Aller au contenu

#51 18-11-2023 11:33:33

gilles516
Membre
Lieu : Toulouse
Inscription : 10-09-2021

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Un grand merci de nous faire vivre cette aventure par ton récit. BRAVO  pouce  pouce  pouce

Hors ligne

#52 18-11-2023 11:35:43

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Magne2 a écrit :

Je te suis depuis quelques temps ,toujours intéressant,mais tu gagnerai en confort de lecture a mettre les photos dans le texte et non après

Ok je prends note. Merci du retour et du conseil.

Dernière modification par *Samuel (18-11-2023 11:36:30)

Hors ligne

#53 18-11-2023 14:29:39

bruno7864
partir, partir et découvrir
Lieu : toujours dans la Lune
Inscription : 11-10-2012

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

*Samuel a écrit :

#694438

Magne2 a écrit :

Je te suis depuis quelques temps ,toujours intéressant,mais tu gagnerai en confort de lecture a mettre les photos dans le texte et non après

Ok je prends note. Merci du retour et du conseil.

Samuel, La matière que tu proposes en temps réel est déjà chouette, et doit déjà te prendre pas mal de ton temps pour nous la proposer. Pour avoir déjà tenté de le faire en route ce n'est pas évident, alors chapeau pouce et profites de ta rando.

Hors ligne

#54 18-11-2023 23:06:08

laxmimittal
Membre
Inscription : 23-10-2016

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

*Samuel a écrit :

#694438

Magne2 a écrit :

Je te suis depuis quelques temps ,toujours intéressant,mais tu gagnerai en confort de lecture a mettre les photos dans le texte et non après

Ok je prends note. Merci du retour et du conseil.

samuel

moi j’aime bien que tu produise ces « pavés longuement ecrits
ca me permet de voyager dans ta tete
du coup je trouve bien les photos a la fin comme pour clore la séquence

comme quoi…on a pas tous le même ressenti

mais on adore ton recit :-))

Dernière modification par laxmimittal (18-11-2023 23:06:43)


La touche Majuscule de mon ordinateur fonctionne mal.

Hors ligne

#55 19-11-2023 09:53:45

brons07
Membre
Inscription : 27-06-2015

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Bonjour,
je suis aussi et c'est bien intéressant...merci.

Hors ligne

#56 25-11-2023 16:50:03

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Merci à vous pour vos retours et vos engagements ! Voici la suite avec un test en mélangeant le texte et les images.

Hors ligne

#57 25-11-2023 17:04:19

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Croatie : Karlobag > Knin (Velebit, Nacionalni park Plakenica, rivières Zrmanja/Krupa)

24/10/2023 > 02/11/2023
197 km ; D+ 6,8 km ; D- 7,7 km

Depuis Karlobag, je souhaite sentir encore un peu l'ambiance du bord de mer. Comme il y a peu de circulation, je marche 15 kilomètres sur l'unique route qui longe la mer avant de remonter dans les montagnes du Velebit. Avec le fort vent de face qui se lève, je ne suis finalement pas tant accaparé par la présence de l'eau et des îles à proximité, dans ce paysage qui semble rester identique au fil des kilomètres, à moins que je n'en saisisse pas les variations subtiles. Entre les villages quasi-entièrement dédiés au tourisme estivale plus rentable que n'importe quelle autre activité, je croise l'envers du décors : des décharges à ciel ouvert improvisées où s'entassent des matériaux de construction, du mobilier et de l'électroménager, le tout erodé et dispersé par l'eau et le vent. Les quelques hammeaux construits ou reconstruits récemment sont déserts en octobre. L'association paradisiaque de la mer, des montagnes et des îles, se mélange avec cet environnement aride et répétitif, dans lequel se situent des stations touristiques désertes construites à toute vitesse au cours des dernières années. Cette cohabitation étrange crée une atmosphère perturbante entre beauté et hostilité, entre émerveillement et dégoût, entre plaisir et pénibilité.

8asqx3eYR.20231105_141219.jpeg

8asqy7wcO.20231105_140733.jpeg
Je quitte Karlobag en longeant la mer avant de remonter dans le massif de Plakenica dans la partie Sud du Velebit.

8asqHDyhj.20231105_135905.jpeg
Entre deux villages touristiques, l'envers du décors : des décharges improvisées au bord de la route. L'occasion de regarder le JT.

Je regagne les hauteurs des chaînes montagneuse dans le parc national de Plakenica, dans le Sud du Velebit. Je grimpe alors à nouveau dans cet écosystème de pierres calcaires saillantes et abrasives, où pousse une végétation chétive mais épineuse et coriace. Le chemin existe par intermittence. Lorsqu'il n'y a que de la pierre, marcher en hors-piste est finalement similaire à suivre le sentier, mais lorsque la végétation apparaît ce n'est pas la même affaire. À plusieurs reprises, je m'égare dans celle-ci et progresse très péniblement en m'énervant au fur et à mesure que la pluie et le vent s'installent et s'intensifient. Il m'arrive de penser orgueilleusement que le sentier n'existe pas alors que je l'ai perdu. Alors quand je le retrouve, après le mélange de soulagement et d'humilité imposée, je m'attelle à le suivre méticuleusement. Je finis l'ascension par quelques heures de marche sous la pluie et le vent dans la nuit noire, éclairé par ma lampe frontale allumée au minimum, m'arrêtant de temps en temps pour regarder les lumières de la ville de Zadar au loin, et prendre conscience de l'endroit dans lequel je suis. Comme celui-ci est répétitif et qu'il fait nuit, j'avance pour me diriger vers ma destination et ma motivation : une nouvelle cabane. C'est le genre de moments, nombreux, où je mets la notion de temps en suspens. J'avance, je ne regarde la carte que si nécessaire, pour ne pas savoir où j'en suis et oublier aussi les notions de kilomètres marchés et restants. Je marche hypnotisé, pensant à tout va et ne pensant à rien aussi. C'est le genre de moments où je peux me poser des questions comme "Est-ce que j'apprécie ?", "Est-ce que ça fait partie des moments plus ou moins rudes à vivre, inhérents à la marche au long court ?", "Si je ne les apprécie pas, puis-je les apprécier ou les éviter ?", "Doivent-ils remettre quelque chose en question ?". Mais je peux aussi tout aussi bien ne pas me poser ces questions, simplement vivre et rendre flou ou obsolète la question du plaisir. Quoiqu'il en soit, ce moment par exemple n'est pas assez rude pour être difficile, et je suis satisfait qu'il ne me procure pas de doute. D'une certaine façon je suis à ma place. Chacun a ses moments de doutes, les miens sont ailleurs. Arrivé sur la crête, j'entre dans un vent puissant qui souffle un brouillard épais et une pluie à grousse gouttes, le combo qui refroidit bien plus qu'une température négative. Mon corps étant chaud, j'ai juste à ajouter ma capuche et des gants pour ne pas me refroidir. Je marche la tête baissée pour ne pas perdre le sentier dans ce brouillard aveuglant, jusqu'à ce que la cabane apparaisse comme par miracle et m'arrête de marcher. Sachant que je passerai la nuit dans cette cabane, il est aussi satisfaisant d'évoluer dans une telle météo sans m'inquiéter. La PS Šugarska Duliba fait partie des cabanes modernes récemment construites, ingénieusement conçues et optimisées. L'isolation est incroyable : je brûle quatre bûches dans le poêle, et la température grimpe de dix degrés qui diminueront à peine durant la nuit. Une fois de plus, je reste dans cet abri confortable le lendemain pour laisser passer la mauvaise météo et m'adonner à d'autres activités.

8asqLpXRN.20231105_135445.jpeg
Planinarsko sklonište Šugarska Duliba, une cabane récente très bien conçue où je passe une journée pendant que c'est la tempête sur les crêtes.

Les jours qui suivent sont eux aussi rythmés par la météo et la présence des cabanes. Je n'ai pas de rythme stable ni de journée type. Je décide et m'adapte au fur et à mesure. En sortant du parc de Plakenica, le paysage transitionne vers des montagnes plus arrondies, nues ou couvertes de pins intermédiaires entre des arbres et des arbustes. La vue se dégage et le vent soufle fort, parfois très fort. Lorsque ces conifères sont proches, le bruit du vent qui les traverse m'avertit des bourrasques qui m'atteignent juste ensuite. Selon si le relief me protège du vent ou non, je passe successivement de la tranquillité aux rafales, de la sensation de chaud à froid, adaptant continuellement mes vêtements accessoires. Le relief s'adoucit ensuite progressivement, et de la même manière que le temps s'étire lorsqu'on ne court pas après, le paysage s'étire et laisse s'épanouir de grandes plaines d'altitude aux allures de steppes. Il y a peu de végétation, de rares habitations ou hameaux énigmatiques, et beaucoup d'espace. Des ruines de bâtiments en pierres presques disparus semblent témoigner d'une époque où il y avait là une activité pastorale.

8asqQ2HxJ.20231105_134939.jpeg
Dans le Plakenica, le relief s'adoucit et les forêts laissent progressivement la montagne nue, alors balayée par des vents forts.

8asqSWHMG.20231105_134656.jpeg

8asqVhA25.20231105_134101.jpeg

8asqWD8qE.20231105_134427.jpeg
Un coucher de soleil coloré dans le brouillard et le vent.

8asqZpfmo.20231105_132848.jpeg

8asr1eOBj.20231105_132725.jpeg

8asr2YttX.20231105_141402.jpeg
Le relief s'étire ensuite davantage et je traverse d'immenses plaines d'altitude où je me sens... loin.

8asr7gjG6.20231105_132633.jpeg

8asr8y9yz.20231105_132436.jpeg

De ces hauteurs sur lesquelles je pourrais encore marcher quelques dizaines de kilomètres, je descends à Obrovac pour me ravitailler. Je retrouve une nouvelle fois ces roches abrasives et ette végétation épineuse, mais cette fois qui s'étendent jusqu'à l'horizon tout autour de moi. Je suis impressionné par ce qui m'apparaît être un désert, que je vais traverser. Depuis Obrovac je suis la rivière Zrmanja puis son affluent la Krupa. Dans une immensité plate et calcaire, ces deux rivières forment le seul relief qui interrompt la régularité de l'endroit par les canyons qu'elles ont creusés. Au fond de ces sillons de 200 mètres de profondeur coule une eau turquoise, qui par à-coups tombe en cascades comme dévalant un escalier. Une journée je descends en bas de ce canyon pour longer la rivière Krupa sur une dizaine de kilomètres, mais son niveau étant particulièrement haut à ce moment-là, le sentier visé se trouve en bonne partie immergé. Je me retrouve à marcher dans l'eau, escalader des pierriers, me frayer un passage à travers la végétation si dense que je suis impressionné à l'idée que les sangliers la traversent sans encombre. Lorsque je comprends que cela ne s'améliorera pas et après deux heures de galère de nuit, je remonte sur le plateau où je marcherai sur la route le lendemain, inutile d'insister. Ce jour là j'ai marché 13 kilomètres en huit heures de marche.

Je suis surpris du contraste de la région avec les montagnes du Velebit et la côte touristique voisines. Je croise quelques habitations modestes où vivent principalement des éleveurs. Le bétail est laissé en liberté pour se nourrir. Je me demande vraiment comment des chèvres et surtout des vaches arrivent à se nourrir suffisamment en glanant le peu d'herbe et les feuilles des arbustes, mais force est de constater que c'est le cas. Au bord de la route sont présents quelques campings et restaurants, eux aussi fermés en cette saison. Les croates avec qui j'ai discuté me disent que le tourisme a explosé au cours des cinq dernières années, au point de transformer radicalement des villes comme Split ou Dubrovnik en période estivale, de dédier la majeure partie des logements à la location, et d'accaparer la quasi-totalité de l'activité économique, au détriment d'autres secteurs comme l'agriculture.

De manière générale dans cet endroit, en l'absence de route ou de piste, je suis aussi frappé d'à quel point un environnement peut être naturellement hostile pour l'être humain. Ces cailloux biscornus qui me font tituber, maltraitent les chevilles et attaquent les semelles, les épines des plantes qui arrivent à traverser mes chaussures, tous ces insectes géants (papillons de nuit, sauterelles, chenilles) qu'on dirait sortis d'un film de science-fiction, et en plus la présence de la vipère à cornes, considérée dit-on comme la plus venimeuse d'Europe. Après m'être embourbé à plusieurs reprises dans des pistes en voie de disparition faute d'être utilisées, je privilégie la route. Une fois dessus, il est agréable de marcher aisément et de traverser ce désert en observant défiler la végétation de part et d'autre, en prêtant attention aux détails et en wagabondant dans mes pensées. Pour la nuit, la région et sa faune me dissuadent de dormir sous le tarp qui serait d'ailleurs fastidieux à planter sur ce sol. Je marche jusqu'à trouver un abri d'adoption, comme les terrasses des restaurants et des maisons de vacances fermés à cette période.

8asrgCleR.20231105_131345.jpeg
Dans le sud du pays, je traverse une grande région presque désertique où quelques rivières creusent des canyons dans le sol toujours calcaire.

8asrjVh9a.20231105_131156.jpeg

8asrlox37.20231105_131612.jpeg

8asrmJxmO.20231105_131435.jpeg

8asroEpqU.20231105_131227.jpeg

La veille d'arriver à Knin, je m'apprête à dormir sans grande conviction dans une maison abandonnée, puis vois un restaurant sur ma carte à deux kilomètres de là. Sans savoir s'il sera ouvert, je tente ma chance au moins pour y passer la soirée. Dans le petit village de Monkro Polje, je partage ainsi la soirée avec un groupe de serbes dans l'unique bar-restaurant des alentours. La gérante me propose de dormir dans l'école du village, abandonnée depuis la guerre. Sachant que j'ai un logement, je peux profiter de la soirée sans me soucier ni de l'heure ni de l'après. J'écoute les chants serbes chantés avec passion par quelques hommes qui m'offrent des coups de rakija et me remplissent mon verre dès qu'il est vide, si bien que je finis par décliner pour aller me coucher avant eux. Je me réveille engourdi, réalisant que j'ai bu un peu trop de rakija sans manger assez... Je repasse au restaurant où je mange un plat de viande surdimensionné pour mon estomac, qui me plombe plus qu'il ne me requinque. Je repars tardivement en direction de Knin, d'abord faible et m'enlysant à nouveau dans la végétation de pistes qui n'existent plus. Je finis progressivement par reprendre des forces et trouver une piste fiable pour gagner la ville où j'arriverai de nuit. Peu de temps avant d'arriver, je décide que je passerai une nuit à l'hôtel. Puis une fois à l'hôtel, je décide d'y passer finalement trois nuits pour laisser passer deux jours de pluie et me reposer. Je repartirai ensuite vers le massif du Dinara, d'où je passerai en Bosnie-Herzégovine.

8asrpESqo.screenshot-3.png

Dernière modification par *Samuel (25-11-2023 17:26:48)

Hors ligne

#58 27-11-2023 05:59:48

Clara-xos
Membre
Inscription : 27-11-2023

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Wahou super aventure !
Merci du partage c'est génial big_smile

Hors ligne

#59 28-11-2023 00:04:24

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Croatie : Knin > frontière bosnienne (montagnes Dinara)

06/11/2023 > 10/11/2023

101 km ; D+ 3,4 km ; D- 2,2 km

Trois jours d'arrêt à l'hôtel à Knin me confirment que ce n'est pas le type d'environnement le plus épanouissant pour moi. Surtout dans une ville où je ne connais personne, j'ai tendance à rester dans mon logement et à déstabiliser mon horloge biologique. Le repos est alors plus bénéfique pour les muscles que pour les neurones. Contrairement à dans une cabane, j'ai du mal à faire des choses qui me font du bien et le temps m'échappe. Ce n'est pas agréable mais ce n'est pas grave et contribue finalement à me connaître. Heureusement au moment de quitter la ville, je rencontre par hasard Viktor et Bernard qui m'invitent au restaurant et avec qui je partage un moment de rencontre, d'enthousiasme, de convivialité. Je ne serai pas passé ici comme un fantôme.

Je quitte la ville avec six jours de nourriture, mon maximum entre deux ravitaillements, bien qu'il soit toujours possible de faire plus si nécessaire. Je me dirige vers un nouveau massif : les montagnes Dinara, qui forment une frontière naturelle avec la Bosnie-Herzégovine. Pour m'y rendre, je longe la rivière Krčić puis traverse une zone de plaines, plutôt désertes mais à présent avec plus d'herbe, moins d'arbustes, quelques pâturages, et les montagnes qui s'élèvent derrière. Une fois dans ce massif, l'environnement est similaire mais avec du relief : ce sont d'immenses étendues nues, couvertes d'herbes, sans arbres, sans lacs, sans rivières. Le sol calcaire forme toujours ces cratères autrement impressionnants que dans les forêts du Velebit. C'est beau, grand, paisible, tout en apercevant parfois les villes en contrebas dans la vallée non loin. Je marche complètement seul sur des pistes dans ce qui m'apparaît être une immensité, qui m'offre néanmoins un paysage dynamique grâce à son relief. Je suis surpris qu'il n'y ait pas d'élevage, pas de bergerie. Les nuits sont de plus en plus fraîches, la pluie et le vent de plus en plus fréquents. Je dors deux nuits dans des refuges non gardées qui sont les seuls endroits où il est possible de trouver de l'eau grâce aux collecteurs de pluie. Serait-ce une raison de l'absence d'élevage ? Je me demande d'ailleurs souvent comment les animaux sauvages s'abreuvent dans ce type d'habitat.

Je croise une seule cabane habitée. Lors de mon passage à quelques centaines de mètres de celle-ci, la personne à l'intérieur tire à deux reprises un coup de fusil en l'air, qui brisent le calme de l'endroit de façon si déconcertante et violente, que j'en sursaute comme cela m'est rarement arrivé. Avec la peur et le racisme envers les migrants que j'ai entendu et dont j'ai même été directement témoin, je me demande forcément si cela a un rapport, si cela m'est adressé, ou n'a rien à voir. C'est un lieu de randonnée fréquenté par les croates tout de même. Je ne saurai jamais. Je ne suis pas tranquille tant que cette cabane est dans mon champ de vision. La veille dans la plaine, un 4x4 de police sorti de nulle part s'arrête pour contrôler mon passeport peu après que j'ai vu la seule personne de la journée. Plus tard je me demande si cette personne a appelé la police en me voyant de loin. C'est possible, mais pas du tout certain, je n'en sais rien. Si racisme il y a, je n'ai pas envie d'y répondre de la même façon. Le lendemain de nouveau, un 4x4 de police qui patrouille dans la montagne s'arrête pour contrôler mon passeport, et me disent d'un ton qui veut me prendre à partie une fois avoir vu mon identité française, qu'ils ont des problèmes avec les migrants. À nouveau ce sont les seules personnes que je vois de la journée.

Pour franchir la frontière et passer en Bosnie-Herzégovine, je fais en sorte de passer par une route et un poste-frontière car je quitte l'espace Schengen. Je passe ma dernière nuit en Croatie sous mon tarp, l'unique fois dans ce pays ! Après une nuit pluvieuse légèrement sous 0°C, je plie le tarp et me lance dans la marche sous une pluie qui ne s'arrêtera pas jusqu'au lendemain. Après un généreux verre de rakija offert à la volée par un croate dans sa cabane, je marche joyeux sous la pluie, heureux de me sentir dans cette marche et de me diriger vers un nouveau pays. À l'approche de la route qui marque la frontière, un nouveau policier croate vient à ma rencontre pour contrôler mon passeport. Je suis souriant mais lui pas du tout. Il me pose des questions mais ne parle pas anglais, et moi pas croate. Il garde mon passeport et m'oblige à le suivre, se retournant sans arrêt comme pour vérifier que je ne m'enfuis pas. Arrivés à la route, il rentre dans la voiture où l'attend son collège et je reste à l'extérieur. Son collègue qui parle brièvement anglais me pose des questions et nous nous repérons les mêmes choses. Je lui dis que je vais en Bosnie-Herzégovine et que je passe par ici pour me rendre au poste-frontière. Il me dit que je suis illégal et que j'aurais dû passer par le poste-frontière croate un kilomètre en amont pour quitter le pays. Bien que ce soit un policier-douanier, je suis sceptique, à ma connaissance ce n'est pas le cas. Il me dit aussi que je suis illégal jusqu'au poste bosnien situé un kilomètre après la frontière, comme si je pouvais m'y téléporter... De plus c'est faux, je pourrais aussi m'enregistrer dans un commissariat dans les 24h après mon entrée dans le pays. Les policiers remontent la vitre de la voiture et me laissent ainsi attendre sous la pluie une vingtaine de minutes, l'un me regardant pour vérifier que je ne m'enfuis pas, l'autre passant de multiples coups de téléphone et inspectant mon passeport dans tous les sens comme pour débusquer qu'il s'agit d'un faux, et moi pas inquiet car je suis dans mes droits mais saoulé car je ne sais pas combien de temps va durer cette mascarade. Enfin il baisse la vitre et me tend mon passeport en l'agitant comme on ferait languir un chien en lui donnant un biscuit, toujours d'un air méfiant et hésitant, puis se ravise et me fait signe de monter dans la voiture pour m'emmener au poste croate. Dans la voiture, cette homme en uniforme, flingue à la ceinture, conduisant trop vite, me lance :  "Paris to much muslims too" avant de s'esclaffer de rire, si fier de sa blague.

Au poste-frontière où travaillent une dizaine de policiers, on m'emmène dans le petit bâtiment où sont les bureaux avant de m'y repousser de la main en voyant que mes chaussures boueuses pourraient salir l'endroit. J'attends à nouveau sous la pluie. Le "big-boss" arrive enfin, le seul à ne pas être en uniforme et à vraiment parler anglais. Je lui explique ce que je fais et lui montre même ma page facebook pour lui prouver. Je reste néanmoins toujours suspect. On fouille de fond en comble mon sac-à-dos où tout est méticuleusement rangé comme les outils d'un atelier. À chaque objet non identifié on me demande de quoi il s'agit, pensant avoir enfin trouver la drogue que je cacherais. Je fais remarquer que les voitures qui passent pendant ce temps, qui sont tout de même plus pratiques pour transporter de la drogue, ne se font pas fouiller elles. Pendant tout ce temps je me dis intérieurement "C'est bon vous l'avez vu mon passeport français, foutez-moi la paix !", comme si ce privilège qui relève de l'injustice et de la loterie m'était dû. Une fois s'être rendu à l'évidence que je ne suis ni un migrant illégal avec un faux passeport, ni un trafiquant de drogue habilement déguisé en randonneur, on me tend timidement mes affaires au fur et à mesure que je réorganise mon sac-à-dos, comme pour un exprimer indiciblement une petite gêne, un micro-pardon, mais pas trop quand même, c'est pas le genre de la maison. Pendant ce temps le big-boss me demande si je n'ai pas peur en faisant ce voyage. Je lui répond que non, que je n'ai peur de personne, sauf des personnes qui ont peur de moi. C'est vrai, ce sont les seules situations où en retour, mon imagination peut à moi aussi me faire peur, certainement de façon tout autant irrationnelle.

On me rend alors enfin mon passeport que je peux aller présenter à la personne en charge de le contrôler. Il le regarde simplement et me le rend. Après qu'on m'ait rabâché que cela était obligatoire, je lui demande de le tamponner. Il me répond d'un ton agacé que ce n'est pas la peine puisque je viens d'un pays membre de l'espace Schengen, c'est au poste bosnien que cela sera nécessaire. J'étais bien dans mes droits depuis le début, et n'avais pas à passer par ici. En voyant le big-boss repartir dans sa belle voiture de fonction, je lui demande "On ne me ramène pas là où on m'a pris ?", ce à quoi il me repond "Tu ne voyages pas à pieds ?" avant d'appuyer sur l'accélérateur.
Allez salut, pauvres types.

Pendant les deux kilomètres jusqu'au poste-frontière bosnien, je me demande bien à quoi vais-je avoir droit là-bas. J'y arrive au bout d'une longue ligne droite où le suspens grandit. Je découvre un petit mobil-home entre les deux voies de la route, avec une seule personne à l'intérieur. Il ouvre la fenêtre, prend mon passeport et le tamponne sans interrompre son appel téléphonique en cours, puis me le rend en me disant "Bon voyage !" en français. Voilà, ça a pris dix secondes.

Il me reste encore une bonne section de marche sur la route puis en forêt pour atteindre une cabane où je passerai cette première nuit en Bosnie-Herzégovine. La pluie battante est continue, alors je ne m'arrête pas pour éviter de me refroidir. J'aurai ainsi marché 30 kilomètres d'une traite, entrecoupés par la péripétie policière. Je suis heureux d'arriver dans cet abri plus qu'apprécié par cette météo. Malgré mon équipement, je suis mouillé après une journée pareille. Après avoir coupé du bois, allumé le poêle, m'être lavé et étendu mes affaires à sécher, je mets la musique au maximum depuis mon téléphone et danse pour célébrer cette nouvelle étape. Le sommeil ne tarde ensuite pas à me gagner.

8aw5syrf4.20231121_140534.jpeg
Slap Krčić (la cascade de la rivière Krčić), en quittant la ville de Knin.

8aw5wI868.20231121_135318.jpeg

8aw5zoZaE.20231121_135527.jpeg

8aw5B1ynZ.20231121_140047.jpeg

8aw5CMfpl.20231121_141121.jpeg

8aw5HO1P9.20231121_134842.jpeg
Dans les montagnes Dinara, un grand massif nu couvert d'herbe.

8aw5LqjSm.20231121_133127.jpeg
Comme dans le Velebit et ailleurs, le sol calcaire forme de grands cratères.

8aw5Os8VQ.20231121_141657.jpeg

8aw5PUxNc.20231121_132751.jpeg

8aw5U9d6e.DSC05489.jpeg

8aw5VNq1F.20231121_130759.jpeg
Sur la frontière ainsi que dans certaines régions de Bosnie-Herzégovine, le déminage n'est pas achevé depuis la fin de la guerre. Les zones concernées sont indiquées par des panneaux. Le déminage est extrêmement cher, dangereux, et énergivore.

8aw5YvJlY.20231121_130405.jpeg

8aw5ZsyKn.20231121_133455.jpeg

8aw60L4S4.20231121_130141.jpeg
Entre les deux poste-frontières

8aw62EuRm.20231121_125820.jpeg
J'arrive enfin dans une cabane pour ma première nuit en Bosnie-Herzégovine après une journée sous la pluie.

Dernière modification par *Samuel (28-11-2023 07:47:14)

Hors ligne

#60 28-11-2023 06:45:01

foxof
Membre
Lieu : Grenoble
Inscription : 15-05-2022

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

*Samuel a écrit :

#694888Croatie : Knin > frontière bosnienne (montagnes Dinara)

06/10/2023 > 10/10/2023

101 km ; D+ 3,4 km ; D- 2,2 km

Mmmh, ya ptet une petite erreur de date non? big_smile


"Une fois là-haut, il n'y a plus qu'à continuer"

Hors ligne

#61 28-11-2023 07:32:40

patou
Membre
Inscription : 11-05-2014

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

foxof a écrit :

#694889

*Samuel a écrit :

#694888Croatie : Knin > frontière bosnienne (montagnes Dinara)

06/10/2023 > 10/10/2023

101 km ; D+ 3,4 km ; D- 2,2 km

Mmmh, ya ptet une petite erreur de date non? big_smile

Non.

@Samuel pouce


Mul part ailleurs

Hors ligne

#62 28-11-2023 07:47:49

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Corrigée. smile

Hors ligne

#63 28-11-2023 13:03:52

patou
Membre
Inscription : 11-05-2014

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

patou a écrit :

#694890

foxof a écrit :

#694889

*Samuel a écrit :

#694888Croatie : Knin > frontière bosnienne (montagnes Dinara)

06/10/2023 > 10/10/2023

101 km ; D+ 3,4 km ; D- 2,2 km

Mmmh, ya ptet une petite erreur de date non? big_smile

Non.

Ah mais oui : en novembre ! (Et même bientôt décembre) lol
Sorry foxof  wink


Mul part ailleurs

Hors ligne

#64 28-11-2023 13:32:05

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

De la Croatie à la Bosnie-Herzégovine

Entre la Slovénie et la Bosnie-Herzégovine, j'ai passé presque un mois en Croatie où j'ai marché 470km avec 17km de dénivelé. Tout comme en Slovénie, la traversée de la Croatie a été marquée par l'automne. La couleur des forêts, l'épaisseur de la couche de feuilles déjà tombées au sol, des températures fraîches mais rarement très froides, beaucoup de pluie et de vent, et toujours des journées ensoleillées surprenantes et savoureuses. J'ai la sensation d'être passé par trois régions du pays. Les montagnes du Velebit avec ses forêts impressionnantes et ses vues sur la mer Adriatique où je suis aussi descendu, les grands espaces arides entre Obrovac et Knin, et les montagnes Dinara qui offrent aussi une sensation de grandeur. Trois régions très différentes dans leur atmosphère, leur relief et leur végétation, avec aussi plusieurs éléments permanents comme l'éternel sol calcaire. Et bien qu'il soit toujours tentant de séparer et de ranger, les transitions entre ces régions sont progressives et il en existe en réalité une infinité.

Après huit mois et demi de marche depuis le Sud de l'Espagne, je quitte pour la première fois l'union européenne (à part les quelques passages en Suisse dans les Alpes) en entrant en Bosnie-Herzégovine. Je suis heureux de cette nouveauté qui s'offre devant moi, d'être dans ce pays qui m'attire depuis longtemps sans toutefois en connaître grand chose. L'hiver se fait toujours plus proche et les dernières nuits préviennent que son installation est imminente. C'est parti !

Mon itinéraire en Croatie est consultable et téléchargeable ici : https://link.locusmap.app/t/rfvits

Et comme d'habitude, quelques photos supplémentaires prises dans le pays.

8awZhjKo1.DSC04738.jpeg

8awZiSQ7y.20231104_011436.jpeg

8awZk54B2.20231105_133247.jpeg

8awZm3PGb.20231104_151045.jpeg

8awZmYslo.20231104_152624.jpeg

8awZogzdu.20231105_134836.jpeg

8awZptJGJ.DSC05285_1.jpeg

8awZsWlHy.20231105_135129.jpeg

8awZtQ0Kc.20231105_131227.jpeg

8awZv7afg.20231121_132515.jpeg

8ax0ewCkl.20231121_130519.jpeg

Edit : photos

Dernière modification par *Samuel (28-11-2023 13:42:20)

Hors ligne

Pied de page des forums