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#226 24-01-2014 03:05:48

Ontheroad33
Pandabruti
Lieu : Bordeaux
Inscription : 15-08-2011

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Il me tarde de lire la suite car le sud Lipez à pattes, ça doit être quelquechose ! Que buena onda ! cool


"Je ne sais pas où je vais. Ouh ça je ne l'ai jamais bien su. Mais si jamais je le savais, je crois bien que je n'irais plus." La Rue Kétanou, Où Je vais, Album En Attendant Les Caravanes, 2000.

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#227 24-01-2014 10:34:35

Caroline73
Membre
Lieu : Savoie
Inscription : 06-12-2012

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Génial la Bolivie, un pays qui me fait envie. Hâte de lire la suite de ton voyage. Plein de pensées positives pour toi, bonne suite!

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#228 30-01-2014 01:25:07

Kam
Membre
Inscription : 19-01-2011

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

C'est effectivement enorme, la Bolivie. Ca vaut largement le Nepal niveau paysages AMHA, je me demande pourquoi ce n'est pas une destination phare au niveau de la marche. Meme pas besoin de sentiers, tu peux aller n'importe ou. Sur les routes secondaires (cad 95% des routes), il y a genre un 4x4 toutes les heures, moins parfois, et quand c'est trop 'frequente', il suffit de couper a travers les terrains a lamas, et tu es seul au monde a 4000 ou 5000m...

Par contre, c'est con, mais on ne m'avait pas prevenu qu'il y avait une saison des pluies, meme a cette altitude... et ca, ca craint franchement. neutral

Recit a venir dans les jours qui viennent.

Dernière modification par Kam (30-01-2014 01:26:09)

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#229 30-01-2014 01:48:00

guichen
Membre
Inscription : 06-05-2013

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Hello Kam.

Pluie en Bolivie...

Y'en a marre du poncho? mad

météo bolivienne sous quinze jours

Ouille, aïe...

Sur tes dernières photos, les cactus sont rock'n'roll: ché pas si c'est un acte manqué ou pas mais quand je les vois tes cactus, ils font assez "fuckers"...style Didier l'embrouille...on t'a énérvé? lol

Allez, bon déjeuner... smile

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#230 30-01-2014 13:18:12

florencia
Membre
Lieu : 71
Inscription : 11-11-2011

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Mon plus beau souvenir andin également, pour la diversité et l’immensité de paysages grandioses, mais aussi pour les rapports humains, le choc culturel avec la découverte et la confrontation au syncrétisme, assez perturbant au premier abord,  mais finalement source d’une grande richesse et qui a permis de pérenniser les traditions et croyances.

Par contre, pas souvenir d’une seule goutte d’eau* de début Février à début Mai: 1993 a dû être une année exceptionnelle ou alors, cela peut s’améliorer prochainement… enfin, je l’espère pour toi…
* en dehors des ballons d’eau reçus au carnaval d’Oruro big_smile   (D’ailleurs si c’est sur ton chemin, c’est une fête sympa, en tout cas à l’époque, du 1 au 2 Mars pour info; Mais comme pleins d’autres fêtes en Bolivie, aie, où l'alcool coule également à flot...)

Profites bien Kam, même si mouillé smile

Flo


Réalisations DIY
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"Si vous pensez que l'aventure est dangereuse, essayez la routine… Elle est mortelle !" -Paulo Coelho.

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#231 30-01-2014 18:39:12

Kam
Membre
Inscription : 19-01-2011

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Uyuni

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Je me revois passer la grande porte rouge qui marque la limite de la ville d'Ushuaia... Je me vois comme un gamin alors. Un gamin qui n'en etait pas a son premier rodeo, mais un gamin tout de meme, plein d'illusions, de reves... On n'est jamais trop vieux pour s'enrichir, et changer. Les voyages t'enrichissent, te modelent, te durcissent aussi, parfois - reste a savoir si c'est a la facon d'un diamant ou d'un gros con.

C'est un nouveau depart pour moi. Apres plus d'un mois a jouer au sedentaire, au motorise, au type normal, quoi, c'est comme si je n'avais rien accompli. Je reprends tout a zero. Comme a Ushuaia. A ceci pres que les reves, les illusions... La, j'ai la realite qui me colle au fion comme une bonne grosse grappe d'hemoroides. C'est pas que j'etais naif, a Ushuaia, c'est juste que je ne connaissais pas ce continent. La, je commence a m'affranchir, a me latiniser... Et puis mon niveau actuel en espagnol est parfait. Une grammaire sublimement merdique, mais assez de tchatche pour discuter philosophie politique apres quelques litres de Pisco Cola a Mendoza. Quand tu parles trop bien, les gens oublient au bout d'un moment que tu n'es pas du coin, mais les differences culturelles restent, ce qui peut parfois causer des incomprehensions; quand tu manies la langue a la hache, ce genre de soucis n'existe pas.

Je me retrouve dans des canyons ocres a la sortie de Tupiza. Les lamas paissent au milieu des cactus. Le soleil est de plomb - ca ne durera pas. La route grimpe a travers les montagnes. Les cactus ne sont bientot plus qu'un lointain souvenir; seuls restent quelques petits buissons epars donnant une couleur vertes aux montagnes au loin. J'arrive dans un paysage feerique au fil d'un detour. Des monts multicolores, jaunes, ocres, orange, verts, entourres de pitons rocheux dresses comme une muraille... Mais je n'etais pas en etat d'apprecier la beaute des environs

3500m. Je monte, inexorablement. Je sens le sang se faire violence dans mon cerveau. Je commence a avoir des vertiges. 4000m. C'est de pire en pire, et cela s'accentue a mesure que je fais fonctionner la machine. Je sors mon dictaphone pour enregistrer les idioties qui me passent par la tete, je le range presque aussitot. Je vais tomber. Meme si je suis deja monte bien plus haut, c'est la premiere fois que ca m'arrive. Mais je sais ce que c'est. Un beau petit oedeme en train de se former dans la boite a conneries. Le col est proche, je decide de poursuivre. Je sors mon sac de coca et je me mets a le boviniser. Je franchis le paso, mais comme souvent en montagne, quand tu penses etre arrive en haut, ca ne fait que redescendre un chouilla pour remonter de plus belle ensuite...

- Putain, je fais quoi? Je ne vais quand meme pas retourner a Tupiza...

Il y a des fois ou l'ignorance a du bon. Pour le commun des mortels, il n'y aurait pas lieu de s'inquieter, il ne s'agirait que d'une petite migraine, vite passee. Et c'est d'ailleurs ce qui m'est arrive. Mais pour moi, il s'agissait d'un MAM, et je connaissais les consequences... Lesson learned.

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Le temps change permanence. Je n'y comprends rien. Dans les Alpes, j'arrive a faire mon monsieur meteo, mais la, on est au royaume de l'incomprehensible. Je me tappe les quatre saisons dans la journee, et ce n'est pas du Vivaldi. La grele fait place a une eclaircie. La nuit va bientot tomber. Un motard s'arrete. Des yeux bleus... toi, t'es pas du coin, mon gars. Un suisse allemand bourlingant depuis quelques annees. On taille un bout de gras en espagnol, sans meme chercher a savoir si l'autre parle anglais - c'est peut-etre un detail pour vous, mais pour moi ca veut dire... euh... bref.

- T'es vraiment un tare... Et encore plus quand je vois la taille de ton sac, j'adore.

Je suis redevenu le frances loco. Ce que ca fait du bien...

Je ne m'eternise pas. Je dois trouver un coin ou passer la nuit. Je passe un petit hameau - le premier de la journee. Une dizaine de barraques en terre abritant des eleveurs de lamas. Je pourrais frapper aux portes, peter l'inscruste, mais je n'ai pas envie de m'imposer. Ca va retomber cette nuit, j'en suis sur, il faut que je trouve un moyen de monter mon tarp. Je vois un buisson un peu plus haut que les autres au loin, je ne trouverai pas mieux. Je fais le montage le plus naze de toute l'histoire des tarps. La toile est aussi tendue que le slip d'un cancereux de la prostate, la terre argileuse ne va pas retenir mes sardines, et je n'ai pas eu d'autre choix que de monter l'ouverture dans le sens du vent...

Mes molets sont crames par le soleil - c'etait la premiere fois que je leur faisais prendre l'air  depuis que j'ai entame cette balade, j'aurais du faire gaffe. Impossible de trouver une position confortable pour pioncer. Je n'arrete pas de me retourner, afin de ne pas m'appuyer sur ceux-ci. Le vent commence a souffler, et arrache une premiere sardine. La pluie ne s'arretera de tomber qu'au petit matin. J'ai un pan du tarp sur le coin de la gueule - je n'en suis plus a ca pres. Tout commence a se tremper. Je dors par intermitence. Je me reveille sous un linceul de Cuben...

- Pas grave, c'est juste le tarp.

Bah non, c'etait pas le tarp, mais le fond de mon sursac. La condensation finit du coup par innonder tout mon couchage. Je passe une nuit de merde, mais au moins je n'ai pas froid. Vive le synthe!

C'est le defile des bagnoles a touristes au petit matin. Le gros truc ici, c'est de faire le tour de la region en 4x4 sur quatre ou cinq jours, avec chauffeur et cuisiniere. 200 euros le tout. Beaucoup ne voient que cela de la Bolivie: ils viennent directement de La Paz, et repartent ensuite pour le Chili ou le Perou. Les chauffeurs se souviennent de moi de la veille, ils me klaxonnent tous. Certains me proposent de monter... Je sens que je vais devenir une attraction comme les autres pour les gringos:

- On commence la journee a Sillar, et ensuite, si le temps est clement, peut-etre aurez-vous l'occasion d'apercevoir un tare de francais a pieds avant le pause photo avec les lamas.

Un autre 4x4 s'arrete. A son bord, un jeune couple:

- Tu te souviens de nous, on s'est croises hier?

- Euh... Ouais, bien sur...

Tu parles, des qu'une voiture passe, les gens me saluent, alors si je me souviens d'eux... Il me tend un gobelet de liquide fluo gazeifie. Quelques minutes plus tard, je repartirai avec la bouteille.

- Qu'est-ce que tu fous la?

- Bah... je marche?

- Pourquoi??? Ca serait vachement plus rapide a pieds ou meme a velo...

- Je m'en fouts, de ca, j'ai le temps. Effectivement, je pourrais prendre le bus jusqu'a Uyuni, mais ensuite? Il n'y a rien a faire la-bas, du coup je ferais quoi? Je prendrais un bus pour La Paz? Et puis pour le Perou? Et... Et si je voulais aller vite, je pourrais tout aussi bien reprendre un avion pour la France. Et puis ce n'est pas juste ca... Tu vois le 4x4 la-bas, avec la montagne de sacs sur le toit enfouie sous une bache bleue? Des gringitos, eux aussi. Ils sont partis voir les plus beaux coins du Sud Lipez. Ca doit etre genial, mais en meme temps, ils n'auront vu que des roches, du sel, des cactus et des lamas. Moi, j'ai envie de voir le pays. Tout le pays, pas juste les coins touristiques. Et de rencontrer des gens qui n'ont rien a te vendre, aussi. Tu as deja parle a l'un des gringos dans ces 4x4 blancs? Non? Pourtant on est la, a discuter...

- Et ca fait combien de jours que tu marches?

- Jours? C'est en mois que ca se compte...

- En mois? Mais... tu penses a quoi quand tu marches? Tu es croyant?

Merde, c'est peut-etre la question la plus pertinente, et pourtant, c'est la premiere fois qu'on me la pose...

- Rien a carrer de la religion... A quoi je pense? Ca depend. Des fois, je suis tellement creve que je ne pense a rien. D'autres fois, quand je suis en galere, j'ai juste ce qui me manque en tete, obsessionnellement, a la facon d'un animal: 'bouffe', 'chaleur'... Et quand ca arrive, mieux vaut ne pas me chercher: je mords. Mais le plus souvent, c'est comme un reve: tu ne controles pas ce qui te passe par la tete. Les pensees arrivent, sans que tu aies ton mot a dire. Je peux penser a la conversation que j'ai eu la veille, ou a la fois ou je me suis bastonne avec le gros dur de l'ecole a la recre, ou bien revoir les environs cinq cents ans plus tot, ou me faire une fixation sur le saucisson d'Ardeche que mon oncle avait rapporte avant que je ne parte...

Je me retrouve de nouveau seul au milieu de ces immensites. Je dois voir une voiture, au loin, de tout l'apres-midi. Le haut plateau s'etend a perte de vue. Si ce n'etait pour la meteo, ce serait le paradis. Le soleil s'est remis a briller en fin de journee. J'arrime mon tarp a un pilone electrique sur les hauteurs.

- Reste a esperer qu'il n'y aura pas d'orage cette nuit. Je serais a l'abri d'un impact direct, mais je doute que quelques dixiemes de milimetres de Cuben isolent quoi que ce soit au sol...

Je n'ai pas le choix, de toutes facons, si je veux monter mon tarp. Quel con je suis de ne pas avoir pris de baton pour la Bolivie... Mais au moins, je fais un montage facon bunker: toile basse, ouverture dans le sens contraire du vent, grosses pierres sur chaque sardine... Je veux bien me tapper du Celine Dion en boucle pendant une semaine si jamais ca bouge d'un poil. Le seul truc qui pourrait se detendre serait le hauban, mais il devrait gonfler et se reserrer avec la pluie. C'est le deluge une demi-heure plus tard - j'ai tout juste eu le temps de secher mon couchage au soleil. Le vent se met a souffler - je ne crois pas en avoir vu de comme ca depuis la Terre de Feu. Mon abri ne bronche pas - comme quoi, le probleme avec les tarps, c'est souvent le bonhomme qui dort dessous.

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Le depart est difficile le lendemain. Je traine la patte, comme les jours precedents. Je n'ai que la moitie de l'oxygene qu'il y a au niveau de la mer. J'avais sous-estime l'impact que cela pouvait avoir sur la marche. Tout devient plus lent lorsque tu fais un effort. Pas etonnant que ma moyenne soit merdique, surtout si l'on tient compte du fait que je marche en sandales, et que mon talon me fasse toujours autant souffrir. C'est de pire en pire en fait. L'une des ampoules beantes chopees au nouvel an n'a toujours pas completement cicatrise: il me reste une grosse tranchee allant jusqu'au sang, dont la croute se craquelle inexorablement depuis que je me suis remis a marcher. Ca vient d'ailleurs de recommencer a saigner. De mon pied gauche, je me peux me servir que de mes orteils. J'avance sur la pointe des pieds de ce cote.

Je suis plus seul au monde que jamais. Il n'y a meme plus de voitures du tout. Je quitte la piste par moments pour suivre des sentes a lamas. J'arrive dans un canyon au milieu duquel coule un torrent. Je ferme les yeux...

1908. Butch Cassidy et le Sundance kid abreuvent leurs chevaux dans le rio. Le ciel est degage.

- Ca va bientot etre l'heure. On devrait gagner les hauteurs.

- Passe-moi les jumelles...

Le kid remonte son chapeau-melon.

- La mule arrive. T'es pret pour ce dernier coup?

- 480 000$, tu m'etonnes que je suis pret. Allons-y.

Les outlaws lancent leur chevaux au galop. Le  muletier tente de fuir, bien que n'ayant aucune chance, mais il se retrouve bien vite cerne.

- Ne bouge pas. Si tu tiens a ta vie, ne fais pas un geste. Kid, deleste-le de son surpoids.

Le kid descend de cheval et detache les lourds sacs en cuir que portait la mule.

- Il y a un probleme, Butch, regarde-ca.

- Tu te fous de ma gueule? Ou est le reste?

- Je... Je n'en sais rien, c'est tout ce qu'on m'a confie. Je fais ce qu'on me dit, c'est tout, je ne pose pas de questions. Je ne sais pas, j'vous l'jure!

- Nous prends pas pour des cons - tu vas te mettre a table, je te le promets!

- Je ne sais rien! Par pitie!

Le kid place son colt sur la tempe du muletier.

- Attends, Sundance, je ne le sens pas. On vient de se faire entuber. Quelqu'un sait qu'on est la. Tirons-nous.

- T'as de la chance, papi. La prochaine fois que je te croise, tu es un homme mort.

Le kid remonte sur son cheval, et les deux bandits disparaissent derriere les collines.

- Putain, on vient de se faire enfler. Si je retombe sur AG, je le dezingue.

- Mouais, mais maintenant, on fait quoi?

- T'as compte combien il y avait?

- 90 000$.

- Bon, il y a un trou a quelques dizaines de kilometres. On se requinque, on s'y planque pour la nuit, et demain a la premiere heure on se tire de cette region maudite.

Les deux comperes avalent une soupe dans une gargotte de San Vicente.

- Putain, c'est quoi ce bordel?!

- Ils ont fait venir des soldats, c'est pour nous. Bloque la porte, on va les tirer en premier!

- Attends!

Le kid vise par la fenetre et touche un soldat en pleine poitrine. Il tombe net.

- Putain, tu ne peux pas attendre qu'on ait un plan?!

- Rien a cirer, je peux me les faire a moi tout seul!

Les boliviens repliquent. Le kid s'apprete a leur donner le change quand une balle le touche au cou. Il s'effondre. Il veut parler mais n'y arrive pas. Les soldats continuent a faire feu. Ils vont entrer d'une minute a l'autre. Butch Cassidy le sait. C'est la fin.

- T'es vraiment trop con, gamin, mais on en a eu des bonnes. Notre heure est venue. On se reverra en enfer.

Le kid le regarde, les yeux exorbites. Il est en train de convulser. Il n'arrive meme plus a respirer.

- Adieu, gamin.

Butch Cassidy lui tire une balle entre les deux yeux. Il regarde le colt, eclabousse du sang de son alter-ego. Il ne reste qu'une balle dans le chargeur. Il hesite un moment. Les soldats vont enfoncer la porte. Il place le canon sur sa tempe, et prend une grande inspiration. Ce sera sa derniere.

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Je continue le long du rio. Ca ne va pas tarder a reuiller. Je monte le tarp en lean-to a l'aide des arbustes en surplomb. Je dois m'y reprendre a trois fois, mais je suis tres fier de mon montage. La grele commence a tomber, bientot suivie d'un deluge de pluie. C'est encore pire que les jours precedents. Des trombes d'eau rigolent de part et d'autre de mon tarp. Une mare se forme en contrebas, et son niveau monte inexorablement. Le rio entre en crue. Il faut que je bouge. Il faut que je bouge maintenant ou dans cinq minutes, mon sursac se prendra pour l'arche de Noe. Je m'extraie de celui-ci, et je remballe tout aussi rapidement que possible. Mon sac-a-dos, dont je me sers comme oreiller etait a moitie enfoui sous l'eau. Tout ce que je possede est trempe. Je tremble de froid. J'avance, pataugeant dans la boue, a la recherche d'un nouvel endroit ou m'installer. La nuit est tombee, mais mes yeux se sont habitues a l'obscurite. Un camion arrive.

- Ne t'arrete pas. Ne t'arrete pas. NE T'ARRETE PAS! Je n'aurais pas la force d'expliquer ce que je fous la, en plein armagedon. Et surtout, surtout, je n'aurais pas la force de refuser de monter.

Il ne s'arrete pas. Je finis par trouver un coin ou je ne risque pas de finir noye. Le torrent a quelques metres continue de rugir. Mon tarp est monte en deux minutes, mais c'est deja trop tard. Je n'ai plus rien de sec. Ma doudoune ne sert plus a rien, et je dors dans un duvet trempe.

Les environs sont apocalyptiques au petit matin. La route s'est transformee en riviere. D'immenses cascades se deversent dans le rio de part et d'autre du canyon. Tout n'est qu'eau, et boue. Je ne peux pas continuer comme ca. Il faut que je soigne mon pied, et que j'ajuste serieusement mon materiel. Je decide de pousser jusqu'a San Vicente, et de rejoindre Uyuni en bus ou en stop de la-bas.

- Il a belle gueule, le marcheur, a peine reparti qu'il flanche deja et retourne pleurer chez les motorises...

Mouais, on va appeler ca un faux depart. Je franchis plusieurs rivieres nouvellement creees avant de poursuivre sur les hauteurs. Les montagnes autour sont couvertes de neige. Je vois d'immenses terrils vers midi. San Vicente doit etre derriere...


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A suivre...

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Combinaison noire, gilet et casque orange fluo, un piou-piou derriere sa barriere garde avec ferveur ce col ou personne ne passe. Il note scrupuleusement mon nom et le faux numero de passeport que je lui donne.

- Tu viens faire quoi ici? Tourisme?
- Non, je viens cambrioler la mine.

Ca ne le fait pas du tout rire. Je descends vers San Vicente. L'essence meme du glauque faite ville. Des barraquements en taule pour les mineurs, des rues qui se resument a une serie de boutiques privees avec trois bouteilles de coca sur les etageres, des routes defoncees ou les camions creusent des sillons de boue... Un bus est gare dans le centre. Je vais voir le chauffeur. Il est en train de se raser dans la cabine.

- Tu vas a Uyuni?
- Non, juste dans un bled a sept bornes de la ou crechent les mineurs. Le prochain bus pour Uyuni est dans deux jours... Tu ferais mieux d'essayer en stop.

Mouais... c'est mal barre. Je sors de San Vicente pour aller tenter ma chance hors de la ville. Les gens sont plus compatissants en general quand ils te croisent au milieu de nulle part. La pluie commence a tomber des que je franchis le second poste de secu. Je sors mon parapluie, mais ca ne suffit bientot plus, d'autant plus que j'avais pete une baleine la veille en essayant d'en faire un auvent pour mon tarp. Il est deja trop tard quand je sors mon poncho. Je suis transi de froid. Les eclairs fusent tout autour. Je me mets a trembler, sans pouvoir me controler. Je m'assois dans un virage, et me recroqueville sous mon poncho. J'essaie d'allumer mon briquet a l'interieur de mon cocon, mais je mets un quart d'heure a y parvenir avec mes mains mouillees. La flamme ne persiste que quelques secondes avant de s'eteindre a chaque fois, mais c'est quelques secondes de douce chaleur, quelques secondes de bonheur. Une voiture arrive. Elle retourne vers San Vicente. Je fais de grands signes pour l'arreter. C'est toujours mieux que de rester la, dans le froid, sous des trombes d'eau.

La pluie a cesse. Je suis devant le principal poste de secu, a attendre un eventuel pickup pour Uyuni qui n'arrivera jamais. Le garde sort:

- He, amigo! Tu peux attendre a l'interieur si tu veux.

Une petite cabane dont la peinture bleue marine se craquelle de partout pour laisser apparaitre le platre blanc dessous. Certaines lattes du plancher sont cassees, et l'ouverture ainsi creee fournit une poubelle improvisee. Une etagere se trouve pres du vieux bureau en bois. En haut, des casques de mineurs. En-dessous, quelques classeurs servant a noter les heures d'arrivee et de sortie des camions, pres de la trousse a pharmacie et des sachets de coca. Tout en bas, un ecran d'ordinateur qui n'a pas du servir depuis vingt ans.

Je m'assois sur une chaise d'ecole a cote du radiateur electique faiblard, toujours secoue de frissons. J'y passerai dix-huit heures. On commence a discuter. Il me raconte l'histoire de la mine, des fantomes des mineurs qui hantent certains postes de controle... Je m'interesse plus au cote politique de la chose. Les mines constituent la seule richesse de la Bolivie, mais les differents gouvernements ont cede leur exploitation a diverses compagnies internationales, chiliennes, espagnoles, americaines...

- Bon, t'es sur qu'il y a des bagnoles qui vont vers Uyuni ce soir?

- Ouais, t'en fais pas, il va y en avoir plein passe six heure, et puis sinon, il y en aura d'autres demain matin a partir de sept heures.

Ouais, sauf que c'est un nouveau deluge une fois la nuit tombee. Tous les torrents sont en crue, et le concept de pont est inconnu dans la region. Plus personne ne peut passer. J'apprendrai le lendemain que certains avaient tout de meme tente leur chance, et que ca c'etait plutot mal termine.

Bon, il faut que je trouve un coin ou pioncer...

- Je peux planter ma tente quelque part?

L'amigo rigole.

- Attends ce soir, le superviseur va passer, on avisera.

Jose arrive et prend la releve. Ca fait un mois qu'il est la, dans cet enfer andin. Il a un contrat de trois mois qu'il ne renouvellera pas. Il bosse douze heures par jour, et touche 2000 bolivianos par mois. Un peu plus de 200 euros. Il m'initie a l'art subtil du machouillage de coca dans la plus pure tradition bolivienne. Il explose de rire quand je lui dis qu'en France, les douaniers ne font pas de difference entre coca et cocaine.

- Et le Coca Cola, c'est interdit aussi?

Le 'super' se pointe enfin vers dix heures. Il fait tourner la coca et les clopes comme des joints. La musique est a fond - quelle daube comparee a la musique argentine... Ca vient des trippes au pays des boludos; ici, a llamaland, il ne s'agit que de merdes commerciales qui feraient passer le dernier boys band en vogue pour du Dvorjak. Il sort un jeu de cartes plastifiees offert par M. Marlboro et c'est parti jusqu'a une heure du mat. Meme maintenant, je ne suis pas sur d'avoir bien compris toutes les regles. Il me propose du boulot:

- Contremaitre D., ca sonnerait bien.

- Mouais... Mon grand-pere etait mineur. Ca l'a tue avant que je ne puisse le connaitre. Je crois qu'on a assez donne dans la famille.

Il ne reste plus que Jose et un autre type arrive avec le super. Il faut vraiment que je pionce...

- Bon, je peux derouler mon sac de couchage dans un coin?
- Claro!

Je le fais secher pres du radiateur electrique avant de m'installer. La vapeur qui s'en echappe est impressionante. Je ne tarde pas a m'endormir... Le vieux chien miteux au pelage rape qui squatte la cabane vient bien vite se blotir contre moi. Il pue. En France, il sentirait l'euthanasie a plein nez. Je le laisse faire. Enfin un chien envers lequel j'ai des affinites...

Je me reveille, et j'attends toujours. Pas une seule bagnole qui va vers Uyuni. Si ca continue comme ca, je suis bon pour passer une nuit de plus ici. Je decide d'aller tenter ma chance sur la route de Tupiza. Je remonte vers le poste de secu avant les terrils. Mal m'en a pris, je me retrouve avec l'idiot du village:

- Tu viens d'ou?
- De France.
- Et on parle quelle langue, la-bas?
- Euh... le francais.
- Et il fait quel temps en ce moment en Allemagne?
- J'en sais rien, mais chez moi, c'est recouvert de neige.
- Et t'es marie?
- Pas de femme, pas de gosses...
- Et ta femme, elle est restee en Allemagne?
- Non, mais je ne suis pas marie, et je suis francais, pas allemand...
- Et t'es venu a pied d'Allemagne?

Putain, je ne vais pas m'en sortir, il faut que je tente une diversion.

- Bon, je vais chercher de quoi grailler en bas, et je reviens.

Un petit groupe s'est forme pres du carrefour principal. Ils attendent d'etre assez pour pouvoir louer un chauffeur pour Tupiza. Je me joins a eux. Un gars de la secu arrive en courrant une heure plus tard:

- He, y a un camion qui va a Uyuni, la. Je l'ai bloque pour toi.

Je ne demande pas mon reste. Je prends mon sac, et je saute dans la cabine.

- Chau, San Vicente, ca a ete une putain d'experience!

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Ce que je ne savais pas encore, c'est que le periple ne faisait que commencer... Les pistes sont encore completement defoncees, et la pluie ne va pas tarder a retomber, ce qui ne va pas arranger les choses. On se retrouve bien vite a former un convoi avec deux autres camions. On attend la pelleteuse qui remet plus ou moins en etat la route avant notre passage. Les heures defilent. Les camions s'embourbent tour a tour, une fois, deux fois... Le jour baisse et nous n'avons meme pas fait cinquante kilometres... Il fait completement nuit. Il reste un grand rio a passer. L'eau est trop haute. Les camioneurs decident de passer la nuit la.

- Il y a un pueblito de l'autre cote du rio, tu devrais attendre la-bas, des camionettes vont passer.

Et c'est comme ca que je me suis retrouve dans le noir le plus complet, bas des jambes remonte, a traverser une putain de riviere avec comme seul phare l'unique lampadaire du village au loin.

Village... le mot est vite dit. Quelques barraques en terre construites au bord du camino. J'attends dans le noir et le froid. Personne ne passe. Quelques mecs de la mine arrivent et me reconnaissent - forcement, des gringos ayant passe deux jours a San Vicente, ca ne court pas les rues. Ils m'offrent a bouffer et me presentent a la nana qui s'occupe de la gargotte a cote. Un bus devrait passer a onze heures, je vais avoir le temps de me familiariser avec les lieux...

Je viens de m'enfiler une soupe. Je suis fascine par les posters qui recouvrent les murs roses. Il doit y avoir les calendriers des vingt dernieres annees, offerts par les differentes compagnies de bus. Et meme celui de cette annee semble aussi vieux que les autres... Il y a quelques calendriers de routiers, aussi, blondasse desoutiengorgisee en couverture. Je regarde la petite vielle qui gesticule dans l'epicerie attenante, bas orange, dos courbe, couverture en laine sur les epaules... Je regarde la pinup...

- Clairement, il y a un truc qui n'est pas a sa place ici...

Quelques types arrivent, on commence a discuter.

- Tu parles quetchua?
- Pourquoi, vous avez des polaires a vendre?

Il est onze heures et demi. Le bus n'arrivera pas. L'un des villageois me propose un coin ou dormir. Il m'entraine dans une espece de remise. Murs et sol en terre, une petite bassine au sol. Ca fleure bon le fumier. J'etale des peaux de lama sentant encore le bestiau par terre, et je m'ensevelis sous une montagne de couvertures. Ce que je suis bien...

Un bus arrivera finallement le lendemain, en debut d'apres-midi. J'aurai mis deux jours et demi pour faire cent kilometres. La marche n'est pas si lente que ca au final... Je pense aussi aux gringitos partis faire leur circuit de cinq jours... Oh, pour sur, ils reviendront avec bien plus de cartes postales dans leur APN, mais je n'echangerais pour rien au monde ces derniers jours pour un tour. Je les entendrai, un peu plus tard a Uyuni, raconter a quel point le contact est difficile avec les boliviens... Jamais le contact n'a ete aussi facile pour moi depuis que je suis parti...

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Dernière modification par Kam (04-02-2014 17:28:35)

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#232 30-01-2014 18:41:43

Kam
Membre
Inscription : 19-01-2011

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Photo postees en attendant le recit. Mon APN n'est pas terrible par mauvais temps, et ca ne rend pas du tout justice aux paysages du coup.

guichen a écrit :

Sur tes dernières photos, les cactus sont rock'n'roll: ché pas si c'est un acte manqué ou pas mais quand je les vois tes cactus, ils font assez "fuckers"...style Didier l'embrouille...on t'a énérvé? lol

C'est juste l'Argentine. wink

PS: Desole Olivier de faire peter l'espace de stockage avec la Bolivie: tongue

EDIT - Petit bonus ajoute a la fin du dernier recit, apres la derniere serie de photos.

Dernière modification par Kam (30-01-2014 18:45:07)

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#233 31-01-2014 13:46:24

Draven
Aller a l'essentiel..
Lieu : Jura
Inscription : 14-06-2009
Site Web

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

C'est beau  big_smile  big_smile
Ton récit me fais toujours autant marrer, continue !


Réduire le sac, à défaut de pouvoir réduire son porteur...
FlickR

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#234 31-01-2014 23:24:32

Kam
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Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Merci!

Debut du recit poste - c'est long, je posterai la suite demain.

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#235 02-02-2014 00:51:42

Kam
Membre
Inscription : 19-01-2011

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Fin du recit postee.

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#236 02-02-2014 23:36:37

Krauser
Nomade
Lieu : Montreuil
Inscription : 04-12-2011

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Kam, ton journal, tu l'actualise souvent, ou alors une fois tous les trois jours tu  ecris ce qui t'es arrivé?

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#237 03-02-2014 11:02:11

Nayana
Helix pomatia
Lieu : Cote d'Or
Inscription : 05-10-2010

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

- En mois? Mais... tu penses a quoi quand tu marches? Tu es croyant?
Merde, c'est peut-etre la question la plus pertinente, et pourtant, c'est la premiere fois qu'on me la pose...
- Rien a carrer de la religion... A quoi je pense? Ca depend. Des fois, je suis tellement creve que je ne pense a rien. D'autres fois, quand je suis en galere, j'ai juste ce qui me manque en tete, obsessionnellement, a la facon d'un animal: 'bouffe', 'chaleur'... Et quand ca arrive, mieux vaut ne pas me chercher: je mords. Mais le plus souvent, c'est comme un reve: tu ne controles pas ce qui te passe par la tete. Les pensees arrivent, sans que tu aies ton mot a dire. Je peux penser a la conversation que j'ai eu la veille, ou a la fois ou je me suis bastonne avec le gros dur de l'ecole a la recre, ou bien revoir les environs cinq cents ans plus tot, ou me faire une fixation sur le saucisson d'Ardeche que mon oncle avait rapporte avant que je ne parte...

Marrant. J'ai eu la même conversation avec Céline il n'y a pas si longtemps et j'ai eu la même réponse ou presque. Peut être est ce inhérent au long court.:-D


Lentement mais surement...

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#238 03-02-2014 19:14:16

Bilbox
Membre
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Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Salut,

j'ai l'impression que la Bolivie va te faire décoller après les quelques galères smile

A refaire tu prendrais une doudoune synthé?

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#239 03-02-2014 19:42:58

Kam
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Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Clairement. J'avais d'ailleurs contacte Nutz il y a quelques mois pour un modele special, mais au final, j'ai prefere garder mes thunes pour pouvoir voyager quelques semaines de plus.

Krauser a écrit :

Kam, ton journal, tu l'actualise souvent, ou alors une fois tous les trois jours tu  ecris ce qui t'es arrivé?

Je n'ecris pas lorsque je dors dehors, je le tiens donc tous les trois / huit jours. Le journal tenu au quotidien, j'avais essaye lors d'un precedent trip, mais ca ne le fait pas: il y a des jours ou il ne se passe rien et ou tu meubles, et des jours ou il se passe trop de choses et ou tu en zapes la moitie. Faire comme ca permet d'egaliser les choses tout en gardant une certaine fraicheur. L'inconvenient du coup est que j'oublie certains trucs, mais j'aurai mon dictaphone pour me les rappeler au retour.

Dernière modification par Kam (03-02-2014 19:46:00)

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#240 04-02-2014 00:09:26

Kam
Membre
Inscription : 19-01-2011

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Uyuni (bis)

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Uyuni. Une ville bolivienne comme les autres. Et au milieu de cette ville, une place, avec autant de blancs au metre carre que dans un meeting du parti republicain. Des japonais aussi, beaucoup. Je m'installe a l'ecart. Il faut que j'ajuste mon matos, et que je soigne mes blessures. Premiere chose a faire: trouver un baton pour monter mon tarp. C'est tellement facile par chez nous: il suffit de se baisser; mais ici, au royaume de l'apoxie, cela releve de la quete du graal. Je parcours les rues, pas un seul morceau de bois a l'horizon.

Mon talon ne saigne plus, mais si je ne fais rien, il se rouvrira des que je commencerai a marcher. Je rape l'impressionante couche de peau qui entoure la blessure pour egaliser le tout et lui permettre de cicatriser. L'ideal serait d'y aller au papier de verre... J'utilise la lame de mes petits ciseaux. Mes molets sont ce qu'il y a de pire. Ils sont recouverts de chairs mortes qui se dechirent a mesure que je fais un effort et que le muscle change de forme. Il me faut plusieurs minutes pour me mettre debout et faire quelques pas lorsque je suis reste assis trop longtemps. Meme pisser debout devient impossible - si l'on m'avait dit que cela faisait travailler differemment les molets...

Je vais bouffer sur la plaza de los gringos. Ils sont assis, a cote, je ne cherche pas a faire dans le sociable. Je me revois a Punta Arenas, avec mon gros con de ricain - je suis trente degres plus au nord, mais les choses ne changent pas. Je ne peux pas m'empecher d'ecouter les conversations... Je ne comprends pas. Des gringitas sont en train de parler de la suite de leur voyage. Elles parlent de leurs destinations futures comme d'attractions a Disneyland. Les gens n'ont a la bouche que ce qu'il y a 'a faire'. Tout est planifie. Les hotels, les tours sont reserves, parfois des mois a l'avance, par internet. Je peine a me retenir... J'ai envie de les prendre et de les secouer de toutes mes forces:

- Et si vous cherchiez a vivre plutot, au lieu de courir comme des poulets decapites pour remplir je ne sais quel vide? C'est ca pour vous, le voyage? Gesticuler, prendre des photos, condenser un maximum de cartes postales en un minimum de temps, histoire de pouvoir se dire: 'j'ai fait ce pays'? Qu'est-ce que vous diriez de laisser le pays vous defaire a la place, de prendre le temps de vivre, d'improviser, de voguer au fil des rencontres?

Je ne leur dis rien. Et puis en meme temps, lorsque l'on s'adresse a des gens qui pensent que le reste du monde doit parler leur langue, ce genre de discours aurait peu de chances de percuter.

J'entendrai meme pire quelques minutes plus tard. Une table de francais et de quebequois parlent de leur sortie dans la 'Bolivie profonde' - comprendre par la, hors des quelques coins listes dans les guides de voyage. Des aventuriers, a les entendre. Je m'imagine un bolivien qui se prendrait pour Indiana Jones parce qu'il aurait ete a Bethunes... Mais le pire dans tout ca, c'est que meme cette sortie pour voir 'de l'authentique' faisait partie du grand plan de leur voyage. Une sortie touristique comme les autres dans des coins non touristiques, juste pour pouvoir dire qu'on l'a fait. La Bolivie profonde? Qu'est-ce que c'est que ces conneries? Vous avez juste vu un bout du pays, les gars. Pour une fois, vous n'avez pas bouffe dans des restos a touristes dix fois plus chers que les gargottes locales. Bien joue, les aventuriers! Il n'y a pas besoin de marcher pour decouvrir un pays, meme si cela aide, il suffit juste de se laisser porter, et de lever parfois le nez de son guide de voyage... Il suffit d'arreter de vouloir 'faire' des choses. Beaucoup des vagabonds qu'ils ignorent dans les centre-villes en France ou dans le monde en savent cent fois plus sur le voyage qu'ils n'en sauront jamais...

Je grimace de douleur en me levant. Mes molets, comme toujours. Je n'arrive pas a tendre completement mes jambes. Je n'ai toujours pas trouve de baton, mais ce n'est pas la seule chose qu'il faut que j'ajuste. Ma doudoune est geniale. Le top de ce qui se fait. 165g pour une chaleur exceptionelle. Mais lorsqu'elle est trempee, c'est 165g qui ne servent a rien. Ces derniers jours m'ont confirme ce que je pensais depuis un certain temps deja: par temperatures positives, le duvet est ingerable, a cause de la pluie. Et je suis passe trop pres de l'hypothermie en Bolivie pour ne pas reagir. Il faut que je trouve un truc, mais quoi?

- Quand on est a Rome, il faut faire comme... les touristes.

J'achete un poncho en laine, fleurant encore bon le lama. Ca pese son poids, mais ca correspond exactement a ce que je cherchais: chaud quand il le faut, supportable sous le soleil, rustique, modulable... Et puis je le porterai la plupart du temps sur moi. Et ce n'est pas comme si j'avais trente-six alternatives de toutes manieres.

Je passe devant une fresque en hommage au Dakar. Ils sont tous a fond autour de ca ici. Ils ont meme ete jusqu'a commander une immense sculpture representant le logo enturbane des bouffeurs de pistes pour la plaza de los gringos. J'ai essaye une fois de leur expliquer que le Paris Dakar etait cense partir de Paris pour aller a... Dakar, mais j'ai vite abandonne.

Il faut toujours que je me trouve un baton. J'en deviens fou. C'est jour de marche. Des vendeurs de Potosi ont debale leurs etallages. On y vend de tout. Cela va des teles aux couvertures en laine, en passant par des bidons de lessives ou autres sous-vetements. Et c'est la que je l'ai vu. L'objet de ma quete depuis une semaine. le saint des saints, mon tresor! Un balais. Un balais avec un manche en bois. La petite vielle me le fait a 25 bolivianos. Peu importe. Je devisse la tete. J'ai mon baton. Je vais rester deux jours de plus, le temps que mes jambes finissent de guerir, et je serai pret a repartir. Je regarde deja en direction du desert de sel qui m'attend...

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Dernière modification par Kam (04-02-2014 17:27:24)

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#241 04-02-2014 00:11:57

nobru75
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Inscription : 17-01-2010

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Excellent épisode le San Vicente !

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#242 04-02-2014 00:32:15

guichen
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Inscription : 06-05-2013

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

La photo, la photo...!!!
Celle de l'hombre con el poncho y el palo de escoba... big_smile

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#243 04-02-2014 03:43:46

nusti
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Inscription : 03-02-2014

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

salut
je suis le recit av plaisir..

bien sur la photo! :)
combien coutait le poncho?
plus interressant que les couvertures du marché?
c'est en laine de lama?
paix et guerison sur tes pieds ;)


deux c'est un, et un c'est rien: doublon pr etre sur d'en avoir un qui marche! ..peut etre petit et leger le 2e wink

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#244 04-02-2014 17:19:59

Kam
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Inscription : 19-01-2011

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Salut. Je l'ai paye une quinzaine d'euros dans un truc a touristes (il n'y a plus qu'eux qui en portent, meme si les boliviens - les femmes surtout - ont souvent une couverture sur les epaules). Mais en meme temps, comme presque partout dans le monde, il n'y a plus grand-monde qui marche ici. La qualite est la par contre. Et oui, ca couvre beaucoup mieux qu'une couverture, et c'est AMHA beaucoup plus adapte quand tu passes du temps dehors.

C'est effectivement du lama - il n'y a rien d'exceptionnel la-dedans, c'est de tres loin le betail le plus commun sur l'altiplano - il n'y a presque que cela.

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#245 04-02-2014 20:41:19

escurcionistavaldes
Membre
Inscription : 20-02-2013

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

KAM, cela fait un petit bout de temps que j'ai envie de te le dire, en fait depuis que je te lis d'Ushuaïa, pour moi tu as un peu une gueule à la Rimbaud. Ne t'offusques pas, ce n'est pas pour te dire une crasse. Mais c'est la comparaison qui me vient toujours à l'esprit. Tu as peut être seulement la gueule qui tire un peu sur la gauche. Et puis ne fait pas comme lui, il s'est tiré à 37 ans je crois après pas mal d'abus.

un original pris vers 1885 à Port Aden
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un original pris en 2013 vers Puerto Natales
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Voilà c'est tout ce que j'avais à te dire. C'est déjà pas mal, non ?
Un Fuerte Abrazo Caballero

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#246 04-02-2014 21:18:13

Bilbox
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Inscription : 17-04-2013

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Kam a écrit :

Salut. Je l'ai paye une quinzaine d'euros dans un truc a touristes

à la louche... 2 kg? cool

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#247 04-02-2014 21:22:02

thierry
Membre
Inscription : 13-04-2006

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

escurcionistavaldes a écrit :

[...] pour moi tu as un peu une gueule à la Rimbaud. [...]

Je ne t'embaucherai pas comme physionomiste ... lol

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#248 04-02-2014 21:30:10

escurcionistavaldes
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Inscription : 20-02-2013

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

Moi par contre, je ne t'embaucherai pas du tout, pour rien.  big_smile

Dernière modification par escurcionistavaldes (04-02-2014 21:30:56)

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#249 04-02-2014 21:52:00

ventcalme
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Lieu : Bzh
Inscription : 29-10-2011

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

thierry a écrit :
escurcionistavaldes a écrit :

[...] pour moi tu as un peu une gueule à la Rimbaud. [...]

Je ne t'embaucherai pas comme physionomiste ... lol

escurcionistavaldes a écrit :

Moi par contre, je ne t'embaucherai pas du tout, pour rien.  big_smile


On n'est pas prêt d'atteindre le plein emploi ...

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#250 05-02-2014 21:31:42

Kam
Membre
Inscription : 19-01-2011

Re : [Récit + liste] Petite virée aux Amériques

guichen a écrit :

La photo, la photo...!!!
Celle de l'hombre con el poncho y el palo de escoba... big_smile

5428_sin_tatulo_05-02-14.jpg

- Kam, qui vient de se planter de route comme un gros blaireau a  la sortie d'Uyuni et qui est de retour en ville...

Dernière modification par Kam (05-02-2014 21:32:45)

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