-2016 18:30:01)

Iksarfighter · 16-10-2014 23:34:03

Toi qui as fait les deux, voici la vidéo intégrale Bergen - Oslo en train et la vidéo intégrale Bergen - Kirkenes en Hurtigruten en accéléré
J'ai téléchargé ces vidéos en HD, celle du train fait 22 Gigots !

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