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#1 29-05-2023 19:55:48

*Samuel
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De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Salut les MULs !

Il y a trois mois maintenant j'ai débuté une longue marche pour traverser l'Europe depuis Tarifa au détroit de Gibraltar, jusqu'à Istanbul. Je souhaite ainsi marcher d'une porte à l'autre de notre continent.

J'avais bien sûr l'idée de faire un partage de ce voyage sur RL à l'issue de celui-ci, mais cela est bien lointain. Au début hésitant, j'ai fini par ouvrir une page facebook pour raconter mon aventure, et aussi avec l'envie de promouvoir la démarche, la marche, ce genre de voyage, en partageant ce que je vis tout comme des aspects pratiques ici bien connus. J'ai plaisir à rédiger cette page et me réjouis si cela peut donner envie à d'autres de découvrir l'itinerance, la marche, ou de s'évader depuis chez eux comme on me le dit parfois. C'est une première sur moi sur un réseau social et ne cherche pas un maximum de followers, mais je suis content de pouvoir partager ce projet avec ceux et celles que ça intéresse. Alors si vous l'êtes, ça se passe ici : https://www.facebook.com/profile.php?id … tid=ZbWKwL

Je rédige de temps en temps des publications par section. Je viens de passer la frontière française après avoir traversé l'Espagne et suis actuellement en Ariège. L'avancée du récit n'est pas encore à jour mais c'est pour bientôt.

Je dois énormément à ce site-forum tant pour mon équipement que pour l'inspiration de me lancer dans une longue marche. Merci à vous et vive la MUL !

_______________

SOMMAIRE

Une marche à travers l'Europe : Introduction & Liste

Espagne

Espagne ‐ introduction
Espagne : Tarifa > Córdoba (Andalousie)
Espagne : Córdoba > Jarandilla de la Vera (Estrémadure)
Espagne : Jarandilla de la Vera > Segovia (Sierra de Gredos)
Espagne : Segovia > Tarazona (Castille-et-León)
Espagne : Tarazona > Riglos (Las Bardenas Reales, Aragon)[
Espagne : Riglos > France (Sierra de Guara, Pyrénées)

France

France : Col d'Artigascou > Carcassonne (Ariège, Aude)
France : Carcassonne > Villefort (Montagne noire, Hérault, Cévennes)
France : Villefort > Grenoble (Ardèche, plaine du Rhône, Vercors)

Les Alpes

Les Alpes - Introduction
Les Alpes : Grenoble > Aoste
Les Alpes : Aoste > Locarno (Val d'Aoste, Piemonte, Val Grande)
Les Alpes : Locarno > Sorico
Les Alpes : Sorico > Belladore
Les Alpes : Belladore > Bolzano
Les Alpes : Bolzano > Vallone Popera (les Dolomites)
Les Alpes : Vallone Popera - Monte Forno
Fin des Alpes : en route pour les Balkans !

Slovénie

Slovénie : Monte Forno > Idrija (Triglavski narodni park)
Slovénie : Idrija > frontière croate (Carniole-intérieure)
De la Slovénie à Sarajevo

Croatie

Croatie : frontière slovène > Karlobag (Velebit)
Croatie : Karlobag > Knin (Velebit, Nacionalni park Plakenica, rivières Zrmanja/Krupa)
Croatie : Knin > frontière bosnienne (montagnes Dinara)
De la Croatie à la Bosnie-Herzégovine

Bosnie-Herzégovine

Bosnie-Herzégovine : frontière croate > Risovac (montagnes Dinara et Blidinje)
Bosnie-Herzégovine : Risovac > Sarajevo (monts Blidinje et Prenj)
Bosnie-Herzégovine : Sarajevo
Bosnie-Herzégovine et Serbie : Sarajevo > Užice (Republika Srpska, monts Tara)

Serbie

Serbie : Užice > Aleksinac
Serbie : Aleksinac > Belogradchik

Bulgarie

Bulgarie : Belogradchik > Lakatnik
Bulgarie : Lakatnik > Sopot (Stara Planina)
Bulgarie : Sopot > Sliven (Stara Planina)
Bulgarie et Turquie : Sliven > Kırklareli (Thrace)

Turquie

Turquie : Kırklareli > Karaburum (Thrace turque)
Turquie : Karaburum > Istanbul

*****
Ma traversée d'Europe en quelques chiffres
Quelques mots sur l'itinéraire

_________________
Edit : titre, sommaire

Dernière modification par *Samuel (25-03-2024 10:45:19)

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#2 30-05-2023 11:37:45

gilles516
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

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#3 23-07-2023 22:19:29

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Une marche à travers l'Europe : Introduction & Liste

Travers l'Europe d'une extrémité à une autre à pieds, voilà une idée, un projet, un rêve, que j'ai dans ma tête depuis longtemps et dans lequel je me suis lancé cette année. Je suis parti fin février de Tarifa, ville située à l'extrémité sud de l'Espagne, et souhaite marcher jusqu'à Istanbul en Turquie, selon un itinéraire qui traverse le continent au maximum par des massifs montagneux.

Je suis persuadé qu'il n'est pas nécessaire d'aller à l'autre bout du monde pour vivre un sentiment d'aventure et d'exotisme, mais qu'il est possible de voyager chez soi et à proximité en vivant un dépaysement enrichissant. J'ai l'habitude de voyager et marcher en France, alors pour un an je choisis l'Europe ! Un itinéraire étant à mon sens symbolique, j'ai choisi de relier une porte à l'autre du continent. De Tarifa, ville la plus au sud de l'Espagne et de l'Europe, à Istanbul, ville historique entre deux continents. Du détroit de Gibraltar face à l'Afrique au détroit du Bosphore face à l'Asie.

L'itinéraire traverse de nombreux pays (Espagne, France, Suisse, Italie, Autriche, Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Albanie, Macedoine du Nord, Grèce, Bulgarie et Turquie), en parcourant autant que possible les massifs montagneux. Le tout fait environ 7000 km et 250 km de dénivelé. Pour tracer un itinéraire à partir de l'infinité des possibles, j'ai avant tout suivi l'intuition, en reliant les zones montagneuses et/ou attrayantes d'après la cartographie. Je me suis aussi inspiré d'itinéraires officiels ainsi que des tracés disponibles parcourus par d'autres marcheurs et marcheuses longue distance. J'ai également fait en sorte de passer par quelques endroits précis qui attirent ma curiosité ou afin de rendre visite à des proches. Cet itinéraire reste prévisionnel et est amené à être modifié selon mon humeur, mes envies, les imprévus, les rencontres, la météo etc.

Je gère toute la cartographie avec LocusMap, une application que je trouve très complète et intuitive, pratique pour planifier et retracer ses itinéraires, avec un outil online synchronisé avec l'application. J'utilise en parallèle Osmand pour agrémenter la base de donnée OpenStreetMap, ce que ne permet pas de faire LocusMap

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Itinéraire prévisionnel de la traversée.


Je marche avec un équipement que j'ai longuement eu le temps de réfléchir, tester, optomiser, auquel j'offre un test grandeur nature. Mon poids de base est de 8kg, ce qui est élevé par rapport à un poids habituel de 6kg. Cette différence s'explique par le fait de marcher au très long court. Je porte en effet plus d'électronique (appareil photo compact, deuxième téléphone en sécurité au cas où), plus d'habits accessoires (deux paires de gants, paire de chaussettes imperméables, vêtements thermiques et de pluie 4 saisons), ainsi que plus de matériel de pharmacie, réparation, hygiène et loisir. Je souhaite être équipé avec du matériel suffisamment durable, compatible pour la haute montagne et 4 saisons, pour quelqu'un de frileux avec syndrome de Raynaud, avec du confort pour du très long court. Il restera toujours des pistes d'amélioration et d'optimisation, des nouveaux usages et astuces à partir du même matériel, ce n'est jamais fini ! Voici ma liste.

ItemPoids
Portage
Sac-à-dos Atelier Longue Distance Hybrid Allround900
Sacs de compression Sea to Summit Ultra Sil58
Sacs de rangements Sea to Summit Ultra-Sil Nano 2 et 8L43
Sacs de rangements Sea to Summit 0.3, 0.6 et 2L22
Pochette étanche Aloksak grande20
Sakabouf Atelier Longue Distance71
Sacs de rangement divers70
TOTAL1184
Couchage
Ponchon-Tarp Six Moon Designs Gatewood Cap V1371
Tapis de sol 3F UL Gear Lanshan 1146
Haubans x318
Piquets MSR Mini-Groundhog x690
Piquets 3F UL Gear x222
Piquet Vargo Crevice Stake12
Piquets Vargo Nail stake x214
Sac de couchage Cumulus X-lite 300 custom590
Bivy SOL Escape Lite166
Matelas Thermarest NeoAir XLite Women370
Moustiquaire Sea to Summit Nano Pyramid Solo91
Sac en tissu pour oreiller30
TOTAL1920
Vêtements
Veste imperméable Montane Minimus Jacket184
Pantalon imperméable Haglöfs LIM Proof Pant131
T-shirt ML Woolpower Crewneck Lite207
Pull Woolpower Turtleneck 200234
Doudoune Cumulus Incredilite351
Bas long Woolpower Long Johns 200178
Chaussettes de compression CEP Run Socks III64
Chaussettes imperméables THYO73
Caleçon Woolpower Boxer Lite67
Tour de cou Forclaz55
Bonnet Forclaz38
Gants imperméables Verjati Tactical83
Gants Montane Super Prism Glove94
Mitaines Black Diamond Trail Gloves27
Bas amovibles du pantalon-short156
TOTAL1942
Cuisine/Hydratation
Popote Lixada 650 mL123
Réchaud P3RS x217
Paravent titane Toaks15
cuillère titane Lixada16
Verre plastique18
filtre Sawyer Micro-Squeeze52
Poche Platypus 2L44
Poche Platypus 1L26
Bouteilles plastique 0.5L x387
TOTAL398
Electronique
Téléphone Samsung Galaxy S9183
Téléphone Samsung Galaxy S8166
Powerbank Nitecore NB10000155
Panneau solaire Tomtop classeur80
Chargeur 3 ports USB66
Câbles (micro-USB x3 et USB-C x3)95
Lampe frontale Nitcore NU2054
Liseuse Vivlio Touch HD Plus162
Écouteurs Décathlon15
Balise GPS Garmin InReach Mini101
Appareil photo Sony RX100 iii291
Carte SD 64 Go0
Carte SD 4 Go0
Carte micro-SD 256 Go0
Carte micro-SD 64 Go0
Adaptateur USB/USB-C/SD/micro-SD9
clé USB8
TOTAL1385
Hygiène/Pharmacie/Réparation
Serviette microfibre55
Savon et shampoing solides70
Mouchoirs en tissu x237
Coupe-ongle43
Rasoir40
Brosse à dents12
Dentifrice13
Crème solaire60
Stick à lèvres solaire30
Stick à lèvres12
Crème hydratante30
Boules quies12
Mouchoirs en papier15
Pince à épiler9
Auriculi10
Tire-tique1
Pansements et Compeeds20
Sparadra21
Médicaments123
Désinfectant60
Sérum physiologique9
Miroir20
Gants à usage unique3
Couteau suisse Victorinox83
Fil et aiguille10
Duct Tape18
Ficelle12
Patchs divers20
Lingettes isopropanol6
Épingles à nourrice5
Joints de rechange pour filtre à eau3
Colle cyanoacrylate6
Colle seam grip33
Élastiques6
TOTAL907
Divers
Thermomètre14
Briquet x238
Mousse en plastazote22
Semelles orthopédiques de rechange44
Passeport32
Porte-feuille en Tyvek DIY16
Papiers/Cartes/Argent70
Carnet150
Stylos, gomme39
Pierre amulette14
TOTAL439
TOTAL8175
Sur moi
Bâtons Black Diamong Hiking Poles444
Pantalon-short Forclaz MH500231
T-shirt RAB Force Hoody154
Chaussures Salomon XA Forces mid GTX1143
Chaussettes de compression CEP Run Socks III64
Casquette OR Run Summer Cap51
Lunettes de soleil Simond31
Mitaines Black Diamond Trail Gloves27
Écouteurs AfterShokz31
Carte de mon itinéraire17
TOTAL2193

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Dernière modification par *Samuel (24-07-2023 00:35:54)

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#4 23-07-2023 22:37:44

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Espagne

19 février 2023, c'est parti. Je suis à Tarifa, le Maroc est à seulement 16km à vol d'oiseau. En arrivant en bus deux jours plus tôt, les lumières des villes côtières de l'autre côté de la méditerranée étaient bien visibles. Il m'est alors étrange d'être si proche d'un pays qui m'attire aussi beaucoup sans y aller, mais ce sera pour une autre aventure je l'espère. Tarifa, ville du vent où même si un bras de mer sépare les deux pays, on se sent presque autant au Maroc qu'en Espagne.

Je m'apprête à traverser l'Espagne du sud au nord sur environ 1800 km, une partie conséquente de cette traversée. Mon itinéraire traverse des zones géographiques variées : des zones forestières et des campagnes peu peuplées, de multiples petits massifs montagneux, des zones agricoles, de nombreux villages, un désert, des canyons, et bien sûr les Pyrénées. J'ai une certaine appréhension pour les 800 premiers kilomètres qui seront principalement de la piste sur de grands espaces avec peu de dénivelé. Moi qui suis plus habitué à marcher en montagne et haute montagne, je crains que cela soit répétitif et moins stimulant. Mais cela est nouveau et correspond à mon souhait de traverser le pays entièrement, et je ne doute pas que ces régions seront autrement intéressantes.

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Mon itinéraire previsionnel

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Jour de départ à Tarifa. À ma gauche la mer méditerranée, à ma droite l'océan Atlantique, et devant moi le Maroc !

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#5 23-07-2023 22:50:03

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Espagne : Tarifa > Córdoba (Andalousie)

19/02/2023 > 08/03/2023
407 km ; D+ 9,6 km ; D- 8,9 km

Depuis Tarifa, le début de mon itinéraire suit le GR7 espagnol jusqu'à la ville d'Antequera, 200 km plus loin. Le GR7 traverse l'Espagne du sud au nord, en reliant Tarifa à l'Andorre selon un itinéraire qui emprunte les multiples régions montagneuses à l'Est du pays. Le GR7 fait également partie du european long-distance path 4 (E4), qui relie Tarifa à Lanaca à Chypre selon un itinéraire de 12 300 km à travers l'Europe.

Je m'élance ainsi sur le GR7 depuis la plage de Tarifa pour traverser l'Andalousie. Je pénétre rapidement les grandes étendues vallonnées sauvages et venteuses, occupées par un peu d'élevage, des parcs éoliens et surtout d'immenses réserves de chasses privées. Je marche presque exclusivement sur des pistes forestières où je suis seul. Je croise occasionnellement quelques éleveurs et VTT-istes, mais aucun randonneur ni promeneur du dimanche. Je me demande combien de marcheurs parcourent ce chemin annuellement, je n'imagine pas possible d'en croiser. Pourtant, à mon cinquième jour de marche et à ma grande surprise, je croise Pavel, un marcheur tchèque ultra-léger qui est parti de Lisbonne, est descendu à Tarifa et marche le GR7 dans son intégralité jusqu'à l'Andorre. Si le temps et l'argent le lui permettent, il envisage ensuite de rentrer chez lui en République Tchèque à pieds. Nous marcherons deux jours ensemble jusqu'à Ronda. Pavel a de nombreuses expériences de marches longues distances en itinérance. Nous échangeons beaucoup sur nos expériences, nos habitudes, notre matériel etc. D'habitude, les gens sont surpris de la taille et du poids de mon sac à dos. Là, c'est moi qui me sent bien chargé et lourd à côté de Pavel : son sac fait 4 kg hors nourriture et eau... Nous n'avons effectivement pas le même optimum de confort et je prevois de m'exposer d'avantage au froid, mais il est vrai que je porte un certain nombre d'items facultatifs. Nous pourrions marcher ensemble jusqu'à Antequera, mais des ennuis physiques m'obligent à prendre des jours de repos. Je ne sais pourquoi, un début de marche n'a jamais été aussi éprouvant physiquement pour moi : nombreuses ampoules, fortes courbatures et ma tendinite au genoux que je redoute tant. Par dessus ça, j'attrape ce qui ressemble à une intoxication alimentaire. Je reste alors trois jours à Ronda pour récupérer avant de repartir progressivement.

En repartant de Ronda et sous les conseils de Pavel avec qui je suis resté en contact, je fais un détour par rapport à mon itinéraire de base pour passer par la Sierra de las Nieves, un des nombreux petits parcs nationaux montagneux qui parsèment l'Espagne. Tous ces petits massifs ainsi que les plaines en altitude font de l'Espagne le deuxième pays le plus haut d'Europe après la Suisse avec 600m d'altitude moyenne. Ça fait du bien de retrouver des sentiers pour deux jours ! Avant ça, j'étais principalement dans d'immenses réserves de chasses privées et clôturées qui font que paradoxalement, je me retrouve généralement à marcher entre deux clôtures et prospecter pour un spot de bivouac, bien qu'étant dans de grandes zones sauvages. Au milieu de ça, je croise de beaux lacs et les villages typiques andaloux aux maisons blanches.

Après la Sierra de las Nieves, les oliveraies se font de plus en plus fréquentes et grandes. Arrivé à Antequera, je laisse le GR7 et mon itinéraire suit principalement par coïncidence le Camino de Mozárabe de Santiago, un des chemins de Saint-Jacques de Compostelle espagnols. J'ai croisé une fois un chemin de St-Jacques à Roncesvalles de Orreaga (Ronceveaux) en Espagne, lors de ma traversée des Pyrénées en septembre dernier. J'étais surpris de voir des centaines de gens venant de tous les pays occidentaux, pour beaucoup venus de l'autre bout du monde pour marcher une semaine ou deux sur le camino... La langue du village n'était pas l'espagnol mais l'anglais et toute l'économie gravitait autour de ce tourisme. Sur les 250 km que je marcherai sur ce Camino Mozárabe, je croiserai peu de pèlerins, et serai à nouveau surpris de rencontrer des gens qui viennent en avion du Québec ou du Japon pour vivre le plaisir simple de la marche en marchant deux semaines entre les oliveraies et les plaines agricoles... On m'explique que je suis "hors-saison", mais que bientôt, le camino sera très fréquenté et que les hébergements des villages seront complets. Au-delà de la dimension spirituelle et de l'atmosphère humaine du camino, je m'étonne à nouveau de constater la telle attractivité d'un itinéraire alors qu'il est facilement possible aujourd'hui d'en trouver d'autres ou de créer les siens. Je trouve dommage qu'une activité aussi simple, libre et gratuite glisse rapidement comme une expérience encadrée voire de consommation, avec parfois peu de place à l'inconnu et l'imprévu. C'est amusant, en dehors du camino, les habitants peuvent être surpris de rencontrer un marcheur traverser leur région. Sur le camino, tout le monde me prend pour un pèlerin et me salue par un "Buen camino !" amical.

Après Antequera, les oliveraies deviennent immenses jusqu'à occuper tout le territoire. C'est impressionnant, des milliers et des milliers d'hectares couverts exclusivement par des oliviers. L'Espagne est le premier producteur mondial d'olive, la production se concentre dans le Sud du pays. Je marche alors à travers ce paysage étrange, tantôt sur les pistes et sur les routes, tantôt direcment entre les oliviers en m'orientant au GPS. Lorsqu'un point de vue s'offre à moi, je prends conscience de l'immensité et de la particularité de cette région : il y a des oliviers à 360° jusqu'à l'horizon. Traverser un tel paysage a un côté amusant, c'est une expérience. Je me dis que marcher dans le désert, car c'est une sorte de désert, doit procurer le même genre de sensations. Après quatre jours intenses de marche dont trois exclusivement à travers les oliveraies, j'arrive à Córdoba, célèbre et belle ville d'Andalousie qui constitue pour moi une première balise, une première étape symbolique qui marquera le fait de me sentir davantage lancé intérieurement dans cette longue marche. J'y reste deux nuits pour me reposer et visiter la ville charismatique et sa magnifique Mezquita ou mosquée-cathédrale. 524 km parcourus depuis Tarifa, un bon début.

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Les premières semaines, la météo est encore fraiche : chaud la journée avec le rayonnement du soleil, mais frais à l'ombre et il gèle chaque nuit.

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Les villages andalous avec leurs maisons blanches

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Ronda et son pont

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Ce panneau que j'ai vu des centaines de fois...

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Antequera

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Les déserts d'oliviers

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Córdoba

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Edit : photos

Dernière modification par *Samuel (02-10-2023 11:49:43)

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#6 23-07-2023 23:07:37

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Espagne : Córdoba > Jarandilla de la Vera (Estrémadure)

11/03/2023 > 01/04/2023
385 km ; D+ 6,2 km ; D- 5,6 km

Je repars de Córdoba, maintenant  lancé tant intérieurement que physiquement dans la marche au long cours. Je poursuis mon itinéraire le long des pistes et des routes, plus rarement des chemins, en traversant forêts et campagnes agricoles. À Hinojosa del Duque, je quitte le Camino Mozárabe pour me diriger vers le Nord. Des automobilistes s'arrêtent pour m'indiquer que le camino est dans l'autre sens. Je leur explique avec mon espagnol très approximatif que je suis au courant et que cela est bien ma direction, puis ils repartent me semble-t-il peu convaincus que l'on se soit bien compris. Pourtant, le paysage devient immédiatement plus stimulant ! Je marche les dernières dizaines de kilomètres en Andalousie à travers une très belle campagne vallonnée où les villages cèdent la place à de simples fermes disséminées dans le paysage. Je passe ensuite en Estrémadure par un endroit magnifique : l'Embalse de la Serena et ses alentours. Il s'agit de la plus grande retenue d'eau du pays, entourée de plaines et de collines à perte de vue occupées par des élevages ovins extensifs. Cet endroit avait attirait ma curiosité lorsque je traçais mon itinéraire et je suis content d'avoir laissé cette simple intuition m'amener ici ! J'ai de plus la chance de traverser cet espace avec une météo idéale qui offre de beaux éclairages. Au milieu de cette retenue utilisée pour l'irrigation et la production hydroélectrique se situe une curiosité naturelle : el Cerro  Masatrigo, un mont en forme quasi-parfaite de cône, relié à la terre par deux ponts tel un grand rond-point. Bien que marchant beaucoup sur le bitume, je passe une journée magnifique à traverser à pieds cet endroit si dépaysant, en contemplant chaque nouveau point de vue au cours du chemin.

Je continue de traverser l'Estrémadure du Sud au Nord et passe ensuite en Castille-et-León, les deux régions les moins densément peuplées du pays avec 25 hab/km². Les villages sont aussi peu peuplés, par une population âgée et beaucoup d'habitations sont à vendre. Les espaces sauvages ou utilisés pour l'élevage sont grands entre les villages, et des micro-fermes parsèment les zones montagneuses. Sur cette section, je passe par la ville de Guadalupe connue pour le magnifique monastère royal de Santa María, construit au XIVe siècle suite à la découverte d'une statue de la vierge du 8e siècle, qui aurait permis au roi Alphonse XI de gagner la bataille de Tarifa contre les musulmans et de reprendre le contrôle du détroit de Gibraltar. Le monastère est majestueux et renferme une quantité de richesses. Sans être expert en Histoire, il m'est étrange d'imaginer le travail et les ressources mobilisées à la construction d'un tel édifice, surtout en constraste avec les conditions de vie du Moyen Âge.

Encore quelques jours de marche j'arrive à Jarandilla de la Vera où je retrouve mon ami Mathéou qui me rejoint pour marcher trois semaines ensemble. Jarandilla est au pied de la Sierra de Gredos, un massif montagneux appartenant au système central, une chaîne de montagnes de 700 km qui s'étend du Portugal jusqu'au Nord-Est de Madrid. Après ces 800 premiers kilomètres principalement sur de la piste et plus rarement sur des chemins, j'ai hâte de retrouver l'atmosphère des montagnes ! J'appréhendais justement un peu cette première longue section pour son aspect plat à travers la campagne. Il est vrai qu'il n'a pas toujours été facile de prendre du plaisir et de trouver du sens à traverser de grandes zones à l'environnement répétitif. J'ai pu souvent me demander ce que je faisais là ou me dire que je serais mieux à vélo pour traverser de telles étendues. Il y a des moments où je me sentais marcher pour marcher, pour avancer, sans ressentir grand chose si ce n'est de la lassitude. Toutefois, je pense que ces moments et ces émotions font partie de la marche et sont à apprivoiser. J'ai d'ailleurs pu prendre beaucoup de plaisir à traverser un désert d'oliveraies comme des endroits sans intérêts majeurs en apparence. La symbolique de traverser un territoire en entier tel qu'il est, sans attentes, permet de trouver du sens et du beau en toute condition lorsque je le ressens ainsi. Cela amène également à trouver de l'intérêt à tout ce qui nous entoure, à être attentif et à s'émerveiller de ce qui passerait autrement inaperçu. Lors de ces 800 premiers kilomètres, je me rends compte que j'ai été dans des environnements très variés : plages, forêts, montagnes, zones agricoles, canyons, oliveraies, lacs et rivières, villes et villages, églises et monastères, en marchant sur des nationales comme sur des petits sentiers en voie de disparition, en dormant tous les soirs dans un endroit différent. Le fait de m'être déplacé à pieds à travers tous ces lieux offre une satisfaction et une certaine émotion, que je ressens aussi en voyant le chemin parcouru se dessiner progressivement sur la carte. Malgré les difficultés, je suis donc content d'avoir apprécié cette section et d'avoir découvert que j'aimais aussi marcher ailleurs qu'en montagne. Cela est nouveau et je pense qu'avec l'expérience je peux approfondir cela et l'apprécier avec plus de simplicité. Maintenant, l'heure est à la montagne entre amis !

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L'embalse de la Serena et el Cerro de Masatrigo

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Même au milieu des plaines et des pâturages, on peut faire de beaux bivouacs !

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L'embalse de Valdecañas, une autre grande retenue d'eau, au levé du soleil.

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J'aurai vu plus de cigognes en Espagne qu'en Alsace !

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Guadalupe et le monastère royal Santa María

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Enfin, le massif de la Sierra de Gredos apparaît après ces centaines de kilomètres de pistes !

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#7 23-07-2023 23:26:13

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Espagne : Jarandilla de la Vera > Segovia (Sierra de Gredos)

03/04/2023 > 19/04/2023
288 km ; D+ 11,7 km ; D- 11,4 km

Le hasard a fait que mon ami Mathéou me rejoigne à un moment de choix : le jour même où j'entame la montagne, la "vraie". C'est ainsi ensemble que nous montons dans la Sierra de Gredos. Le long de cette chaîne montagneuse assez étroite et bordée de plateaux, il y a souvent une seule crête sur laquelle nous marchons, voyant ainsi le paysage jusqu'à l'horizon au Nord et au Sud. À l'instar du Jura, on peut paradoxalement évoluer dans un environnement montagneux, tout en voyant les nationales et les lumières de la ville en contrebas. Le plateau au Sud est verdoyant de plaines et de forêts parsemées de villes et villages, tandis que le versant Nord est vallonné, aride et isolé. C'est un plaisir de retrouver l'atmosphère et les sensations de la montagne : les sentiers, les odeurs, la météo fluctuante, la faune et la flore caractéristiques d'altitude, les lacs et les cabanes, etc. Les passages délicats et les névés qui nécessitent de la concentration contrastent avec les longues pistes où l'on peut s'affranchir de regarder là où pose les pieds. La première semaine ensemble est la plus montagneuse : nous traversons la Sierra de Gredos d'Ouest en Est, de Jarandilla de la Vera à Mijares, en un seul ravitaillement, conséquent mais frugal sur la fin... Nous progressons parfois lentement car des portions du sentier sur la crête ne sont plus empruntés ou presque, et sont entrain d'être recouvertes par la végétation, voire n'existent déjà plus. C'est là l'avantage et l'inconvénient de s'orienter avec la cartographie OpenStreetMap : la base de donnée est exhaustive, mais certains chemins ont disparu des cartes papier, panneaux etc., et par conséquent disparaissent progressivement tout court. Nous nous retrouvons donc à marcher dans des parterres de genêts qui dominent l'écosystème. Parfois nous cherchons ce qu'il reste du chemin et nous redoutons chaque moment où il semble s'effacer, parfois nous avançons simplement tel des sangliers dans ces genêts qui nous arrivent jusqu'à la taille, en trouvant ça au fond amusant !

Les deux derniers jours avant de descendre au village de Mijares pour se ravitailler, nous mangeons des vermicelles au bouillon-cube et faisons sans cesse l'inventaire des quelques biscuits qui nous restent, alors nous nous offrons repos et festin en arrivant ! Au moment de repartir, nous décidons de ne pas remonter sur la crête car nous avons eu notre dose de genêts et car Mathéou a une douleur au tendon d'Achille. Nous marchons alors à flanc de montagne sans perdre au change en termes d'atmosphère et de vues. C'est le début d'un long va-et-vient au niveau de la douleur de Mathéou, qui nous fait faire des sauts de puces et alterner entre l'idée de pouvoir repartir ou de devoir s'arrêter pour cette fois-ci pour lui. Finalement, alors que Mathéou était sur le point de rentrer en France, la douleur s'en va ou du moins est supportable. Nous ne saurons pas si le remède de passer de 'ne pas boire assez' à 'boire énormément' a été la cause de cette guérison ou une coïncidence.

La montagne se fait moins haute, plus étendue et plus habitée dans cette suite du Système central. Nous traversons de nombreuses forêts de pins, lacs et barrages hydroélectriques. La météo est incroyablement stable : chaud et sec. Puisqu'il n'y a jamais de pluie ni de condensation pendant la nuit, nous avons pris l'habitude de ne plus monter la tente. Entre les nuits en cabane et toutes celles à la belle étoile, nous l'avons laissée au fond du sac sauf pour les quelques nuits passées à côté d'un lac. Quel gain de confort et quelle belle sensation de simplement s'endormir à même le sol en regardant les étoiles, puis de se réveiller juste avant le levé du soleil !

Ce n'était pas sur mon itinéraire initial, nous décidons de descendre de la montagne côté Nord pour passer par la ville de Segovia. Nous nous y arrêtons deux jours. Cela fût une excellente idée, Segovia est une ville magnifique avec des monuments incroyables ! En ayant aucun à priori sur la ville ni aucune information avant de la découvrir, la surprise n'est que plus grande lorsque nous découvrons cet aqueduc romain et cette cathédrale. Segovia possède l'un des aqueducs romains les mieux conservés. Construit au 1er siècle, il possède 167 arches sur une longueur se 813 mètres, construit en blocs de granit assemblés sans mortier ! Il faisait partie d'un système acheminant l'eau depuis les montagnes à 17 km, qui a été en service jusqu'en 1973 ! Cet édifice nous a ému par son élégance et sa prouesse. La cathédrale de Segovia est visible depuis très loin par son clocher, l'intérieur est tout aussi majestueux. Après deux jours en ville, l'occasion d'un reset corporel et matériel, et de goûter aussi cette atmosphère là, il est temps de reprendre le sac-à-dos.

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Les dernières neiges face Nord

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Les parterres de genêts sur les crêtes

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Ne dirait-on pas un Moaï de l'île de Pâques ?

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L'aqueduc romain de Segovia

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La cathédrale de Segovia, au levé du jour.

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#8 23-07-2023 23:48:24

Rodo le Preux
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

juste "waouh".

(voilà)

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#9 23-07-2023 23:58:29

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Espagne : Segovia > Tarazona (Castille-et-León)

21/04/2023 > 03/05/2023
309 km ; D+ 7 km ; D- 7,6 km

Depuis Segovia, nous regagnons le Système central que je marcherai jusqu'à son extrémité Est. Nous sommes dans la Sierra de Guadarrama, d'où nous avons des vues panoramiques sur les plaines agricoles de la région. Il fait à présent plus froid et humide, nous retrouvons la condensation voire le gel pendant la nuit. Trois jours plus tard, nous nous séparons au petit village de Samosierra d'où Mathéou rentrera en France. À 15h, je repars en plein soleil pour 17 km et 1300m de dénivelé positif, portant de la nourriture pour les 130 prochains kilomètres et 2 litres d'eau. Je grimpe aux limites de mon cœur et de mes poumons. Deux nuits plus tard, c'est la fin des montagnes et j'entame la traversée de l'Est de la Castille-et-León, région la moins peuplée d'Espagne avec l'Estrémadure.

Au début, la région est une steppe, un plateau sec d'où surgissent de manière sporadique des collines couvertes par des allées d'éoliennes. Il y a ici et là un peu d'agriculture sur des terres visiblement peu convoitées. C'est grand, il y a beaucoup d'espaces naturels. Des réserves protègent des espèces endémiques d'oiseaux aux chants exotiques. Je croise aussi de nombreux animaux sauvages : renards, blaireaux, chevreuils, serpents, et autres reptiles et mammifères non identifiés. Il y a peu de ces quelques villages en pierre, petits et espacés les uns des autres, mais surtout presques inhabités. Il est déroutant de traverser ainsi des villages déserts entourés de steppes, avec personne dans les rues et les volets des maisons fermés. Je croise au mieux une personne ou deux, souvent personne. Il y a tout au plus quelques dizaines d'habitants par village, que l'exode rurale a progressivement vidé depuis le franquisme. Il n'y a généralement ni bar ni épicerie. Au moins dans ces conditions, lorsque je croise quelqu'un, nous sommes obligés de nous parler, d'autant plus qu'ils n'ont pas l'habitude de croiser des marcheurs ou des touristes. Je rencontre des gens contents d'habiter là. Ils sont pour la plupart retraités ou travaillent dans l'agriculture, le seul employeur de la région. On me dit que le climat est de plus en plus sec année après année, et que cette steppe est en voie de désertification, ce qui peut condamner définitivement la faible activité locale. D'ailleurs, en plus de faire des ravitaillements conséquents faute de magasins, je n'hésite pas à faire le plein d'eau lorsque je peux car les rivières sont asséchées et tous les villages ne sont pas desservis par l'eau courante. Dans chaque village je me demande comment est-ce possible que ces maisons en pierre inhabitées soient en si bon état avec le temps, avant qu'on m'explique qu'aujourd'hui la grande majorité sont des maisons secondaires de citadins.

À Arenillas, l'un de ces villages, je rencontre en arrivant un groupe d'hommes sympathiques et accueillants qui m'invitent à boire une bierre. L'un d'eux me montre son musée de fossiles qu'il collecte dans ses champs et les classe méticuleusement par aire géologique. Lucas, un jeune argentin nouveau dans le village m'offre le gîte et le couvert, et surtout un tour touristique des alentours ! Il m'emmène avec sa voiture visiter les endroits qu'il affectionne autour de chez lui. Nous allons à Tiermes, une ancienne citée celte puis romaine construite autour d'une falaise d'un grès particulier. Dire que j'aurais pu passer à côté de ce site sans connaître son existence ! Je devrais peut-être me documenter un peu plus en amont sur les régions que je traverse... Les romains avaient construit des immeubles à plusieurs étages en se servant des falaises comme murs et supports pour les charpentes. Ils y ont aussi creusé des réseaux et des réserves d'eau, et ont utilisé la roche de bien d'autres manières au gré de leur imagination et de leur inventivité. Ils sont fous ces romains ! Il y a même un amphithéâtre lui aussi taillé dans la roche. On peut voir les traces des outils qui ont travaillé la pierre, un travail titanesque. Lucas adore cet endroit, il se demande pourquoi le monde entier va a Pompéi alors que personne ne vient ici. Nous nous rejoignons sur cette idée que cela est disproportionné et incohérent, bien que je ne doute pas que Pompéi soit un endroit exceptionnel que je visiterais certainement si j'allais dans la région. Ici l'endroit ne semble pas très connu au-delà des locaux qui ne sont pas nombreux. Il y a un seul employé pour gérer ce site immense et faire des visites sur demande. Pourtant, l'endroit est remarquable par son patrimoine et sa géographie. Lucas et moi sommes aussi contents et reconnaissants l'un que l'autre pour cette rencontre qui fait du bien. Nous nous soutenons mutuellement dans nos projets, et il m'est agréable de pouvoir parler anglais et avoir des conversations approfondies que mes quelques progrès en espagnol n'auraient pas permis. Également randonneur et intrigué par le poids de mon sac, il me demande et je lui offre un exposé complet de mon équipement.

Le paysage devient ensuite de moins en moins sec, et donc de plus en plus agricole, jusqu'à être constitué exclusivement de grandes monocultures céréalières. Là, se déplacer à pieds, ça peut être lassant... Heureusement cela ne dure que quelques jours. Je prête davantage attention à la musique et aux podcasts que j'écoute qu'à ce nouveau désert agricole, lorsque le vent me l'autorise. Malgré la monotonie du paysage, les couleurs du matin et du soir offrent tout de même de quoi trouver du beau. Peu avant la ville étape de Tarazona, je retrouve un peu de relief, des arbres, et un chemin ombragé qui borde un ruisseau, du petit lait qui redonne de l'énergie et de la motivation !

Cette section de steppe puis de cultures céréalières aura duré 200 km, c'est suffisant. Je l'avais déjà repérée sur la carte comme un passage nécessaire pour aller de la fin du Système central vers la dernière partie de mon itinéraire espagnol plus attrayante. Je note qu'en fin de compte, même dans cette région où se déplacer à pieds n'est franchement pas très motivant, je suis passé assez rapidement d'une atmosphère à une autre, en traversant des zones où j'ai pu ici et là satisfaire mon regard et ma curiosité. Et puis notre cerveau fait que c'est le bien qui ressort à la surface de la mémoire, heureusement que je ne me souviens pas de chaque champ de blé !

J'arrive tout excité à Tarazona où a été livré mon nouveau sac-à-dos Atelier Longue Distance tant attendu. Pour fêter l'occasion et avant d'aller au désert des Bardenas telle une récompense après cette section, je m'offre deux nuits à l'hôtel.

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J'adore contempler de haut les tâches d'ombre des nuages se déplacer sur les plaines.

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À l'horizon, les lumières de Madrid.

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Il m'arrive d'avoir un compagnon de route pour quelques kilomètres. Jusqu'à présent, je n'a pas passer de bivouac avec eux.

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Une falaise de la cité de Tiermes. Les trous et les fentes creusés dans la roche montrent l'ancien emplacement des poutres et des planchers en bois sur plusieurs étages.

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Un air de Beauce...

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#10 24-07-2023 00:07:46

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Espagne : Tarazona > Riglos (Las Bardenas Reales, Aragon)

05/05/2023 > 11/05/2023
173 km ; D+ 4 km ; D- 3,1 km

Je repars de Tarazona en direction du désert des Bardenas Reales. Je me suis volontairement peu informé sur ce désert pour garder le mystère et la surprise de cet endroit dont la seule vue de quelques photos suscite déjà la curiosité et l'étonnement. Pour faire durer le suspens, il y a encore une longue journée de ligne droite et plate entre Tarazona et le début du désert. En arrivant, je suis surpris de constater que cet espace désertique, avec ses collines sableuses et ses plateaux rocailleux, se mélange à l'agriculture. Des cultures céréalières poussent péniblement entre les cailloux. Certaines parcelles sont déjà sacrifiées par la sécheresse pour cette année. Le désert forme une sorte de grande cuvette centrale entourée de hauts plateaux et de collines aux formes si caractéristiques de dentelles de sable. Au centre, l'armée s'est accaparé depuis 1951 une large partie du parc pour des exercices militaires. J'arrive la première nuit à la bordure d'un plateau qui surplombe le désert. Je passe la soirée au sommet d'une de ces collines, mais plante mon abri en contrebas car un orage se fait menaçant. Je contemple la tombée de la nuit et les éclairs frapper le désert tout autour de moi. Je redoute le moment où l'orage viendra sur moi, me tenant prêt à me rapatrier sous mon tarp, mais par chance le vent soufle dans la bonne direction et je serai épargné. Je tente alors de capturer quelques éclairs avec mon appareil photo. Le lendemain, je traverse le cœur du désert. J'imaginais marcher librement dans cet espace immense et arpenter ces collines magnifiques, tel un enfant dans un parc d'attraction. Je me retrouve en réalité coincé entre la zone militaire interdite d'accès, et une réserve naturelle interdite d'accès également de mars à septembre pour la reproduction des vautours. Je suis alors contraint de marcher sur la piste, avec la frustration de résister à l'appel de ces collines tant attrayantes, et le dégoût de voir cet autre espace réservé à l'armée, dont les vols d'avions de chasse la veille ne dérangeaient certainement pas les vautours eux. Un gardien du parc en 4X4 s'arrête à mon niveau, baisse sa vitre et me dit sur un ton accusateur et menaçant que je ne dois pas quitter la piste. Je n'avais absolument pas anticipé que nous sommes le samedi d'un week-end de 3 jours en France pour le 8 mai. Rapidement, la piste est envahie par un défilé ininterrompu de 4X4, SUV, motos et camping-cars majoritairement immatriculés du Sud-Ouest de la France. Il y a quelques VTT-istes, et personne à pieds mis à par moi. Chaque passage de véhicule me soufle un nuage de poussière et leur bruit s'ajoute à celui du vent, tout aussi constant et irritant. Il fait par ailleurs 30°C, sans végétation suffisante pour offrir un coin d'ombre. Je ressens alors ce que je nome dans ma tête "le syndrome du Mont St-Michel" : j'ai conscience d'être dans un endroit incroyable, mais il y a tant de monde venu pour voir la même chose sans se côtoyer ni se parler, qu'il est dérangeant mais réaliste de constater que je ressens plus d'agacement que d'émerveillement. Je ne pense pas être le seul au milieu de cette foule, où par le nombre nous devenons toutes et tous un peu des consommateurs plus ou moins déçus, car les émotions que peut susciter un tel endroit ne se commandent ou ne s'achètent pas. Malgré tous les côtés pénibles de l'atmosphère, je suis content d'être venu dans ce lieu remarquable. Étrangement, à partir de 16h, le désert se vide soudainement de ses touristes et je me retrouve seul dans les derniers kilomètres de piste qui cèderont la place à un paysage agricole plus habituel, tout de même parsemé de formations qui rappelent les collines sableuses des Bardenas. J'aurai discuté avec une seule personne, un français en voyage venu d'Angers à vélo. L'échange est court mais sincère et me donne un coup de bien-être et de motivation. En le voyant repartir sur son vélo, j'ai furieusement envie d'enfourcher moi aussi mon vélo, d'arpenter les Bardenas, de vibrer par la sensation des descentes et de me déplacer à la vitesse surprenante qu'offre cet autre moyen de se déplacer et de voyager. Mais j'ai choisi la marche pour ce voyage, avec conviction et avec son lot d'avantages et de difficultés ou frustrations inhérentes à tout cadre.

À la sortie des Bardenas, je me retrouve en Aragon. Je marche trois jours dans cette campagne avant de rejoindre la Sierra de Guara. La région est elle aussi vallonnée, avec de beaux villages en pierre un peu plus habités que ceux croisés auparavant, et sur mon parcours recouverte de forêts de buissons et de résineux. C'est beau et agréable. Relier ces villages à pieds en marchant à travers les forêts permet de prendre la mesure de l'immensité de cet espace recouvert de végétation, et de voir ces villages comme de simples points disséminés ici et là. Dans l'un d'entre eux je rencontre un soir un couple de français qui voyage en camping-car. Ce sont alors des gens en voyage qui m'ouvrent leur porte et m'offrent l'hospitalité ! Je suis invité chaleureusement pour le dîner et le petit-déjeuner. Au-delà du service rendu généreusement, il s'agit d'un vrai échange humain mutuel qui enrichit et ravit tout le monde. Il arrive que cela arrive précieusement. L'hospitalité de l'un vers l'autre, la joie de donner et de la joie de recevoir, sont le support d'un partage qui crée de la richesse à partir de rien, ou plutôt simplement à partir de qui l'on est, lorsqu'on se laisse porter par l'émulsion de la rencontre. De plus en plus, j'observe et j'accepte ce fait qu'au delà des gestes d'aide et de générosité reçus, mon passage peut aussi être généreux et rendre les gens heureux d'avoir de la visite. Je pense au beau discours d'un certain Félix, dans un documentaire à son sujet qui a eu grand succès (https://youtu.be/4_nDsGYrxdc), qui etaye cette idée qu'il fait vivre la générosité humaine par son mode de voyage, sans la demander, et qu'en cela il se sent utile. Il ne s'agit effectivement pas de transactions unidirectionnelles ou de charité, mais bien d'enrichissement mutuel qui fait du bien et véhicule des valeurs humaines.

Annie et Jean-Paul étaient très intéressés par ma marche, nous en parlons longuement, ils me donnent des conseils pour la fin de mon itinéraire espagnol, et nous passons encore du temps ensemble le lendemain matin avant de nous quitter. Cette rencontre me redonne confiance et sens en ce que je fais à un moment où j'en avais besoin. Je repars pour deux jours de marche jusqu'à Riglos, un village au pieds de falaises remarquables, qui marque l'entrée dans le Parque Natural de la Sierra y Cañones de Guara. La veille je reçois un nouveau geste qui fait plaisir à Murillo, où le gérant du camping m'offre la nuit après m'avoir demandé ce que je faisais. Il m'amène même en voiture pour un aller-retour à un village à 10km où j'ai fait livrer un nouveau T-shirt, ce qui m'évite un détour contraignant sans interrompre le fil continu de mon itinéraire. Tant que c'est possible, j'y tiens ! Deux secteurs dont j'ai hâte et où marcher devient vraiment pertinent restent sur mon parcours avant de passer en France : la Sierra de Guara et les Pyrénées.

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Arrivée au bivouac dans les Bardenas

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Je suis assez content d'avoir réussi capturé un éclair avec mon compact.

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Je dois rester sur la piste...

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Riglos

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Vue panoramique sur la plaine avant de basculer dans la Sierra de Guara

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#11 24-07-2023 00:15:10

patou
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

pouce Chouettes photos et super projet !
Bonne balade   wink


Mul part ailleurs

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#12 24-07-2023 00:31:32

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Espagne : Riglos > France (Sierra de Guara, Pyrénées)

12/05/2023 > 20/05/2023
262 km ; D+ 12,5 km ; D- 12,5 km

De Riglos j'entre dans le Parque Natural de la Sierra y los Cañones de Guara, situé au Nord de Huesca. Je traverse le parc d'Ouest en Est dans sa partie Nord, au creux d'une longue vallée cernée par deux chaînes de montagnes, perforées perpendiculairement par des canyons qui s'écoulent vers le Sud. Une route unique emprunte cette vallée et dessert des petits villages aux vieilles maisons en pierre. Rares sont les villages encore réellement habités. Certains possèdent quelques habitants isolés et maisons secondaires. Beaucoup de ces maisons sont laissées à l'abandon par les leurs héritiers multiples. Certaines sont alors squattées et entretenues par les gens qui y vivent. Enfin certains villages en ruine sont complètement abandonnés visiblement depuis plusieurs décennies. Cela me fait toujours un pincement au cœur de voir ces habitations détruites en pensant au travail qu'à nécessité leur construction, et de penser qu'il y avait là de la vie auparavant. Aujourd'hui, ces ruines offrent un décors et une ambiance avec un certain charme.

Je me trouve souvent sur le GR1 qui traverse le Nord du pays, que je quitte pour prendre des racourcis ou au contraire pour faire des détours afin d'approcher les canyons. Je croise quelques touristes français en ballade ou en VTT sur le GR1, autrement je suis complètement seul. Il est impressionnant de voir la taille de ces canyons au regard du faible debit des rivières qui s'écoulent dans leur fond, qui les ont pourtant creusés sous l'action lente et puissante du temps. Je longe une partie du cañon del Mascún à flanc de falaise. De manière similaire au canyon d'Ordessa non loin d'ici dans les Pyrénées, c'est un chemin vertigineux vu de loin. On se demande comment est-ce possible qu'il soit pratiquable, et puis une fois dessus ça passe sans problème et le chemin est grandiose. Les formations géologiques calcaires sont variées. Les parois du canyon forment parfois des rideaux ondulés rigides et minces, en haut des quels poussent quelques arbres braves et solitaires. Parfois, des stalactites géantes s'élèvent du fond du canyon jusqu'à ma hauteur.

En sortant de la Sierra se Guara, j'ai mes premières vues sur la chaîne des Pyrénées, une forteresse intimidante qui se dresse devant moi. J'ai du mal à réaliser que je suis venu ici à pieds depuis Tarifa. Lorsque j'y parviens, cela me procure une certaine émotion. Je rejoins un secteur que je connais : je vois l'arrière du cirque de Gavarnie et la face Nord du mont Perdu sur lequel j'étais monté en septembre denier. Cette fortesse pyrénéenne, je l'ai justement traversée d'Est en Ouest. Alors là, je peux bien la traverser du Sud au Nord. Sauf que nous sommes fin mai, et que depuis une semaine la météo s'est soudainement rafraichie. Il y a de la neige à partir de 2000m côté espagnol, et 1700m côté français. Je dois donc revoir mon itinéraire pour éviter les cols où je comptais passer. Chaque soir je passe du temps sur la carte à étudier plusieurs possibilités. Dans tous les cas, j'aviserai sur place en fonction de la météo et de l'enneigement local. Je souhaite passer la frontière à une date précise, et aller rendre visite à une amie qui habite juste de l'autre côté avant qu'elle ne s'absente. J'enchaîne alors des grosses étapes, visant quelques jours de repos ensuite pour récupérer. Cela m'est facilité par la présence régulière de cabanes non gardées, qui m'offrent un abri confortable et m'économisent du temps d'installation et de rangement du bivouac. J'enchaîne ainsi quatre nuits en cabane avec soirée devant un feu de cheminée. En plus de m'abriter des températures qui redeviennent négatives la nuit, ces cabanes me procurent surtout la paix d'être abrité du vent. L'Espagne est un pays très venteux. Depuis deux semaines, ce vent est particulièrement fort. Il est toujours là ou alors menaçant, soufflant la cime des arbres au dessus de moi, près à m'asaillir au prochain virage. Il m'empêche de prendre des pauses dignes de ce nom, il fait un vacarme dans mes oreilles, il fait s'envoler le moindre objet léger laissé libre une seconde, il me refroidit lorsque je m'arrête et me glace quand je me lave. Ce n'est rien de grave, mais c'est agressif et énervant. Pourtant, comme tout élément de la météo, le vent est, simplement, et il faut faire avec. Je suis autrement content d'être à nouveau en montagne, la haute montagne, de retrouver les Pyrénées !

Je trace un itinéraire qui me fait passer trois cols légèrement au-dessus de 2000m. J'appréhende un peu le fait qu'ils soient pratiquables. Dans tous les cas, je me promets de faire demi-tour s'il y a des passages trop enneigés ou des névés trop pentus à franchir, même si cela me contraint à faire de longs détours et à reconsidérer à nouveau mes plans. Finalement, les trois cols sont bien orientés et ne sont absolument pas enneigés, même si des sommets voisins à la même altitude le sont. Je décide de passer la frontière dans la vallée de Vielha, où un important axe routier relie les deux pays grâce à un tunnel de qui perce la montagne. C'est ici que je croise le tracé de ma traversée des Pyrénées. C'est la troisième fois que je viens dans cette vallée, je commence à connaître les lieux. Les cols au-dessus du tunnel de Vielha sont largement trop enneigés pour imaginer les franchir sans équipement spécial. Depuis quelques jours, j'ai l'idée de traverser le tunnel à pieds. Un couple de français rencontré quelques jours plutôt m'ont dit que c'est dorénavant interdit à pieds et à vélo. Je souhaite tout de même tenter le coup. J'aviserai sur place si je passe le tunnel à pieds ou en stop. Peut-être extrémiste, ça m'embêterais de casser ici la l'intégralité de ma traversée à pieds à cause d'un interdit. Arrivé à l'entrée du tunnel, je stresse un peu. Comme dans tout tunnel, il y a un trottoir suffisamment large pour marcher sans danger. Je ne me rends pas compte d'à quel point je risque d'avoir des ennuis. Ce serait idiot de prendre des risques inutiles, mais après tout il ne s'agit pas de risques physiques. Je vais voir 300m plus loin, là où je vois sur ma carte le tunnel de secours parallèle. Le tunnel est ouvert, il n'y a personne, je m'y engage. À l'intérieur il fait noir, avec une lumière tous les 400m, là où sont situés les couloirs qui rejoignent le tunnel principal. Le tunnel est parfaitement rectiligne sur ces 5,4 km de longueur. Rapidement j'éteins ma frontale. Il fait alors tout noir autour de moi, je ne vois rien à part le prochain point lumineux qui suffit à m'orienter sans devier. Il fait 5°C avec un léger vent de face. Voilà une expérience et une sensation uniques que je suis content de m'offrir ! J'avance tranquillement. À chaque lumière, un panneau indique les distances vers les deux extrémités du tunnel. Cela me parait plus long que 5 km de plat sur une piste. À mi-chemin, je vois une lumière différente au loin qui s'avance bel et bien vers moi, il s'agit d'une voiture. Mince, je regagne le trotoir et rallume alors ma frontale pour me signaler. Mauvaise coïncidence temporelle, il s'agit d'un employé du tunnel. Il s'arrête brusquement, sort et m'engueule agressivement. J'essaye de lui montrer que je ne suis qu'un marcheur inoffensif mais il ne veut rien savoir. Il attrape son téléphone mais forcément, avec plus d'un kilomètre de terre au-dessus de notre tête, il n'y a aucun réseau. Il me laisse alors la paix, réalisant j'imagine qu'au delà de l'effet de surprise, je ne présente aucun danger pour autrui ou pour moi-même. À la sortie du tunnel, personne ne m'attend, cela n'aura été qu'une simple péripétie. C'est fait, demain je pourrai passer en France en ayant traversé l'Espagne à pieds, avec la fantaisie en plus d'avoir traversé un tunnel à pieds ! J'arrive de nuit à Vielha pour ma dernière nuit en Espagne. Le lendemain, je descends l'autre versant de la vallée de Vielha. Les villages sont très touristiques, avec une majorité de maisons de location. Je traverse aussi ces villes tristes où l'activité économique se résume à des supermarchés qui vendent tabac, alcool et essence aux français qui viennent s'approvisionner de l'autre côté de la frontière. Je passe la frontière dans la soirée et suis alors en Haute-Garonne, tout près de l'Ariège. Il est 20h30, et il me reste encore 800m de montée pour passer cette première soirée dans une cabane luxueuse repérée sur ma carte. Bien que mes muscles soient fatigués par les dernières journées, cette dernière montée passe très bien. J'arrive à la tombée de la nuit après avoir vu une vingtaine de biches sur le chemin. La cabane est déjà occupée par une famille, c'est avec eux que je célébrerai cette étape. Quand je pense que le matin même je me réveillais sous le porche d'une chapelle à Vielha, cela me paraît bien lointain !

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Un des villages abandonnés qui tbe en ruine.

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En dehors des routes et des sentiers balisés, je me sens seul au monde.

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Le cañon del Mascún...

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...et son chemin à flanc de falaise.

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Première vue sur les Pyrénées

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Une des cabanes qui m'a permis de m'abriter confortablement et d'enchaîner des grosses étapes.

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La vallée de Vielha

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Voilà pourquoi j'ai choisi l'option tunnel

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Première frontière de cette traversée après 1800km à pieds en Espagne ! Je suis content d'être là, du chemin parcouru, et de celui qui s'ouvre devant moi !

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J'ai retracé la totalité mon itinéraire parcouru en Espagne en une trace GPX visible sur une carte et téléchargeable ici : https://link.locusmap.app/t/rjycfe

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#13 24-07-2023 07:30:43

Krauser
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

T'as vraiment utilisé le tag [En cours]  lol
Ca a l'air d'être un gros retour, merci du partage, je vais lire tout ca !  wink

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#14 24-07-2023 07:47:08

Old timer
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Un grand Merci !

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#15 27-07-2023 16:01:54

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

France : Col d'Artigascou > Carcassonne (Ariège, Aude)

21/05/2023 > 03/06/2023
242 km ; D+ 9,1 km ; D- 10,4 km

Depuis le luxueux refuge du col d'Artigascou où j'ai célébré ma première nuit en France, je descends au village d'Aucazein en Ariège où je retrouve mon amie Emma chez qui je me repose quelques jours. Le changement de pays et l'arrivée en Ariège se fait sentir par l'environnement et son micro-climat. Je trouve qu'il s'agit d'une région intéressante entre campagne et montagne. Je marche dans des montagnes de moyenne altitude recouvertes d'immenses forêts sauvages et luxuriantes. Le printemps est tardif et pluvieux en Ariège. La végétation explose, les arbres sortent leurs jeunes pousses, les fougères se déploient, beaucoup de plantes sont en floraison. Les fleurs de sureau et d'acacia embaument les chemins d'un parfum savoureux. Depuis mon départ fin février du Sud de L'Espagne, je remonte l'arrivée du printemps.

Quotidiennement, des orages plus ou moins longs et violents éclatent en fin de journée. Heureusement, l'Ariège est le paradis des cabanes non gardées. Il m'est très facile de dormir dans l'une d'entre elles chaque soir sans avoir à adapter mon itinéraire. J'ai l'opportunité de découvrir quelques-unes d'entre elles en traversant le département en quelques jours. Cela me donne envie de toute les explorer, mais il faudrait habiter sur place pour cela !

De la neige étant encore bien présente au-dessus de 2000m, je ne passe pas par les plus hauts sommets proches de la frontière espagnole, mais un peu plus au Sud. Pendant deux jours je me retrouve sur le sentier cathare, un GR très bien entretenu et balisé, sur lequel existe un tourisme pédestre. Cet itinéraire relie Port-la-Nouvelle à Foix via plusieurs châteaux du pays cathare. Au village touristique de Montségur, le château du même nom surplombe fièrement le village et les alentours. Pour l'anecdote, ce château a inspiré la chanson 'Montsegur' du groupe d'heavy-metal Iron Maiden.

La France est un morcellement de petites régions typiques à la géologie et au climat sans cesse changeants. Le passage de l'Ariège à l'Aude en est une parfaite illustration. En un jour de marche, je passe d'une région humide couverte de grandes forêts où je marche souvent dans la boue, à une autre région aride où des vignes, des chênes chétifs et des plantes grasses poussent sur un sol sec et caillouteux. Ainsi, en France et je crois de manière assez générale en Europe, l'environnement change vite même en se déplaçant à pieds. À Carcassonne je rejoins mon ami Pierre qui est venu me rejoindre pour une soirée. Il m'invite au resto dans la cité médiévale et nous parlons marche, voyage... J'ai connu Pierre grâce à son récit filmé d'une traversée à pieds du désert mauritanien, publié sur RL https://www.randonner-leger.org/forum/v … p?id=37380

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Vue depuis le col d'Artigascou, première nuit en France. À l'horizon les sommets enneigés de la frontière.

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La végétation a commencé a exploser deux semaines avant mon arrivée. Les conifères font leurs nouvelles pousses, les fougères sortent de terre et se déplient, les plantes fleurissent.

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La cabane de Goulur, l'une des plus spacieuses et luxueuses que j'ai connues.

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Souvent la même question en suspens : l'orage viendra-t-il sur moi ou pas ?

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Le château de Montségur

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Bivouac de transition entre l'Ariège et l'Aude. D'un côté les montagnes couvertes de forêts humides, de l'autre une terre aride et des vignes.

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#16 27-07-2023 16:19:27

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

France : Carcassonne > Villefort (Montagne noire, Hérault, Cévennes)

04/06/2023 > 19/06/2023
302 km ; + 9,5 km ; -8,8 km

Je repars de Carcassonne, en direction du Nord-Est, selon un parcours qui suit le relief de différentes regions. La journée en sortant de Carcassonne est longue. Je longe les routes plates jusqu'à enfin atteindre le début de la montagne noire, ce massif dans le Tarn dont les résineux confèrent une teinte sombre. L'environnement calcaire a provoqué la formation de nombreuses grottes, dont peu en proportion sont accessibles par le grand public. Je visite la grotte de Limousis, habitée il y a longtemps par l'ours des cavernes, puis par l'humain depuis le néolithique. Magnifique.

Après ce tronçon dans le Tarn je passe dans l'Herault. Le changement d'environnement est net et perceptible à tous points de vue : géologique, végétation, climat etc. Les vues sont plus dégagées, la végétation est moins dense, le sol plus sec, et chaque vallée reste différente et unique. Mon intérêt pour les cabanes a trouvé la plus luxueuse et bucolique où j'ai dormi jusqu'à ce jour : le refuge de Caïssenlols, une maison dans un ancien hameau en ruine isolé au milieu des châtaigniers, restaurée par une association. Il y a de quoi cuisiner, une belle cheminée, un beau carrelage, de belles menuiseries, un étage et un sous-sol pour dormir, et dehors d'autres aménagements dans les ruines. Un ruisseau à côté permet de se baigner et de boire. Un petit coin de paradis qui donne envie d'y avoir ses habitudes, ça fait presque bizarre de n'être que de passage.

Quelques jours plus tôt, j'ai fait la rencontre de Michel dans un camping, bienvenue après une journée où j'étais de mauvaise humeur. Michel vit sa retraite sur son vélo pendant l'été et rendant visite à ses proches pendant l'hiver, avec des périodes de bénévolat dans les auberges de Compostelle. Voyant mon itinéraire, il me propose d'être hébergé chez des amis à lui à Lunas, à quelques jours de là. Il leur propose et le rendez-vous est pris. Ainsi, en repartant du refuge de Caïssenlols, j'ai la chance de rencontrer Florence et Tony le soir-même. D'une nuit prévue pour repartir le lendemain matin, je reste finalement deux jours et deux nuits tant la rencontre est riche. En repartant, après seulement cinq kilomètres de marche, une voiture s'arrête à mon niveau, c'est Sylvain rencontré quelques jours plutôt sur le chemin, qui m'invite chez lui pour la soirée et la nuit. Belle atmosphère du côté de Lunas ! Je reste là aussi plus longtemps que prévu pour lui rendre service en gardant son fils le lendemain, et car l'échange est riche. Un beau condensé de rencontres offertes, où le fait d'être de passage fait, je crois, que nous allons vite et loin dans l'échange et l'enrichissement mutuel. Autant de rencontres qui marquent mon voyage et laissent une trace.

En repartant, je monte sur le plateau du Larzac que je longe une journée avant de plonger dans le majestueux cirque de Navacelle. C'est le début des Cévennes, des causses, ces grands plateaux séparés par des gorges et des cirques. Je traverse une partie du Gard et monte sur le mont Aigual qui donne son nom à nombre d'enseignes et de spécialités de la région, où j'ai un magnifique bivouac avec une vue à presque 360°. Je passe ensuite en Lozère, au cœur du parc national des Cévennes. Décidément, la diversité et la proximité des regions de France ne cesse de me surprendre et de m'émerveiller. Je trouve que s'y déplacer à pieds est adapté, tant ces régions sont finalement petites et typiques.

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La grotte de Lousis

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La montagne noire dans le Tarn traversée par de grands chemins forestiers

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Tout à coup après les forêts sombres de la montagne noire, l'Herault.

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Le refuge Caïssenlols, un coin idylique dans une forêt de châtaigniers.

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Arrivée dans le Larzac par le cirque du bout du monde

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Nuit à la belle étoile en haut du cirque du bout du monde...

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...et le lendemain nuit à la belle étoile dans le cirque de Navacelle.

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Le grand cirque de Navacelle

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Bivouac en haut du mont Aigual...

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...avec une vue panoramique

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Une trouvaille toute simple qui a révolutionné mon confort : utiliser ses bâtons et son sac pour se faire une assise confortable en toute situation. Comment n'y avais-je pas pensé avant...

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Le paysage de transition entre la Lozère et l'Ardèche que je m'apprête à traverser.

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#17 27-07-2023 16:35:53

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

France : Villefort > Grenoble (Ardèche, plaine du Rhône, Vercors)

20/06/2023 > 08/07/2023
304 km ; + 9,8 km ; - 10,2 km

Les paysages des causses parcourus laissent vite la place aux monts d'Ardèche. À Villefort, je retrouve mon amie Claire pour une semaine de marche ensemble dans cette région. Nous parcourons les vallées et les crêtes ardechoises. Nous nous disons qu'il s'agit d'un massif de moyenne montagne comparable aux Vosges dont nous sommes habitués, bien que le massif ardechois ne soit généralement pas cité comme tel. Les vallées sont souvent recouvertes de forêts de châtaigniers, emblème du département, en floraison en cette saison, illuminant les flancs de montagne verts de points jaunes avec leurs fleurs jaunes en étoile. Sur les plateaux et les crêtes, les genêts, que je retrouve régulièrement sur mon chemin depuis le Sud de l'Espagne, sont eux aussi en fleurs et tapissent les crêtes d'un jaune vif. Ces fleurs procurent un parfum toujours agréable à respirer par surprise en marchant. Les plateaux sont également occupés par des pâturages en estive avec brebis et bergers, ou par des prairies en pleine saison des foins. La région est belle, agréable à découvrir à pieds, diversifiée, avec du relief et beaucoup de petits hameaux et villages accueillants.

À Aubenas, nous nous laissons avec Claire et j'accueille mon amie Louise pour une autre semaine de marche en Ardèche. Nous marchons la deuxième moitié de cette traversée en diagonale de l'Ardèche, toujours à travers les forêts, crêtes, prairies, villages, et en longeant des beaux cours d'eau tels la Volane et l'Eyrieux. Ces deux semaines de marche sont comme des vacances, avec le plaisir du beau temps, des proches, de manger une glace et boire un coup, de se baigner dans les rivières et dormir dehors, tout en gardant une activité sportive itinérante ainsi que l'inconnu généreux et stimulant de l'aventure. À Saint-Romain-de-Lerps, un village à 700m d'altitude à l'extrémité Est du département au-dessus de la plaine du Rhône, se situe un belvédère avec une vue absolument incroyable à 360° sur l'Ardèche et sur toute la plaine du Rhône avec les massifs montagneux de l'autre côté. On peut voir le Mont Blanc comme le Mont Ventoux, la Chartreuse et le Vercors qui se dressent en face de nous, et derrière plus loin et plus haut, les sommets de Belledonne et des Écrins. Nous voyons le Rhône passer pas loin en contrebas, les villes de Valence et Romans-sur-Isere, et toutes les parcelles agricoles de la plaine. Un vrai cours de géographie où l'on prend de la hauteur et où la vue apporte autant que la carte. Nous sommes éblouis par cette vue, et dormons là pour assister au levé de soleil le lendemain matin. Quelques kilomètres plus loin, nous descendons à Tournon-sur-Rhône, nous voilà sur la frontière avec la Drôme, fin et célébreration du chapitre ardechois. À un bar-péniche en regardant le coucher de soleil sur le Rhône, Camille et Ambre, entendant que nous ne savons pas encore où dormir cette nuit, viennent spontanément nous inviter chez elles. Adorable, très belle rencontre qui ravit tout le monde et nous laisse souriants !

Pour rejoindre le Vercors que je franchirai pour atteindre Grenoble, il faut d'abord traverser la plaine du Rhône. Cela contraste avec l'Ardèche tant l'espace est naturellement beaucoup plus dense, habité et exploité. L'agriculture y est intense et variée : vignobles, grandes cultures, vergers de noyers et de fruitiers. Deux jours suffisent à traverser cette plaine qui ne donne pas envie de s'y éterniser. Heureusement l'Isère que nous longeons à plusieurs reprises est une très belle rivière. Louise repart depuis Romans-sur-Isere. Quelques heures de marche plus loin, je rends visite le soir-même à mon ami Cédric qui habite au pieds du Vercors, chez qui je reste trois jours. En repartant, je traverse le Nord du Vercors, qui n'est pas la partie la plus impressionnante du massif, mais un itinéraire est toujours un compromis, surtout au lon court. Je suis tout de même témoin des plateaux et des falaises caractéristiques du Vercors. J'ai là aussi de belles vues sur la plaine du Rhône et l'Ardèche d'un côté, et sur Grenoble et les massifs des Alpes de l'autre. J'arrive enfin à Grenoble où je vais rester quelques jours organiser la suite, heureux d'y retrouver des proches !

C'est la fin de cette deuxième partie de ma marche, après l'Espagne et avant les Alpes. J'ai marché en France 870 km avec 28 km de dénivelé, pour un total de 2600 km avec 83 km de dénivelé depuis mon départ de Tarifa le 19 février. Je suis content de ce passage en France, pour y avoir donné et reçu de la visite, pour les belles rencontres et les beaux échanges facilités par le fait de parler la langue, et pour avoir découvert des regions que je ne connaissais pas ou peu, et d'avoir ressenti à pieds la diversité et la spécificité de tous ces endroits magnifiques de ce pays, intéressants à découvrir ou approfondir. Le faire à pieds est un effort, un pas de côté, et une chance.

L'itinéraire de cette partie en France est consultable et téléchargeable ici : https://link.locusmap.app/t/rxnpth

Prochaine étape vers Istanbul, une grande traversée des Alpes jusqu'en Slovénie !

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Entrée en Ardèche dans les forêts de châtaigniers

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Les crêtes sont couvertes de genêts en fleur.

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Bivouac ultra-light

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La chapelle du belvédère à Saint-Romain-de-Lerps...

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...d'où il y a une vue panoramique sur la plaine du Rhône...

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...et sur l'Ardèche.

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Arrivée sur la plaine du Rhône

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Coucher de soleil à Tournon-sur-Rhône

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Les vergers de noyers dans la plaine du Rhône

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Arrivée dans le Vercors

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Le plateau de la Molière

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Descente vers Grenoble

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#18 27-07-2023 16:37:38

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Les Alpes

Voilà cinq mois que je suis parti à pieds de Tarifa. J'ai traversé l'Espagne et la France en marchant 2600 km, sur les environ 7000 km jusqu'à Instanbul, et me voilà à Grenoble. L'Epagne était un premier chapitre de cette marche, le pays où j'aurai certainement marché le plus de temps et de kilomètres, un pays que je ne connaissais presque pas et dont j'ai fait la connaissance à travers des regions très rurales et parfois montagneuses. Cette première partie m'a rapproché de chez moi, la France, où j'ai pu passer deux mois agréables et riches en marchant dans des régions aussi belles qu'inconnues pour moi, où j'ai eu la chance de rendre visite et de marcher avec des proches. Maintenant, un troisième et grand chapitre s'ouvre : traverser les Alpes jusqu'en Slovénie. Il s'agit de la partie la plus montagneuse de cette traversée d'Europe, dont je me réjouis pour l'expérience de marcher autant en haute montagne.

Ce troisième chapitre représente aussi pour moi comme un deuxième départ, puisque après m'être rapproché et de la France et y avoir marché, je m'en éloigne. De plus en plus, je ressens l'envie et la hâte de m'éloigner, d'être loin et dépaysé, dans un environnement inconnu ou je perds mes repères, decouvre et m'adapte. Je réalise en effet que depuis le début, bien qu'étant dans un mode de vie de marche itinérante avec tout l'inconnu et l'aventure que cela représente, je reste aussi d'une certaine manière dans une zone de confort que je connais et maîtrise. Marcher est un privilège qui permet d'être au plus près de la réalité objective et exhaustive des espaces que l'on traverse, et reste évidemment un mode de déplacement lent. Je me sens parfois pressé d'être loin dans des pays qui m'attirent et représentent un exotisme dans mon esprit. Je m'en rapproche, lentement, mais ce temps je me l'offre, et j'ai à cœur de rester ouvert au dépaysement chez soi et proche de chez soi. L'arrivée dans les pays slaves et des Balkans n'en sera certainement que plus forte. Et les Alpes, il doit avoir matière à en prendre plein la vue !

Je m'arrête une semaine à Grenoble pour voir des ami•es et rester chez mon amie Lisa pour prendre le temps de se voir, bricoler et réparer un peu mon matériel, et planifier la suite de mon parcours. Je prends une journée pour retracer un itinéraire prévisionnel de la traversée des Alpes. Il y a une infinité de possibilités de traverser les Alpes, tant c'est grand, tant il y a de chemins, et tant de zones sont attrayantes. Je dessine alors un tracé à l'intuition, sans vraiment me documenter sur les différents massifs, mais en parcourant la carte pour voir les zones qui me donnent envie spontanément. Le tracé s'adapte aussi à la possibilité ou non de relier ces différentes zones à pieds, car souvent les barres rocheuses et les glaciers constituent des impasses lorsqu'on ne fait pas d'alpinisme et obligeraient à faire de trop grands détours. L'itinéraire est aussi un éternel compromis entre vouloir explorer chaque recoins et sommets, et vouloir avancer vers sa destination. Enfin L'itinéraire s'adapte à la localisation des supermarchés et épiceries pour pouvoir se ravitailler à une fréquence réaliste. J'essaye de rester en hauteur, d'éviter de redescendre trop souvent dans les vallées, tout en gardant une direction assez rectiligne vers l'Est. Je vais ainsi traverser les Alpes majoritairement par le Nord de l'Italie, un peu par le Sud de la Suisse, en longeant la frontière Italie-Autriche, et enfin par les Alpes juliennes en Slovénie. Cet itinéraire previsionnel fait 1200 km avec 77 km de kilomètres, soit environ deux fois la traversée des Pyrénées par la Haute Randonnée Pyrénéenne (HRP). Pour le moment, il fait jusqu'à 37°C à Grenoble, donc je ne suis pas pressé de repartir sous cette chaleur. Je vais néanmoins devoir m'y confronter et m'y adapter puisque l'été s'annonce caniculaire. Départ le 14 juillet !

Itinéraire parcouru en Espagne : https://link.locusmap.app/t/rjycfe
Itinéraire parcouru en France : https://link.locusmap.app/t/rxnpth
Itinéraire previsionnel des Alpes : https://link.locusmap.app/t/m2nyjn

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#19 28-07-2023 09:36:07

pogo
Membre
Inscription : 27-03-2017

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Excellent, merci *Samuel.

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#20 31-07-2023 08:21:52

ollé ollé
Itinérances
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

De tout cœur avec toi. J'ai parcouru un chemin similaire mais dans l'autre sens, de Constantsa, en Roumanie sur la mer noire, à Tarifa, puis remontée sur Séville.
Mon chemin était plus à l'est en Espagne jusque Antequera ( ou j'ai attrapé la grippe...). Et j'ai beaucoup suivi le Danube, plus au nord que ton projet.
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#21 31-07-2023 09:37:38

ludof
Membre
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Quel magnifique projet, bravo !
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#22 31-07-2023 18:15:32

Nicolas36
Marcheur léger
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

*Samuel a écrit :

Je prends une journée pour retracer un itinéraire prévisionnel de la traversée des Alpes. Il y a une infinité de possibilités de traverser les Alpes, tant c'est grand, tant il y a de chemins, et tant de zones sont attrayantes. Je dessine alors un tracé à l'intuition, sans vraiment me documenter sur les différents massifs, mais en parcourant la carte pour voir les zones qui me donnent envie spontanément. Le tracé s'adapte aussi à la possibilité ou non de relier ces différentes zones à pieds, car souvent les barres rocheuses et les glaciers constituent des impasses lorsqu'on ne fait pas d'alpinisme et obligeraient à faire de trop grands détours. L'itinéraire est aussi un éternel compromis entre vouloir explorer chaque recoins et sommets, et vouloir avancer vers sa destination. Enfin L'itinéraire s'adapte à la localisation des supermarchés et épiceries pour pouvoir se ravitailler à une fréquence réaliste.

Ce passage me rappelle un souvenir : j'ai rencontré dans les Ecrins un randonneur qui traversait les Alpes du nord au Sud, à l'Est de Prapic. Cinq jours plus tard je le rencontrerai à nouveau entre Prapic et Dormillouse. Il n'avançait presque pas. Sa démarche était de faire tous les sommets accessibles avant de passer à une vallée plus méridionale.

Bonne continuation !


Modifications non signalées = Corrections de français

Récits-Listes : Brenne - Ecrins et Queyras - HRP par section

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#23 05-08-2023 10:14:15

*Samuel
Membre
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Ouahou merci beaucoup à vous pour vos retours et encouragements !

ollé ollé a écrit :

De tout cœur avec toi. J'ai parcouru un chemin similaire mais dans l'autre sens, de Constantsa, en Roumanie sur la mer noire, à Tarifa, puis remontée sur Séville.
Mon chemin était plus à l'est en Espagne jusque Antequera ( ou j'ai attrapé la grippe...). Et j'ai beaucoup suivi le Danube, plus au nord que ton projet.
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Ah super intéressant ! Bravo. Ça m'intéresserait d'en savoir plus à l'occasion. As-tu fait un récit ou quelque chose à l'issue de cette marche ? Merci à toi !

Nicolas36 a écrit :

Ce passage me rappelle un souvenir : j'ai rencontré dans les Ecrins un randonneur qui traversait les Alpes du nord au Sud, à l'Est de Prapic. Cinq jours plus tard je le rencontrerai à nouveau entre Prapic et Dormillouse. Il n'avançait presque pas. Sa démarche était de faire tous les sommets accessibles avant de passer à une vallée plus méridionale.

Chacun ses compromis et ses objectifs, en ce moment je cherche plus à passer par tous les bivacco italiens que par les plus hauts sommets. big_smile


Voici la suite...

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#24 05-08-2023 10:29:05

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Les Alpes : Grenoble > Aoste (Belledonne, Beaufortin, frontière franco-italienne)

14/07/2023 > 28/07/2023

251 km ; D+ 13,1 km ; D- 12,7 km

Après presque une semaine de pause à Grenoble, je reprends la marche sous des températures toujours supérieures à 30°C. Après une première journée sur du plat pour quitter la ville en longeant la Chartreuse le long de l'Isère, je traverse le massif de Belledonne d'Ouest en Est. Je ne sais pas si c'est cela provient de la pause sans marcher, d'avoir eu un rythme tranquille avec peu de dénivelé le mois dernier, ou de la chaleur, mais le fait est que je manque d'énergie, mes jambes n'ont plus de puissance en montée, je suis épuisé de retrouver la montagne. Je pense que la chaleur y est pour beaucoup. Monter par 35°C même à l'ombre est vite épuisant car je n'arrive pas à me refroidir. Quand il n'y a pas d'ombre, n'en parlons pas... Je transpire bien plus que je ne parviens à évaporer ma transpiration, alors mon corps est en surchauffe et ne peut pas suivre. De plus mon sac-à-dos ALD parvient bien à évacuer la transpiration au niveau du gilet (pas du dos), mais plus à partir d'une certaine température. Là, je dois m'arrêter régulièrement et boire énormément quitte à me forcer. Mouiller mon T-shirt dès que je croise un ruisseau et de le remettre en l'essorant à peine fonctionne bien. Non seulement l'eau froide me rafraîchit par contact, mais l'évaporation de cette eau par le soleil me refroidit également, j'ai alors moins chaud et moins soif. Je pense souvent au fait que notre grande capacité à transpirer et donc à nous refroidir a certainement constitué un avantage évolutif a l'humain. En comparaison, beaucoup d'autres mammifères peuvent courir bien plus vite par exemple, mais très peu temps faute de pouvoir se refroidir. Un jour, j'arrive carrément à une cabane vraiment épuisé après une montée en plein soleil sur un chemin glissant qui n'existe presque plus où je me fait sans cesse piquer par les orties. Je m'arrête à une source dans un pierrier, prends une douche, fais une lessive en me contorionnant sur les rochers et me force à boire deux litres d'eau supplémentaire. Je repars, chaque pas est un effort difficile, et j'arrive enfin à la cabane un peu plus haut. J'envisageais atteindre une cabane plus loin mais je n'hésite plus, je m'arrête ici même si j'ai fait une "petite journée", car si je continue c'est le malaise. Il y a des jours où j'ai particulièrement beaucoup d'énergie sans savoir pourquoi, et d'autres jours où j'ai particulièrement peu d'énergie sans savoir pourquoi. Au moins il est relativement tôt, j'ai le temps de me reposer, de prendre des photos et d'assister à un très beau coucher de soleil.

Après Belledonne, je traverse un autre petit massif puis le Beaufortin jusqu'à Bourg-Saint-Maurice. Ces endroits sont très occupés par des stations de ski en activité aussi l'été pour d'autres activités, des grands complexes hôteliers, bref des villages et stations quasi-exclusivement tournés vers un type de tourisme. Il m'est alors étrange et pas franchement agréable d'être entouré de gens et de se croiser parfois sur les sentiers, sans que la rencontre ou simplement l'interaction paraisse probable au-delà de se saluer. Je trouve ces infrastructures démesurées, comme s'il fallait au moins tout cela pour venir et profiter de la montagne. Le rapport avec les commerçants est généralement froid, impersonnel et parfois désagréable si j'ai la décadence de demander à charger mon téléphone pendant que je bois un café... Je me pose souvent une question existentielle : presque tout le monde autour de moi a des chaussures, habits, sacs et VTT visiblement tout neufs directement sortis du magasin, est-ce parce qu'ils renouvellent leur équipement chaque année ou parce que c'est la première et dernière fois qu'ils viennent en montagne ? J'en ai un peu marre des bivouac sous les remontées mécaniques et de me sentir intru et en décalage, mais encore une fois cela fait partie de la diversité, du contraste et de la réalité des territoires traversés. J'essaye par ailleurs autant que possible à rester ouvert aux rencontres toujours potentielles et inatenndues.

Je descends par hasard entre Moûtiers et Albertville le jour où le tour de France passe par ici. Pendant toute la journée plusieurs hélicoptères volent pour suivre et filmer l'étape. L'événement attire beaucoup de monde et monopolise gendarmes et policiers. Enfin une interaction humaine sympathique dans un camping au-dessus de Moûtiers, où j'échange un peu avec le gérant sympathique qui m'offre bière et petit-déjeuner pour m'encourager. De là, je monte dans le Beaufortin, un petit massif aux grands pâturages verdoyants où est confectionné ce délicieux fromage. Je descends sur Bourg-Saint-Maurice, avec le plaisir de reconnaître les lieux où j'avais marché il y a trois ans avec des amis, lors d'une randonnée du lac Léman à Briançon.

Après un jour de pause à Bourg-Saint-Maurice pour laisser passer un orage aux grêlons casseurs de pare-brises, je m'élance vers la frontière italienne. 1000m de D+ pour atteindre encore une grosse station touristique, puis de nouveau 1000m de D+ pour être enfin dans une montagne belle et plus sauvage. Après 30°C en milieu de journée, j'ai à présent du vent, de la pluie et 5°C dans les hauteurs en approchant du col. J'optimise souvent mes vêtements accessoires (gants, tour de cou, bonnet, veste) pour m'adapter aux conditions fluctuantes, j'aime bien ce rapport à l'équipement. Le soleil de fin d'après-midi qui perce les nuages en mouvement offre quelques belles photos. Après un dernier passage de pierrier et de névé, j'arrive enfin au col de la Lex Blanche qui marque la frontière. Après avoir été dans les nuages avec quelques flocons de neige, j'ai la chance d'avoir une vue dégagée une fois arrivé au col. J'ai d'autant plus de chance que cette belle éclaircie est de courte durée. Le temps de m'installer dans un vieil abri militaire italien abandonné en contrebas du col, la neige tombe pour de bon et recouvre le paysage. C'est un beau spectacle. Je m'installe dans cet abri en ruine aux fenêtres manquantes, que j'améliore en confectionnant un beau bas-flanc avec des planches en bois pour y passer la soirée et la nuit. Ce n'est pas grand chose, mais je suis content à l'idée que cet aménagement servira à d'autres, et d'agrémenter les bases de données refuge.info et OSM au cours de mon parcours. Avec du vent, de la neige et -6°C dehors, j'apprécie d'avoir un toit. Pendant la nuit des stalactites se forment sur les bordures du toit de l'abri. Le lendemain sera une nouvelle très belle journée de randonnée en montagne, avec des températures négatives comme du soleil qui tape fort, où je monte au col de Planaval en longeant le grand glacier du Ruitor. Depuis ce premier point de ma marche qui dépasse les 3000m d'altitude, je vois la grande vallée d'Aoste vers laquelle je me dirige. Après une descente très délicate entre névés glacés et pierriers à gravillons, je passe une nouvelle nuit à ‐6°C face au glacier du Ruitor d'un côté, et à la vallée d'Aoste de l'autre. Le lendemain, je descends les 2000m jusqu'à Aoste. Cette vallée me fait penser au lac Léman du côté suisse. Il y a une autoroute, des hammeaux aux belles maisons fleuries, des vignes, des vergers, le tout entouré de montagnes avec des sommets enneigés. Un curieux mélange, où seul le lac Léman serait remplacé par la rivière Dora Baltea à la couleur turquoise. Ça y est, je suis vraiment en Italie. J'apprécie déjà l'accent italien. Je me rends compte que le peu d'espagnol que j'avais progressivement appris en Espagne m'était finalement assez utile. Je souhaite alors apprendre au moins des rudiments d'italien. Nuit au camping, bière et pizza pour marquer cette arrivée et cette première section alpine.

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Je monte dans Belledonne avec la Chartreuse et ses falaises en face de moi, et au loin un aperçu des Bauges derrière Chambery.

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Premier bivouac dans les Alpes

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Belledonne

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Coucher de soleil depuis le chalet du Vay

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La petite cabane de Pouprezaz dans le Beaufortin, où je passe une journée de pause et deux nuits pour reposer une douleur au genoux et faire d'autres activités que marcher.

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Lente descente vers Bourg-Saint-Maurice

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Dernière montée vers la frontière

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J'y suis, col de la Lex Blanche, frontière franco-italienne !

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Une belle vue depuis ce col lors d'une éclaircie...

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...rapidement remplacée par une chute de neige qui recouvre le paysage et le vieil abri militaire où je passe la nuit.

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Face au glacier du Ruitor

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Arrivée au col de Planaval à 3000m d'altitude, qui surplombe la grande vallée d'Aoste

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Descente vers Aoste à travers de beaux hammeaux italiens

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Edit : orthographe, mise en page

Dernière modification par *Samuel (02-10-2023 11:48:25)

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#25 05-08-2023 11:31:30

ludof
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Merci pour ce nouveau compte rendu bien dépaysant, et dont quelques photos me sont familières (je suis passé dans le Val d'Aoste lors de ma rando de fin juillet).

Juste une petit remarque, il manque un "i" dans "glacier du Ruitor"

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