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#1 09-11-2016 11:21:40

abaddon13
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[Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

91b56e82932a7b03e5edb86f3c17779ca5c5bb.jpgPunta Alle Porta, 5 juin 2010 (GR20)

La Corse et moi, c’est une vieille histoire d’amour. Premier parcours en 1972 (c’est l’année de la création du Parc Naturel Régional de la Corse et du GR20), en attaquant de Ste Lucie de Porto Vecchio, une équipée qu’on pourrait sous-titrer "les Pieds Nickelés sur le GR20" : sous-équipement (entendez : surpoids du sac !), mauvaise connaissance du terrain, perte de matériel, donc abandon du sentier et repli sur des parcours routiers.

Acte 2 : 1979, avec une petite expérience de la randonnée (tour du mont Lozère, tour des Dents d’Oche, quelques randos à la journée), je décide de me lancer pour de bon sur le GR20 avec un copain. A l’époque il y a peu de refuges, pas de ravitaillement, donc des sacs lourds (peut-être 18 kg à vide, c’est-à-dire sans eau ni nourriture), mais peu de monde (8 personnes à Pietra Piana !) et il est permis de camper partout. Le rêve ! Un souvenir magique qui va me hanter longtemps…

La suite est émaillée de petits retours véhiculés sur l’Île de Beauté, en amoureux (1987), en famille (1999), et même un essai de parcours printanier entre copains sur le GR20 fin avril 1983 ; faute d’équipement adapté, nous n’avons pas été bien loin, bloqués par la neige à Asinao.

L’idée de refaire (seul) le GR20 m’est revenue en 2007. Ma vie professionnelle installée m’a permis à ce moment de prendre égoïstement une quinzaine de jours pour refaire le parcours mythique. Peu de préparation en amont (un sac de 13,4 kg sans eau ni bouffe, donc frôlant les 18 kg à plein). Curieusement, ce parcours pourtant jalonné de ravitaillements m’a paru plus difficile que 30 ans plus tôt ! La crainte que les paysages soient moins sublimes s’est rapidement envolée. C’est toujours aussi beau, mais le sentier est à présent très fréquenté, surtout en cette fin juin (plus de cent personnes à Usciolu…). Ce n’est pas très gênant en journée, mais la surfréquentation des refuges rendue obligatoire par le nouveau règlement du PNRC a ses défauts !

Alors pourquoi remettre le couvert en 2010 ? Parce que le parcours est quand même magique, et que le refaire avec un des potes qui m’avait accompagné en 1983 me trottait dans la tête. L’idée était de planifier et de réussir à faire une "traversée parfaite", adaptée tant au niveau du parcours que de l’équipement (ce coup-là, le poids de mon sac à vide est de 7,2 kg : c’est mieux !). Ce qui fut fait : départ fin mai, dans une année très enneigée, ce qui nous a permis de faire quelques traversées dans d’important névés (y compris dans le Cirque !) et d’avoir les cimes blanches tout autour de nous une bonne partie du temps. Le GR20 reste malgré sa fréquentation un itinéraire incontournable pour les amateurs de randonnée sportive.

Bon. Trois GR20. Et maintenant ? Il reste tant à voir dans cette île magnifique taillée pour la marche : paysages, sources, un peu d’engagement physique… Il m’est venu à l’idée de relier tous les points remarquables que j’avais effleurés lors de visites précédentes, plus certains que je n’avais vus qu’en photo, en gardant un esprit "traversée" et en variant les plaisirs : le Fra li Monti est une itinéraire de crêtes, il oublie quasiment les vallées, les lacs, les forêts et reste loin de la mer. Nord-sud, trop long (mon cahier des charges limite le temps à une semaine), il reste les traversées latérales. Le pitch est de s’appuyer sur les sentiers existants (GR20, Mare a Mare, Mare et Monti) et de relier la côte ouest (la plus intéressante) au centre de l’île, la plaine orientale présentant peu d’intérêt pour le randonneur.

Allez, hop, direction le site de l’IGN et ses cartes ! Il me faudra plusieurs mois pour construire l’itinéraire. Je dois rapidement faire une entorse à un de mes principes : toujours arriver et repartir de Corse en bateau - il y a un côté découverte de l’Île, ses montagnes et ses odeurs, au petit matin depuis le pont du navire, qui font impérativement partie du voyage. Mais même si les arrivées maritimes se font au petit matin, je perdrais une journée de marche en transits divers. Va pour l’avion, moins romantique mais beaucoup plus rapide. Le départ se fera donc de Galeria sur la côte ouest, avec pour mission de relier dans un premier temps la vallée de la Lonca, l’une des plus sauvages de Haute-Corse (avec en mire, tout au fond, le trou du Capo Tafonatu), puis de remonter les gorges de la Spelunca (un chemin que les Pieds Nickelés de 1972 avaient réussi à louper), la vallée d’Aïtone (forêt, torrent baignable), basculer sur le GR20 pour gagner par le lac de Goria la haute puis la moyenne Vallée de la Restonica, remonter sur le plateau d’Alzo pour se rendre au site A Sega et revenir à Corte par les "crêtes" pour découvrir l’Arche de Corte. De là, le train jusqu’à Ajaccio (le seul tronçon ferroviaire de Corse que je n’ai pas parcouru) et le bateau pour revenir sur le continent.


f5a4c7abcbad726e3840c1c7b0ccbea9f1ea11.jpgCarte générale


Sur le papier, 8 étapes, un D+ légèrement supérieur à  9000m, des passages hors sentiers. Ouch ! C’est plus dense que le GR20… Objectif allègement maximum ! 2010, c’était déjà du léger, on va passer dans l’ultra-léger. Ça passe par un changement de sac (adieu le sac à armature), et le passage de la tente de 1050 g à l’abri de 270 g, plus quelques menus changements qui font perdre quelques grammes (et quelques euros aussi !) : veste imper respirante à la place du poncho, habits minimum, pas de réchaud donc remplacement de la tasse titane par un gobelet plastique, etc. Poids du sac : 4,2 kg, pas mal ! [la liste sera en fin de récit]

Période choisie (en fait par la force des choses) : départ le samedi 13 août, retour le dimanche 21. A cette époque, le manque d’eau et la chaleur peuvent être pénalisants, d’autant qu’une partie de l’itinéraire se fait à basse altitude. Il n’y aura pas de neige en vue et c’est une période très touristique. Mon itinéraire a toutefois peu de chances d’être très parcouru. Je pars seul. Je commence à avoir l’habitude de ces virées solitaires, mais celle-ci est plus longue que les autres. Sur le GR20, tu n’es pas seul : les groupes se forment du fait du découpage en étapes quasi-obligatoires, et tu retrouves les mêmes personnes tous les soirs au refuge. Ici, la particularité du parcours fait que les soirées seront solitaires, et c’est une des raisons qui m’ont fait allonger les étapes pour ne pas avoir à m’ennuyer à partir de 4 heures à attendre que la nuit tombe…

Dernière modification par abaddon13 (09-11-2016 11:36:26)

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#2 09-11-2016 11:35:38

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

J-1, vendredi 12 août

Les courses sont faites, les denrées emballées dans des zip-lock, les vêtements et le duvet protégés dans des sacs étanches, le sac complété avec toujours cette même angoisse au moment du départ : surtout ne rien oublier ! Ce n’est pas l’équipement de base (fringues, couchage) qui pose problème, mais tous les petits accessoires : carte d’identité (indispensable pour le bateau au retour), check, Opinel (pour le saucisson corse), check, PQ (pour… bon, tu as compris), check, la cuillère pour les céréales du matin, check, la micro-pharmacie complétée… APN et téléphone chargés à bloc, cartes, check, sac bouclé, dodo.

749fa0f49ad37fdfb1c3083b0cfe01e9f44a38.jpg

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#3 09-11-2016 11:48:04

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

J1, samedi 13 août

J’ai un don : j’ouvre toujours un œil avant la sonnerie du réveil. Sept heures moins le quart, p’tit déj rapide, voiture, gare, train jusqu’à Marseille Saint-Charles, bus jusqu’à Marignane, je suis à l’heure. Pas besoin de filmer le sac, Air Corsica fournit de grands emballages en plastique. Je le regarde partir avec inquiétude : pourvu qu’il arrive à Calvi en même temps que moi ! L’avion est à hélices, la jeune passagère côté hublot coupe avec un soupir de résignation son portable à deux minutes du décollage (et le réallumera à peine l’ATR posé à Sainte-Catherine). Dès le pied posé sur le tarmac, je jette un œil sur les montagnes proches, et une émotion inattendue, soudaine et brutale, me prend à la gorge et m’arrête net, les larmes aux yeux - j’ai tellement attendu la réalisation de ce projet !

f9e3c2659ff6d06d4b336291f5ee6c455be57d.jpgEtape 1

Bon, reste à rejoindre Galeria. Je préfère jouer la sécurité, j’ai encore quelques courses à faire, la supérette du lieu ferme à 13h, le stop apparaît trop aléatoire, va pour le taxi. Je me trouve confronté à un style de conduite particulier : vitesse maxi 50 à l’heure, virages pris au milieu de la route en bougonnant "mais qu’est-ce qu’il fait, celui-là en face ?" et conversation sont au menu.

Arrivé à destination, je prends rapidement une bouteille d’eau d’un litre (qui me sera bien utile par la suite malgré ma poche à eau de 2l), un saucisson en tranches et un Leerdamer en tranches itou(erreur : avec la chaleur, les tranches se compactent et ne se séparent plus !). Après un petit crochet par la fontaine du village pour faire le plein d’eau, je recherche carte en main le départ du Tra Mare et Monti (TMEM) que je quitterai rapidement pour prendre le "tour de Focolara", qui devrait me livrer de belles vues sur la baie éponyme. Le terrain est sec, sec, et le soleil approche de son zénith. La température monte résolument, je dois rapidement tomber les couches pour affronter la fournaise. Malgré cela, je me trouve rapidement couvert de transpiration, mais j’ai pour obsession de ne pas forcer aujourd’hui, le terrain est théoriquement facile, et l’étape, courte, ne devrait pas excéder 4h30. Passée Crocce di Porcu Liccatu, le paysage s’ouvre sur le bleu profond de la Méditerranée. Les roches rouges de la Punta Bianca s’avancent dans la mer, sous un ciel sans nuage.

bb7cae70e852ec31da3c88c4406bdbec0e0a13.jpgBaie de Focolara

"Belle journée pour une ballade", dirait la météo. Belle, mais chaude. La pause déjeuner permet de faire refroidir le moteur, car même avec des montées peu accusées, la chaleur use considérablement. Et pour mon cas, chaleur + premier jour de randonnée = crampes possibles. En prévention, réhydratation et sels minéraux, hop, un sachet d’Isostar dans la bouteille de 1l (d’où son utilité), je devrais être tranquille (et je le serai). Le sentier remonte doucement jusquà Bocca di Fuata où il rejoint le TMEM avec en perspective le petit port de Girolata niché en marge de la plage de Focaghia.

90c6c135d64a7d3d8d81cf48daf40b98959b4e.jpgBaie de Girolata

Ce qui était un coin paumé sans réseau d’électricité en 1979 s’est mué en escale à touristes, avec une grosse navette maritime à quai, et en conséquence des dizaines de personnes qui se partagent entre la plage et les bars. Me fondant habilement dans le paysage, je m’échoue à la terrasse (ombragée) de l’un d’eux et m’octroie un grand diabolo menthe (après tout, je l’ai bien mérité). Avant de quitter les lieux, je fais le plein d’eau au comptoir et je repars en direction de Cala de Tuara. Je loupe bêtement le sentier du facteur qui longe la côte de près et en suis quitte pour regrimper de 180 de mètres avant de redescendre vers la plage. Je pensais être ici au calme, mais une vingtaine de bateaux sont amarrés à très faible distance et les baigneurs sont assez nombreux. N’ayant pas apporté de maillot (on est MUL ou on ne l’est pas… ), je me contente d’un bain de pieds avec décrassage, la poussière s’étant copieusement incrustée dans la peau.

Une petite demi-heure de délassement plus tard, je pars à la recherche d’un bivouac convenable. Sur la carte, il y a un cours d’eau, mais il est à présent complètement à sec. Je remonte le lit sur quelques centaines de mètres : rien, que des cailloux et pas la moindre trace d’humidité. Revenu sur la plage, je fais le point : dormir sur les galets, sous le regard des plaisanciers, bof, d’autant que je sais les côtes très surveillées dans ce secteur, façade maritime du PNRC interdite au bivouac. Option B, avancer sur mon itinéraire, ce qui me permettrait d’écourter la redoutable deuxième étape. Dans le viseur, la fontaine de Spana avant d’arriver a Bocca a Croce, on ne sait jamais, il y a peut-être un coin bivouacable, un petit aplanissement, un green confortable à proximité ?

Me voilà reparti, heureusement à l’ombre sur une montée peu soutenue. Arrivé à Spana, je dois déchanter : j’escomptais trouver une fontaine gargouillante, il y a juste une paroi humide, et le terrain aux alentours est pentu et poussiéreux. En observant mieux, l’eau ruisselle sur la paroi, et si je glisse une petite feuille dans la goulotte d’arrivée de l’eau, j’arrive à obtenir un goutte à goutte : de quoi récupérer un demi-litre en 10 minutes, ça dépanne. Il me reste un peu plus d’un litre de côté. Nouvelle option : continuer jusqu’à Bocca a Croce, il y a un parking, donc un endroit plat : à voir … C’est tout à côté, j’y serai en 10 minutes, après avoir croisé une meute de jeunes filles en goguette, descendant à Tuara tout en gazouillant des chansons paillardes ("On voit de tout en rando", me formulai-je in petto).

Continuer par le TMEM pour redescendre ensuite à Curzu est inenvisageable, pas assez d’eau pour entamer une grimpette - et de toutes façons il commence à se faire tard. Camper sur place au Col de la Croix, re-bof, le parking est poussiéreux et encore fréquenté à cette heure. Bon. Seul raccourci pour Curzu : la route sur 6,5 km, pas passionnant, mais à la fraîche et à la recherche d’un emplacement pour dormir, c’est jouable. En route !

Je trouve un coin près du lieu-dit Aghia Maio, un "pré" tout sec constellé de bouses séchées avec une petite zone saine où je vais tenter de monter mon abri. Cette manip' au soleil couchant aura raison de ma patience (monter un abri est beaucoup plus complexe que de poser une tente) : au vu du beau ciel dégagé qui s’annonce pour la nuit, ce sera à la belle étoile. Polycree + matelas + duvet, c’est moins prise de tête. Contrariété supplémentaire, un de mes ziplocks de céréales s’est ouvert, tout mon sac est floconné, il faut tout nettoyer et récupérer les miettes pour les matins à venir. Je croque sans entrain le mélange fruits séchés - barre de céréales, je m’allonge.

Bilan de la journée : pas terrible. Je suis crade (pas d’eau = pas de toilette), j’ai prolongé mon étape et trouvé un coin très moyen pour dormir, les paysages n’étaient pas extraordinaires, et j’ai accumulé les petites contrariétés. Il s’agit d’être en forme pour demain ! Grosse satisfaction dans la nuit : le clair de lune est sublime !

Dernière modification par abaddon13 (15-11-2016 09:09:20)

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#4 10-11-2016 10:47:45

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

J2, dimanche 14 août

Réveil le lendemain un peu avant 6 heures. Ciel dégagé, température déjà tiède. Je n’ai pas été assailli par les moustiques et la nuit a été plutôt bonne. J’avale le p’tit déj céréales et je remonte sur la route pour les 2 km qui me restent.

5f659b502f39d6ddef6f150c231cc927493a81.jpgEtape 2

Arrivé à Curzu, bonne nouvelle, une fontaine sur le bord de la route. Mauvaise nouvelle, un écriteau annonce : eau non potable. Qu’importe, ça suffit pour une toilette sommaire. Je trouve de l’eau 15 minutes après le village, au bord du chemin, délicieusement fraîche, qui me permet de me ravitailler jusqu’à Serriera (1,5l). Le sentier est assez sympathique, c’est un parcours de maquis souvent ombragé, mais la température monte rapidement : à 10 heures, elle dépasse certainement les 30 degrés (sous abri) et le soleil est vraiment brûlant. Moi qui habituellement ne crains pas la chaleur, je m’applique à zigzaguer d’ombre en ombre pour rechercher un peu de fraîcheur, d’autant qu’il n’y a pas un souffle d’air. Heureusement le terrain n’est pas trop pentu jusqu’à Serriera que j’atteins comme prévu vers midi. Je déjeune près de la fontaine (eau tiède, pas terrible), et je retourne les options dans ma tête : si je suis mon programme, je m’engage après dans une montée de 900 mètres dont la fin coupe sur la carte des courbes de niveau très rapprochées. Vu la chaleur, ce n’est pas pour m’enthousiasmer, se taper une rude montée à relativement basse altitude sur le coup des 15 - 16 heures en Corse au milieu du mois d’août, il y plus réjouissant…

Restons logique : j’ai une étape facultative dans mon tracé, l’aller-retour au trou du Tafonatu depuis le refuge de Puscaghia. Si je reste à Serriera, où il y a un gîte, et que je fractionne différemment mes étapes, je m’adapte.

J’erre dans le patelin à la recherche du gîte, le trouve et tombe sur la femme de ménage auprès de laquelle je m’enquiers des possibilités de logement. Surprise du chef : le demoiselle corse ne parle pas le français ! Elle me fait comprendre que l’accueil est "derrière la maison, dans le jardin". Je descends dans le jardin, une porte ouverte : personne à l’intérieur. Vu l’heure, les gérants doivent être occupés ailleurs. Rendons-nous au bord du cours d’eau pour une petite trempette, alors… le ruisseau de Vetricella est quasiment à sec, un filet d’eau douteuse serpente entre les cailloux, et les quelques vasques au contenu brunâtre n'incitent pas à l’immersion. Je m’installe à l’ombre pour une petite sieste, troublée par les insectes. Au bout d’une demi-heure, je m’ennuie, repars à la recherche de l’accueil du gîte, en fait il se trouvait de l’autre côté de la route. Et là, patatras, on m’annonce que le gîte est complet, plus de place, prière de me rabattre sur les hôtels de la marina, le plus proche est à 900 mètres. Parfait, j’avais justement envie de me taper du bitume par un soleil écrasant ! Je parcours lesdits 900 m, pas une bicoque en vue, demi-tour, je remonte en fulminant jusqu’au village que je commence à maudire de plusieurs manières différentes, et dans la foulée, je décide d’entamer la montée vers Capu San Petru, pariant que le début peu pentu m’offrira quelques possibilités de m’arrêter pour me poser pour la nuit. Il est aux environs de 15 heures, le soleil est vaillant.

Les deux kilomètres (2 km !) qui vont suivre resteront comme un de mes vilains souvenirs de randonnée. La chaleur va me clouer sur le chemin, m’obligeant à des haltes répétées. Le parcours est une piste DFCI large et soigneusement déboisée sur les côtés, d’un blanc aveuglant, je rissole là-dessus comme un œuf dans une poêle à frire, le moteur en limite de surchauffe en moins de deux minutes, louvoyant d’une ombre maigre à l’autre, cherchant les plus denses pour faire de courtes pauses dans l’espoir illusoire de retrouver un peu de mieux-être. Ce n’est pas que la pente soit soutenue, loin de là [J’ai mesuré : 9% … en comparaison la pente la plus soutenue (Bocca alle Porte) dépasse les 38 % !], mais l’organisme n’arrive pas à s’adapter. Et dire que je n’ai pas encore attaqué la vraie montée …

Sur le chemin, je trouve une camionnette arrêtée. Près d’elle, un chasseur qui prépare les gamelles pour le chenil grillagé que j’aperçois quelques mètres plus loin. Me voyant arriver, il entame la conversation :
"Pas trop dur ?
Si, trop chaud !
Oui, beaucoup trop chaud pour marcher… et vous allez où ? Vers Ota ?
Oui, c’est ma direction
Pfioouuu ! Eh ben vous n’êtes pas arrivé ! Je ne veux pas vous donner de conseil, mais…
De toutes façons, je n’avais pas l’intention d’aller bien loin par cette chaleur.
Plus loin à droite de la route, il y a une cabane avec un terrain plat à côté. Vous y serez bien !"

Ca ne résout pas mon relatif problème d’eau, mais me rassure un peu sur les possibilités de bivouac. Je repars. J’ai au moins un but. Je me traîne à l’allure d’une limace rampant sur de la farine. Je n’y arrive pas. Je m’échoue à l’ombre d’un surplomb rocheux, à la belle ombre compacte. Peine perdue, la température ne descend pas. Il faut pourtant reprendre la marche. Jusqu’où ?

Je n’ai jamais vu la cabane en question… Arrivé à la bifurcation qui marque le début de la vraie montée, je poursuis quelques hectomètres et trouve un coin avec des replats, et à l’ombre.

Assez. Je pose le sac.

Mais qu’est-ce que je fous là ? "J’ai dû m’gourer dans l’heure, j’ai dû m’planter dans la saison" comme chante l’autre. Je n’ai même pas réellement entamé les difficultés que je suis cloué au sol par cette putain de chaleur. Qu’est-ce qui va se passer quand le terrain deviendra plus sportif ?  Ce n’est pas la puissance physique qui n’est pas là, c’est juste comme si vous conduisiez et que vous voyiez le voyant de température s’allumer : vous savez que vous pouvez continuer à rouler, mais que la surchauffe peut faire péter le moteur. Quand est-ce que je vais vraiment trouver de l’eau ? J’ai l’air d’un clochard à la dérive, je sais plus quoi faire, j’ai plus envie d’avancer, le début de cette rando n’est même pas intéressant, je n’ai pas eu un moment d’émerveillement, au contraire juste des petites désillusions qui font s’écrouler le rêve. J’ai visé trop haut, faut pas fantasmer sur des projets, quand la réalité n’est pas à hauteur du rêve, on se casse la gueule. Je veux rentrer, c’est plus la peine, je ne m’amuse pas, c’est pas du plaisir, ça ne vaut pas le coup.

C’est long, trois heures, quand on ne sait pas quoi faire… au bout d’un certain temps (et même d’un temps certain, ça m’a paru interminable), mon côté rationnel reprend lentement le dessus. Un, monter mon abri - pas simple dans ce terrain avec des broussailles un peu partout. Ca m’occupe, au moins. J’arrive à un montage en tunnel un peu ouvert d’un côté, satisfaisant. J’apprends à jouer avec la position des haubans, les tenseurs pour trouver un montage correct. Ca fait moins "chez moi" qu’une tente fermée, finalement ça prend plus de place hors tout au sol, mais c’est un ensemble de techniques que je ne maîtrise pas encore.

Je continue à gamberger : de toutes façons je n’ai pas le choix, terminer la montée jusqu’au col sous Capo San Pedru, et de là descendre à Ota, d’Ota aller jusqu’à Porto, puis bus jusqu’à Ajaccio et transformer mon billet pour pouvoir rentrer sur le continent.

Non. Terminer la montée et voir comment je me sentirai à ce moment-là. On ne sait jamais. Demain je pars à 6h30, le soleil va bien me foutre la paix au moins au début, la montagne devrait me donner de l’ombre.

Je crois bien que je me suis couché très tôt ce soir-là (peut-être 20 heures ?). Je n’avais plus envie de la voir, cette journée.

Dernière modification par abaddon13 (15-11-2016 09:10:09)

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#5 11-11-2016 11:44:20

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

J3, lundi 15 août

Après une nuit correcte, je suis sur pied vers les 6 heures. Grand ciel bleu (donc soleil à venir…). Je ne pose pas de questions, j’avale mes céréales, je refais mon sac et je me lance sur les 600 m de D+ qui m’attendent.

3946f71fb1a15cd56ffe5279119ba7788fc680.jpgEtape 3

Ouf ! à la fraîche ça va beaucoup mieux. Tout en restant circonspect, je prête attention aux sensations : dès que je prends un peu d’altitude, un très faible souffle d’air se glisse dans le maquis, réveillant les odeurs et apportant un peu de confort. Je monte régulièrement et sans forcer, à une allure qui me correspond beaucoup mieux que la veille. Je surveille la lente venue du soleil derrière les montagnes à l’est : il devrait me laisser tranquille, d’autant que le parcours est plutôt ombragé. Je ne m’arrête pas vraiment, juste quelques pauses sur des points de vue vers la mer à l’ouest. Une heure 30 plus tard, le terrain s’aplanit, un panneau pointe vers la droite : "Capo San Petru, point de vue". Déjà ?!

La pratique de la randonnée à ceci de particulier que c’est le mental qui tient le marcheur (je suppose que c’est le cas dans toutes les pratiques d’endurance) : il n’y a rien de difficile à mettre un pied devant l’autre, mais quand chaque pas devient ardu, le travail de sape morale se met très efficacement en place, et on se retrouve au fond d’un trou dont on a l’impression de ne pas pouvoir sortir. A l’inverse, quand les choses s’arrangent, on a l’impression d’être sur une bascule : à un instant, tu es bloqué dans une position par une tonne de roc compact, le moment d’après c’est comme si la densité de ton mental envoyait le bloc en l’air en libérant toute l’énergie.

D’un coup, le possible s’ouvre. De là où je suis, la vallée de la Lonca est toute proche, avec les sources de Larata, Corgola et Lumiu. Arrivé à Lumiu, il y a certes une bonne montée jusqu’au dessus de Bocca Capronale, mais elle est moins accusée que celle que je viens de franchir, c’est jouable, je te dis !

A partir de ce moment, c’est comme si une porte s’était ouverte vers d’autres horizons. Je quitte sur ma droite le sentier qui redescend vers Ota et je m’engage vers Bocca Larata. Un joli sentier en sous-bois file sous les pins, en terrain confortable - sol souple et peu de pente. Je  me laisse accepter par l’environnement, je suis attentif au bruit de mes pas, le diminuant jusqu’à l’étouffement, pour profiter du silence ambiant. Je m’arrête. Au milieu de la forêt, je suis des yeux la ligne des fûts des pins larici vers ciel et j’écoute le silence : juste moi, le vrombissement fugace de quelques insectes et le souffle discret du vent dans les hauteurs. Je me sens intégré dans la nature, et c’est un cadeau rare dont il faut savoir profiter : instants précieux…

Je repars doucement jusqu’au voisinage de Pedua où j’avais envisagé primitivement de bivouaquer. Par jeu, je décidé d’y jeter un œil, et je tombe… sur une source ! Oh, certes, ce n’est qu’un maigre filet d’eau, mais il y a là de quoi me dépoussiérer et prendre un peu d’eau fraîche, encore un petit "up" pour le moral. Le passage de Bocca Larata est un joli col, j’entre dans la sauvage vallée de la Lonca.

197dcfdee85becaf2a3c2e2e1fd8dfdd02aadc.jpgSouce à Larata

En changeant de versant, je me retrouve dans une autre végétation : les pins laissent la place aux châtaigners. Moi qui ai le respect des arbres vénérables, je suis servi ! En plus ils donnent une ombre d’une qualité remarquable, ce qui n’est pas pour me déplaire. Toute cette zone nord de la vallée est une vaste châtaigneraie où le sentier musarde agréablement. Il faudra toutefois être attentif au balisage (jaune), beaucoup moins assidu que précédemment sur le TMEM. Juste après les bergeries désaffectées de Larata, je trouve un très jolie source au pied d’un châtaigner. Alors là, je ne vais pas me priver de l’aubaine ! Etant donnée la très faible fréquentation du secteur, une toilette géante s’impose. Goûter au bonheur - tout à fait primitif, je te l’accorde - de se laver-rincer à poil à l’eau de source dans un lieu totalement isolé est une joie impossible à expliquer. J’ai l’impression de renaître. Je reprends un litre d’eau et continue vers Corgola. Le nez dans mon euphorie, je ne surveille guère le balisage et me fais piéger. C’est pas de ma faute, chef, le sentier non balisé était plus marqué que celui balisé. Sanction : une demi-heure de louvoiement pour retrouver enfin une trace cairnée. Ça m’apprendra. Allez, direction Corgola et sa source.

Mais de source il n’y aura point, août est passé par là. Pas grave, je me ravitaillerai à Lumiu. L’itinéraire gagne une partie moins abritée, mais l’altitude rend la chaleur tolérable, et le col de Verghiolu est rapidement atteint. Je devrais être à "l’abri forestier" vers les midi. Par un sentier relativement étroit et facile, m’y voici effectivement : l’abri est en fait une maison désaffectée flanquée d’un panneau "source à 150m". Je suis la flèche, rien en vue. Je retourne à la maison, l’ouvre : quelques pièces bien balayées, de quoi passer une nuit correcte, une table, un banc et un livre d’or, dans lequel figure un descriptif de l’itinéraire à suivre pour trouver l’eau : "suivre les cairns". Triple andouille, tu ne pouvais pas en avoir eu l’idée avant ? Je suis donc les cairns et trouve une mare incertaine où arrive au ras du sol un filet d’eau d’une couleur douteuse. En l’absence de filtre, un approvisionnement inexploitable.

Bon.

Continuer dans ces conditions (il me reste un demi-litre d’eau) en direction de Capu Tosu, 500 mètres plus haut, serait un pari imbécile. Solution de repli : revenir vers le col de Verghiolu et poursuivre le sentier DFCI (en descente !) vers la Lonca pour retrouver mon itinéraire en sautant le refuge de Puscaghia. De toutes façons je n’ai pas le choix, il va me falloir pour la seconde fois sacrifier une (petite) partie de mon itinéraire. Avant toute chose, un petit repas à l’abri du soleil sur la table de la maison s’impose. Fromage - fruits secs - barre de céréales : la gastronomie en rando, c’est pas le top !

Youp, descendons vers la Lonca. Bon point, de l’humidité fait rapidement son apparition le long des parois, avec quelques filets d’eau traversant épisodiquement le chemin. Après le pont de Verghe, je remonte rive gauche pour retrouver le sentier qui me ramènera jusqu’à la sortie des gorges. Des vues fort sympathiques se dégagent sur les "piscines" de la Lonca : baignade en perspective ! A la remontée, bingo, une source bien-claire-bien-fraîche, je ne me fais pas prier pour me réapprovisionner (assez largement, je n’ai plus vraiment envie de tomber en panne sèche).

Le chemin s’élève franchement au-dessus du cours d’eau, et je me fais rejoindre au cours d’une pause par deux marcheurs. Ce sont les premiers que je vois depuis la veille au soir, confirmant l’isolement et la faible fréquentation de cette vallée. Il doit être aux environs de 17 heures, j’ai adopté un rythme beaucoup plus calme depuis mon arrivée à Larata. Après une petite descente, je rejoins le cours de la rivière ; une vasque me tend les bras (licence poétique), plouf me voilà à l’eau puis au soleil puis re-à l’eau, à la Francis Cabrel ("nu sur les galets"), tout à fait le genre de farniente que je visais en venant ici. Finalement j’ai bien fait de continuer, elle est pas mal, cette journée. Elle est même très bien… enfin !

c139ed67b8aa5b00f6eb44323951d18417eb0b.jpgPiscine privative

Et c’est pas fini : en traversant à gué la Lonca, je repère un gros rocher plat surplombant la rivière de plus de deux mètres : oh, le beau coin de bivouac ! Pas besoin d’abri, le ciel est clair, pas de vent, la nuit promet d’être belle. Elle le sera, avec une belle lune presque pleine qui illuminera les roches en pleine nuit. Sweet dreams !



9,2 km, D+ 920, D-860

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#6 11-11-2016 20:40:17

florencia
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Lieu : 71
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

Ah, la Corse et les éléments, chaleur, quête de l’eau, maquis… C’est vrai que cela demande un petit temps d’adaptation et que c’est rarement un long fleuve tranquille, mais heureusement, il y a souvent de belles surprises et récompenses wink

Merci pour ton récit agréable à lire smile

Flo


Réalisations DIY
_ _ _ _ _ _ _ _ _

"Si vous pensez que l'aventure est dangereuse, essayez la routine… Elle est mortelle !" -Paulo Coelho.

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#7 12-11-2016 08:32:20

marcheur75
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

Joli récit, avec les désagréments que l'on rencontre parfois en randonnée.

Je n'ai pas très bien compris la difficulté à trouver de l'eau j2.

Tu es passé par un gîte. Même si complet, il ne t'aurait pas refusé de l'eau.

Je ne connais pas la Corse. Mais n'est ce pas le type de région où dès que l'on en a la possibilité il faut se réapprovisionner, quitte à porter un peu plus lourd et à avoir la bonne surprise de trouver de l'eau une heure plus tard ?

La cabane et les hôtels introuvables, c'est probablement parce-que les notions de distances sont très variables d'un individu à l'autre. De plus, les autochtones marchent rarement. 900 m évalués en voiture, c'est peut-être le double à pied !

Édit : orthographe.

Dernière modification par marcheur75 (12-11-2016 08:44:24)


Je n'ai pas lu tous les livres, hélas ! Mais la chair est réjouissante...

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#8 12-11-2016 10:38:12

ester
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Inscription : 23-08-2011

Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

Bonjour Abaddon13, smile

Merci pour ce beau récit et pour le partage. 

Tu devrais héberger tes photos sur RL (barre du haut -> gérer mes images), dans quelque temps, elles risquent d'avoir disparu du récit, sinon. wink


Grâce à vous, j'avance ! merci !  smile

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#9 13-11-2016 23:57:09

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

marcheur75 a écrit :

Je n'ai pas très bien compris la difficulté à trouver de l'eau j2.

Tu es passé par un gîte. Même si complet, il ne t'aurait pas refusé de l'eau.

Le problème n'a pas été l'eau à Serriera (il y avait une fontaine), mais après : comment gérer la quantité d'eau entre Serriera et la source suivante (avec la sécheresse, je ne pouvais pas être sûr de sa localisation), alors que j'avais consommé un max d'eau dans mon coup de chaud et qu'il me restait une soirée et peut être une matinée à assurer ? C'est une grosse source d'inquiétude (source, je ne sais pas si c'est le bon mot tongue )

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#10 14-11-2016 00:03:13

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

J4, mardi 16 août

Réveil au son du murmure de la rivière, très beau temps, moral au beau fixe lui aussi. Pas mal de montée au programme, heureusement la majeure parie sera bien ombragée, car l’altitude est faible (point bas : 209m).


b3806a95e3cf671438f5264e6eb0f1409a0c88.jpgEtape 4

Juste avant de partir, j’aperçois mes deux randonneurs de la veille qui eux aussi ont passé la nuit dans la vallée. Je descends le cours rive droite, en sentier un peu cahotique mais sans erreur possible, et au bout d’une heure je retrouve la section que j’avais parcourue en 1999. La remontée est plus ardue que dans mon souvenir, mais offre toujours un magnifique point de vue sur le rétrécissement terminal des gorges de la Lonca.

b947163480eeadf655fd0820a454a07f6e4df6.jpgPano Lonca


Après le petit col, je sentier file vers Ota. Arrivé un peu avant neuf heures, je m’octroie un diabolo-menthe au bar local avant de repartir après avoir fait le plein d’eau à la fontaine (fraîche).



Je retrouve le TMEM qui descend jusqu’au pont de Pianella puis suit les gorges de la Spelunca, moins spectaculaires que je ne le pensais,  jusqu’au pont de Zaglia : deux merveilles d’architecture génoise ! De là "il n’y a plus qu’à" remonter jusqu’à la route qui conduit à Evisa.

db9aa96a0407961174e323157ff6048e6946e9.jpgPonte di Pianella

051885c78f0a645ba30e5eb102d7919b9822f6.jpgPont de Zaglia



"Plus qu’à", facile à dire ! La montée n’est pas difficile - il s’agit d’un sentier muletier, quel beau boulot de construction ! -, mais c’est long : 500m de D+, et malgré les ombrages, il fait passablement chaud (on est mieux au-dessus de 800m!). Avant Evisa, il faut s’envoyer 800m sur le bitume (sans arbre, ça va avec…) pour arriver sur la place de la fontaine.


f5d5ca6b48b55f0c94e31e9d87c286459e3ab0.jpgEn remontant la Spelunca




Il y pas mal de monde et de passage de véhicules (y compris une moto qui viendra se garer pratiquement sur mes chaussures), ça fait un peu agité quand on vient de la Lonca. Mais bon, il y a une supérette (coppa + comté dans la musette) et des resto en pagaille. Comment choisit-on un resto ? Quand il y a marqué "lasagne de sanglier" sur l’ardoise du menu, pardi ! Mais plus que les lasagnes, c’est la salade que j’ai appréciée en entrée : le plaisir de remanger du frais après 3 jours de sevrage est incroyable !

Je repars tranquillement (il fait chaud, rappelons-le !) vers 14 heures, et le nez en l’air je loupe la bifurcation vers le Mare a Mare, me coltinant inutilement au passage 1,5 km de bitume. Le sentier jusqu’aux piscines d’Aïtone promet d’être tranquille. Topographiquement, parce côté fréquentation, c’est plutôt peuplé. Du vacancier véhiculé qui tente de parcourir les sentiers en tongs, serviette à la main, en cohortes bruyantes. Une antithèse de randonneur, qui cherche lui à se fondre dans le paysage. Le MAM prend d’abord le titre de "sentier de découverte", narrant l’histoire de la production de châtaignes en Corse. Instructif, d’ailleurs: j’ai appris que les châtaigniers avaient un propriétaire qui peut être différent de celui du terrain où ils se trouvent, le possesseur de l’arbre ayant un droit de passage permanent sur ce terrain. Avec le jeu des successions, chaque arbre peut avoir plusieurs propriétaires, ce qui est la source de nombreuses procédures judiciaires !




A la jonction avec la route, le MAM poursuit son chemin vers l’est. Avant de le reprendre, je veux me rendre au "belvédère", un site encore noté sur la carte mais oublié par les guides - il était pourtant coté *** dans le Michelin en 1970. Le sentier se perd pratiquement dans le maquis, mais avec un peu de flair il est possible de joindre le lieu en question, gros point de vue surplombant le ruisseau d’Aïtone de plus de 250 mètres, assez impressionnant. Peut-être pas trois étoiles, mais vaut largement le détour sans effort de 700 m qu’il m’a "coûté".



6a5955ac85449289c50983cb7df331c798f7c7.jpgLe Belvédère



L’itinéraire suit à présent un large sentier qui mène aux "piscines", un lieu surfréquenté et bruyant dont je m’échappe rapidement. Après le franchissement d’une passerelle au-dessus du torrent, un bon coup de cul va me faire monter rapidement de 160 mètres pour gagner un secteur beaucoup moins fréquenté, où je trouverai ma piscine personnelle, avec une eau toute aussi claire que celle de la Lonca, mais beaucoup plus fraîche. Plouf.

L’objectif primitif était de trouver un bivouac dans la vallée d’Aïtone, puis de remonter le lendemain à la boussole sur les crêtes sud pour repiquer sur le GR20 au col Saint Pierre. Mais des envies de confort m’assaillent et je choisis une option plus confortable (et peut-être un peu plus aléatoire, mais je suis ce soir d’humeur joueuse, le programme ayant été parfaitement respecté). Remonter sur la route du col de Verghio et tenter le stop jusqu’à Castel de Verghio pour reprendre directement le GR20, avec un douche chaude au gîte. Et un repas chaud ce soir (décidément, je fais assaut de gastronomie, aujourd’hui… ). Allez, ça se tente. Au pire, je me sens d’attaque pour relier Castel de Verghio à pied par la route s’il le faut !

J’arrive facilement à trouver un passage pour franchir le ruisseau d’Aïtone et remonte rive gauche. Chemin faisant, je traverse le village de vacances Paisolu Aitone, complètement inoccupé en ce moment. La vue de ces bâtiments vides perdus au milieu de nulle part dans la forêt a un côté paramilitaire légèrement angoissant, bizarre.

La route est rejointe, mais ce ne sera pas ce soir que j’alignerai les kilomètres de bitume : la troisième voiture s’arrête et me conduit en quelques minutes à Castel de Verghio. Il doit être environ 17h30. Je m’enquiers d’une place libre au gîte : "Oui ! je vais vous ouvrir la 57, je vous conduis.". Et voilà comment je me suis retrouvé seul dans une chambrée - propre et moderne - destinée en principe à 10 personnes, avec douche chaude : elle est pas belle, la vie ?

Lessive pour les fringues, douche pour le bonhomme, il ne me reste plus qu’à faire ce que font tous les randonneurs le soir au refuge/gîte : causer de leurs journées. Je trouve là un groupe très sympathique originaire d’Ardèche (apéro - saucisson), et qui parcourt un demi GR20 sud-nord par l’intermédiaire d’un tour-opérateur. Et là, je découvre que la fréquentation du GR20 est (encore) en train de changer.

À la création du GR20, le trajet a été conçu pour suivre au plus près l’arête de partage des eaux. En conséquence, c’est un parcours de crêtes à caractère très montagnard, ardu physiquement, avec à l’origine des infra-structures quasiment inexistantes. Il n’y avait du ravitaillement qu’à Bavella (J2), Vizzavona (J6) … et Calenzana (J14), aucun dans les refuges qui ne proposaient alors que le couchage. Avec le succès, les refuges se sont équipés, et dès les années 1990, proposaient gîte + couvert + ravitaillement. Forcément, la fréquentation de ce sentier devenu mythique ("le plus difficile d’Europe") a explosé. Devant la demande, les tour-opérateurs s’y lancent à présent et proposent (moyennant une solide participation financière) un parcours avec transport des sacs. S’ils évitent les refuges estampillés PNRC et se replient sur les points plus privés (Ballone, Vaccaghia, Castel di Verghio, Bavella…), ils apportent une clientèle radicalement différente, plus aisée, moins sportive et moins habituée à la randonnée, venant souvent pour un demi-GR20 (partie nord ou partie sud), ce qui change l’esprit global - même si le caractère rude du trajet finit par aplanir tout ça.

Après un copieux dîner dans la salle à manger moquettée (soupe corse, steak-pommes de terre, fiadone), face à Paglia Orba, je me replie dans mon palace. Demain, cap au sud par le GR20 jusqu’à Vaccaghia…




21,8 km, D+1200, D-700

Dernière modification par abaddon13 (15-11-2016 09:08:14)

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#11 14-11-2016 09:03:52

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

ester a écrit :

Bonjour Abaddon13, smile
Tu devrais héberger tes photos sur RL (barre du haut -> gérer mes images), dans quelque temps, elles risquent d'avoir disparu du récit, sinon. wink

bah, flickr, ça devrait pas trop bouger, non ?

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#12 14-11-2016 09:17:36

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

J5, mercredi 17 août

Lever tranquille, le p’tit déj n’est pas servi avant 7 heures. En me rendant au resto, je jette un coup d’œil à Paglia Orba : quelle montagne superbe ! Elle est dans le prolongement de la chaîne du Cinto, mais à chaque fois qu’on voit "la Grande Barrière", le regard revient inévitablement vers le groupe Paglia Orba - Capo Tafonatu. Le Capo qui me nargue, quel dommage de n’avoir pas pu faire ce saut au Trou…

A moins que … mais oui !   

Quelle buse je fais ! De Castel de Verghio, je suis à 3h30 de Ciottolu i Mori, et de là, il faut 1h30 pour faire l’aller-retour au trou. Temps total théorique : 7h30, allez, 6 heures avec un sac léger et à moi le Trou (en tout bien, tout honneur) !

"Bonjour, Monsieur le réceptionniste du gîte, reste-t-il de la place pour ce soir ?
Oui, sans problème.
Est-il possible de laisser une partie de ses affaires pour la journée ?
Pas de problème non plus, vous les laissez sur votre lit avec une couverture par-dessus.
Parfait, à ce soir !"


a4fa55f8625d7c7bcb9cdc7d1a644c092755b7.jpgEtape 5


Partir pour une virée avec un "sac à la journée", poids maxi 3 kg, c’est le confort ! Je retrouve le GR20, direction nord, le même parcours qu’en 2007 et 2010. La première partie est récréative, serpentant en sous-bous, le jeu est de ne pas perdre un tracé qui se fait plutôt discret. Sorti de la végétation, je monte vers la petite bergerie perdue de Radule, à côté de la belle cascade du même nom. Perdue, pas tant que ça : les propriétaires, surfant sur la popularité du sentier, ont disposé une buvette-crêperie avec parasols et vente d’huiles essentielles (la grande tendance 2016 sur le GR, paraît-il). Il ne reste ensuite qu’à remonter le Golo rive droite … euh, rive droite, vous êtes sûr ? J’ai comme qui dirait perdu les balises et le tracé, là… trop sûr de mon fait, j’ai dédaigné la passerelle et filé tout droit. Grrr… J’en suis quitte pour faire un peu de hors-piste pendant 300 mètres pour rattraper le GR. Après une courte montée, j’arrive sur la haute vallée du Golo, où le paysage s’ouvre, avec en toile de fond le couple Paglia Orba - Capo Tafonatu : magnifique !



79940c4546ec788687b3cbf3e1efd5a1296af7.jpgCapo Tafonatu et Pagia Orba



Le Col des Maures, mon premier objectif après le refuge, est nettement visible entre les deux montagnes. Son accès est facile, ensuite, ce sera un peu plus acrobatique, même si cela ne présente aucun passage de vraie escalade.



Le cheminement au fond de cette vallée au caractère nettement alpestre est très aisé. Il faut ensuite soit suivre le GR qui s’élève à main gauche, itinéraire que je prendrai à la descente, soit tirer tout droit sur le refuge. Plus direct, mais plus pentu… Avant d’attaquer ce petit hors-d’œuvre, je m’arrête auprès d’un source sympathique pour une pause-céréales. À la reprise, je croise un couple dont le mari paraît mal en point. "Mal au dos, je descends doucement !" Aïe, c’est pas vraiment l’endroit, heureusement que la suite en descente est clémente ! Une demi-heure plus tard j’arrive au refuge, où je tape la discute avec deux jeunes qui s’enquièrent sur le parcours à venir. Je les retrouverai le soir à Verghio.



Mais les nuages faisant leur apparition dans un ciel jusqu’ici clément, je préfère ne pas perdre de temps. Je m’élance vers le col des Maures par un tracé nettement visible et bien cairné, pas d’erreur possible. Le col lui-même est un endroit assez impressionnant, son versant nord est presque à pic. A droite, Paglia Orba, à gauche, Capo Tafonatu. Bon, à gauche, mais où ? Je vais mettre un peu de temps et deux essais infructueux pour repérer le passage qui permet de franchir le premier verrou. Pourtant j’aperçois au-dessus une équipée qui s’engage dans la vire qui mène au Trou, je sais donc où passer plus loin, mais l’entame est moins évidente. Le gardien du refuge de Ciottolu m’avait dit en 2010 : "Le Trou, non, c’est pas difficile. Faut pas avoir peur, c’est tout !"


1e55c0cc6d0f89d5bce3a6be1d89ffbed043af.jpgCol de Maures


Et c’est vrai, il n’y a rien de difficile: zéro pas d’escalade, une trace bien cairnée quand on lève un peu le nez dans les passages douteux, et cette fameuse vire d’environ un mètre de large, avec quand même un très court passage de deux pas qui se rétrécit à 30 cm et demande un peu de concentration et de sang-froid. Après, il suffit de suivre les jalons et le tracé arrive au Trou par le dessus.

5df8c0f50650355e924d6a661d392350a3ee11.jpgLa Vire du Tafonatu


L’endroit est rendu encore plus impressionnant par le vent qui fait passer la brume par lambeaux dans le trou, un orifice d’une trentaine de mètres de long qui permet de voir jusqu’à Galeria et sa baie par temps ensoleillé. Le site vaut vraiment le déplacement, par son coté extra-ordinaire, rocheux et sauvage.


df6a3bd2260bdc0e896e4020c605001293a71b.jpgPano trou du Tafonatu


En arrivant j’ai rejoint l’équipée aperçue précédemment. Le groupe de jeunes d’environ une vingtaine d’années est encadré par un guide, qui choisit de redescendre par la seconde voie d’accès au trou : les gradins. Moins spectaculaire et plus commode que la vire, elle permet de couper l’itinéraire et de regagner le chemin bien au-dessous du col des Maures, et de là, de filer sur le refuge. Je ne m’y arrête pas, et reprends le GR en descente, contournant la vallée du Golo par la crête ouest, avec une vue remarquable sur Capu Rosso, extrémité sud du Golfe de Porto.

Je m’amuse dans la descente, transformant le GR en piste de ski avec planter de bâton à chaque virage. Le parcours le long du Golo est l’occasion d’une petite pause rafraîchissante avant de poursuivre, jusqu’aux bergeries de Radule (stop-coca). Juste après, je rattrape le couple en difficulté du matin, à allure très prudente. Ils ont mis deux heures pour monter jusqu’au refuge, et probablement trois fois plus pour retourner jusqu’au Fer à Cheval… galère !

Vers les cinq heures, je suis de retour à la chambrée n°57. Cette fois-ci je ne serai pas seul, il y a là un trio de randonneurs qui triplent les étapes en mode ultra-léger (sacs entre 3 et 6,5 kg). Et je retrouve les deux jeunes croisés à Ciottolu, Vincent et Lucas. Ils me font le récit du début de leur GR20 nord, avec notamment la récente "étape du Cinto" qui passe à 2600m d’altitude, nouveau point haut du GR20, apparemment un copieux menu de 9 heures. "Dans les descentes, ça va, mais en montée, on en chie !" me confient-ils. Forcément, avec des sacs de 18 kg lestés avec l’apéro (une bouteille en verre avec du whisky… pas très MUL !). Ils vont bivouaquer sur l’aire du Castel, en mode "non-officiel" (c’est à dire gratos, ils font des économies pour pouvoir se payer les fameuses lasagnes de L’Onda !).

Le dîner se fait dans le même cadre que la veille, toujours devant le même panorama sublime, mais mes pensées ne sont plus les mêmes : "Finalement, je l’ai fait, ce Tafonatu !"



16,2 km, D+ 810m, D- 810 m

Dernière modification par abaddon13 (15-11-2016 09:07:08)

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#13 15-11-2016 09:15:40

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

J6, jeudi 18 août


Aujourd’hui, journée simple jusqu’à Vaccaghia, il n’y a qu’à se laisser porter par le balisage rouge et blanc. Comme je termine mon sac, je croise Lucas et Vincent qui sont en partance pour Manganu : l’occasion de faire un bout de chemin ensemble.


C’est une partie relax du GR20, et que je connais bien : chemin de ronde quasiment plat jusqu’en-dessous du Col St Pierre, une grimpette sans difficulté (et sans intérêt) pour rejoindre Serra San Tomaghiu, de là terrain facile jusqu’au col (Boca a Rêta, 1883m) et parcours bucolique le long du lac Nino. Journée détente.

525c32c8bfccddae016ee4eeb5d80497379b5e.jpgEtape 6

L’occasion pour moi de jouer au guide touristique en expliquant la topographie des lieux et les contes qui s’y attachent. Connaissez-vous par exemple la légende des arbres penchés du Col St Pierre ?

ec530b43032965c78cbd5160120af852d71041.jpgArbre sur le GR20


La légende affirme que ces arbres étaient droits. Mais le lieu, du fait de son exposition,  se prêtant aux châtiments, on décida de pendre les adultères à ces arbres pour faire exemple. Les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Du côté des hommes, les branches furent peu sollicitées et résistèrent. De l’autre côté, les branches rompirent sous la multiplicité des condamnées, car chacun sait qu’il y a plus de femmes adultères que d’hommes… Voilà !



L’arrivée sur le lac Nino est beaucoup plus jolie en venant du nord. Le paysage s’y révèle assez soudainement et dans toute son ampleur et sa verdeur, les animaux paissant calmement alentour. Au passage nous nous faisons doubler par une caravane de chevaux et de mules qui vont ravitailler un refuge.


37aa5c14b50d9d227668c0583843381390e7b4.jpgPano Nino


La fontaine de Nino ne coule guère en ce moment, mais c’est tout de même l’occasion de faire une pause. Vincent ne mange rien. Curieux. "Ouais, mais je me connais, si je commence à manger, je vide les réserves !". Ben, d’un autre côté, si tu manges pas, bonhomme, tu vas pas aller loin…
A la reprise, ça ne loupe pas, il commence à trouver le but trop lointain, le terrain trop inégal, le paysage monotone, on dirait un gamin de trois ans dans un voyage en voiture : "C’est encore loin? Quand est-ce qu’on arrive ?"

Chemin faisant, Lucas me propose de pousser jusqu’à Manganu : "Comme ça, on te file un lyo, comme on n’a pas beaucoup mangé aujourd’hui…". Je me laisse tenter, le détour n’est pas important. Au refuge, pas mal de monde, dont un groupe qui nous demande "combien de temps pour Verghio ?". Environ 4 heures dans ce sens tout de même, il est 15 heures, faut y aller si vous voulez y être ce soir, les gars. Ils vont mettre une bonne heure à partir : "Allez, encore une Pietra avant de prendre la route !". Pas sûr qu’ils soient arrivés à temps, ceux-là !

Le temps de taper la discute en avalant le lyo promis (lentilles et lardons, 450 kcal, boum !), le temps s’ennuage quelque peu. Mes doutes sur la fiabilité de l’abri ressurgissent avec autorité. Un bivouac à 1850 m d’altitude avec un temps et un abri incertains, mauvaise médecine. Option bis enclenchée et nouvelle modification d’itinéraire : je reste à Manganu sous la tente (location, 17€, ouch !) et je rejoindrai la vallée de la Restonica non par le col de Goria mais par la Bocca a e Porte - une des montées les plus rudes du GR20, mais un panorama mythique sur les lacs de Capitello et Melo.

Du coup, soirée tranquille après une étape cool, je renseigne des randonneurs sur les bons tuyaux du GR20 et j’attends tranquillement le dîner avec les obligations habituelles : lessive et douche à l’eau froide (brrr !). A la sortie, je tombe sur Lucas et Vincent sur le départ. "Ben, je croyais que tu étais crevé, Vincent ? - Ben, maintenant que j’ai mangé, je suis prêt à repartir !". Tsss… ! Ils visent un spot de bivouac dont je leur ai parlé, à environ une heure au-dessus, un coin de rêve (pas franchement autorisé, mais de rêve). Du coup, je me pose illico un challenge : les rejoindre le lendemain à la Brêche de Capitello. Je pars avec un handicap d’une heure, mais leur handicap de 18 kg sur le dos fera office de compensation.


Je reste donc sagement à Manganu, profitant du coucher de soleil. Repas sympa avec une causette en anglais avec des Slovènes, je ramasse au passage une anecdote du gardien qui raconte comment il avait été obligé de sortir nuitamment fusil en main pour faire déguerpir deux sangliers qui avaient décider de joyeusement éventrer les tentes à la recherche de nourriture ! Il a gardé les défenses en souvenir …

2492a589102e2f6808d2310b787588d3a4595a.jpgFontaine de Manganu

Sur la fin du repas, le gardien se dirige vers un gros container métallique situé en arrière du refuge, 4m x 2m x 2,5 m, déjà un beau modèle, il l’ouvre en grommelant "Qu’est-ce que ça boit ces randonneurs !", et révèle… des canettes de Pietra, du sol au plafond ! Une caverne d’Ali Pietra ! Livrée par hélico en début de saison…


Nuit sans souci (et sans sanglier) dans une tente propre (et sans punaises de lit, la calamité des refuges corses). Demain est une grosse journée.



15,8 km, D+ 530m, D- 360m

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#14 15-11-2016 13:05:09

marcheur75
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

abaddon13 a écrit :

...

La légende affirme que ces arbres étaient droits. Mais le lieu, du fait de son exposition,  se prêtant aux châtiments, on décida de pendre les adultères à ces arbres pour faire exemple. Les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Du côté des hommes, les branches furent peu sollicitées et résistèrent. De l’autre côté, les branches rompirent sous la multiplicité des condamnées, car chacun sait qu’il y a plus de femmes adultères que d’hommes… Voilà !

...

Un bivouac à 1850 m d’altitude avec un temps et un abri incertains, mauvaise médecine. Option bis enclenchée et nouvelle modification d’itinéraire : je reste à Manganu sous la tente (location, 17€, ouch !) et je rejoindrai la vallée de la Restonica non par le col de Goria mais par la Bocca a e Porte - une des montées les plus rudes du GR20, mais un panorama mythique sur les lacs de Capitello et Melo.

...

Merci pour ce récit vivant et les anecdotes.

Il faudrait revoir la légende de l'arbre penché, bien machiste et misogyne. En fait les branches ont cassé du côté des hommes, pas forcément plus nombreux, mais plus lourds, dans tous les sens du terme.

Je n'ai pas trop compris la location de la tente alors que tu avais un abri. Ton abri n'est pas imperméable,  ou avais-tu peur qu'il ne le soit pas ?


Je n'ai pas lu tous les livres, hélas ! Mais la chair est réjouissante...

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#15 15-11-2016 15:52:23

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

marcheur75 a écrit :

Il faudrait revoir la légende de l'arbre penché

je ne cautionne pas, hein ! wink

marcheur75 a écrit :

Je n'ai pas trop compris la location de la tente alors que tu avais un abri. Ton abri n'est pas imperméable,  ou avais-tu peur qu'il ne le soit pas ?

C'est juste une question de flemme : j'en parle dans la conclusion, je ne suis pas du tout au point pour l'abri (un Hyperlite Mountain Gear 2*3 tout neuf en cuben). Plus habitué à la tente, je trouve le montage compliqué et long, pour un résultat pas forcément "sécure", pour la protection contre les éléments comme contre les visiteurs indésirables (humains ou animaux). Le dernier point est probablement très subjectif, mais ce jour-là j'ai fait le paresseux hmm

Dernière modification par abaddon13 (15-11-2016 15:54:28)

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#16 15-11-2016 16:15:23

marcheur75
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

J'imagine bien que tu ne cautionnes pas cette légende qui, je l'espère, ne reflète plus depuis longtemps les mentalités du pays.

La paresse est un droit, sacré et inaliénable !


Je n'ai pas lu tous les livres, hélas ! Mais la chair est réjouissante...

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#17 15-11-2016 16:58:20

Ezequiel54
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

abaddon13 a écrit :

J5, mercredi 17 août

Ils vont bivouaquer sur l’aire du Castel, en mode "non-officiel" (c’est à dire gratos, ils font des économies pour pouvoir se payer les fameuses lasagnes de L’Onda !).

Ces lasagnes.... C'est bien le seul truc que j'ai détesté sur le GR20... et pourtant je suis pas difficile !
Comment peut on entreprendre des lasagnes sans sauce tomate sérieux ?? roll

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#18 16-11-2016 08:53:43

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

J7, vendredi 19 août

8426cc22db9e4514400f692f3363f3695cbea9.jpgEtape 7


Lever aux aurores pour attaquer la redoutable montée de Bocca a e Porte. Le temps s’est comme tous les matins remis au beau. Je pars parmi les premiers, rattrape rapidement les trois marcheurs qui me précédaient (merci sac UL !) en suivant le ruisseau de Manganu jusqu’au lieu supposé de bivouac des collègues. Personne en vue, ils se sont levés tôt, bons petits soldats !

A partir de là, selon la formule du topo-guide, "le terrain devient plus escarpé et l’itinéraire pénètre dans une zone particulièrement rocheuse". Autant dire qu’ici on goûte aux vraies joies des montées ardues du GR20 : la fin de l’ascension se fait dans un pierrier à gros blocs, pas mal pentu, ce qui m’oblige à régler mes bâtons au plus court. Arrivant en vue de la brèche, j’ai en ligne de mire deux marcheurs qui me hèlent : "On t’attend en haut !". Je rejoins Vincent et Lucas quelques instants après leur arrivée. 1h30 contre 2h45 topo, je me suis pas mal arraché ! La vue est toujours aussi majestueuse. De là j’explique l’itinéraire qui attend les duettistes : on voit jusqu’au Renoso, bien après Vizzavona où ils vont s’arrêter.

Pour l’heure, nos chemins se séparent après quelques centaines de mètres : dans un petit col, une flèche indique : Corte, en bas à gauche. Salut et bon chemin, les gars ! Je rejoins le lac de Capitello par une sente malcommode et passablement glissante (sable sur roche, ça ne donne pas un terrain vraiment stable !).

4b649e7b9d654b630b3896f7903797e2814c1b.jpgCapitello

Vu d’en bas, le lac est moins joli que d’en haut, mais son cadre âpre reste assez impressionnant. Sa profondeur (42m) rend les eaux noires, alors qu’en fait elles sont très claires !

b49cfd02bddc37ce551816c9349036a4c53dba.jpgCapitello 2

Le lac de Capitello est un spot très couru par les marcheurs remontant la vallée de la Restonica. Malgré l’heure relativement matinale (9h - 9h30), le site commence à être envahi par des hordes de promeneurs. Le bain dans le lac, ce ne sera pas pour aujourd’hui, je vais tout de suite descendre vers Melo, à contre-courant…

En une heure et des poussières, le temps d’atteindre la buvette de Grottelle, je vais croiser cent fois plus de gens que dans le reste du parcours. Très différents des randonneurs, ces promeneurs : beaucoup plus bruyants, ne répondant pas au salut, souvent sous-équipés (le passage des échelles en tongs laissera sans doute des souvenirs à quelques-uns !), je me hâte donc pour échapper à cette agitation.

La halte à Grottelle est l’occasion de s’offrir un petit remontant (fiadone - limonade) et de faire le plein d’eau, le tenancier me laissant peu d’espoir de trouver une source d’ici la fin de la journée. Trois litres devraient suffire, ce que ça pèse, l’eau !


Après une heure et demie de cheminement tranquille au bord de la Restonica, j’arrive au croisement d’où s’échappe le chemin qui monte au plateau d’Alzo. Je mangerai dans la montée, qui risque d’être chaude : à force de perdre de l’altitude, j’ai retrouvé la chaleur, espérons que la montée sera clémente. Heureusement le tracé est bien conçu, monte progressivement et trouve quelques passages ombragés, tout en offrant de jolies vues en arrière sur le groupe du Lombarduccio.

ef846007a776761a8e517304c8d418852b26b5.jpgLombarduccio au fond de la vallée de la Restonica


Chemin faisant, je croise quelques randonneurs à la journée. Je m’informe : y a-t-il de l’eau à la  Funtana Bianca (les fontaines indiquées sur la carte sont généralement permanentes) ? Non, me répondent deux touristes allemands, nous n’avons vu que des traces d’eau qui traversent le sentier. Je vérifierai quand même… Arrivé aux alentours du lieu, petit vallon, fougères, tout ça est propice mais pas de trace de source depuis le sentier. Je m’arrête, j’écoute… il y a un bruit de source ! Ah, les ballots, trois mètres en-dessous du passage, une jolie goulotte avec un clair filet d’eau, un trésor pour remplacer le tiède liquide qui ballotte dans mon sac ! Je m’arrête pour le casse-croûte,  graines - fromage : finalement le fromage type comté ça passe très facilement  et c’est bien calorique !

a33f51aa402b9c7dfd68fbbf45be667889ffeb.jpgPlateau d'Alzo

J’arrive aisément sur le plateau d’Alzo, désert, avec une petite lune qui joue les sentinelles au-dessus des montagnes. La sente serpente sur ce terrain surchauffé mais à peu près plat, j’avance bon train. Je croise un espace récemment brûlé puis arrive dans la forêt du Tavignano où les arbres apportent une ombre bienvenue. Il ne me reste plus qu’à descendre sur A Sega, 420m de dénivelée en terrain poussiéreux et d’un intérêt limité, la vue étant étouffée par les arbres. Ca paraît longuet, d’autant qu’en arrivant, j’en serai à 1700m de négatif dans les pattes, ça compte !

091524c6bc80c6ae0fa08d819c06425e341cab.jpgTavignano à a Sega

Le site d’A Sega est décrit comme "un beau site forestier". C’est un grand à-plat au milieu de la Forêt Territoriale, où a été édifié un refuge de grande capacité, géré par les propriétaires de la Châtaigneraie installée à côté. Les grands pins et la petite gorge confèrent à l’endroit un charme certain, par contre le refuge lui-même est sinistre, grande bâtisse plaquée de lattes de bois sombre, dans un état de décrépitude marqué - la salle commune pourrait servir de décor post-apocalyptique, avec ses équipements défoncés et ses placards désarticulés. Les sanitaires … ne font pas très sains, chiottes à la turque et douches cimentées des plus rustiques : tuyau simple ou tuyau + pomme de douche ? Je choisis la seconde solution, mauvaise pioche, les fuites expédient l’eau partout sauf dans la pomme !



Pas envie de monter l’abri pour ce soir, encore une fois. Je loue une tente (qu’on ne me fera pas payer), c’est moins propre que la veille, espérons que les punaises n’aient pas colonisé la place (il n’y aura pas de problème). L’endroit est peu fréquenté et il ne se trouvera ce soir au campement que des étrangers (italiens, allemandes et slovènes ou quelque part dans le coin).

Allez, ne lésinons pas, un dernier repas à table à la Châtaigneraie ! Au menu, charcuterie corse, soupe de lentilles (meilleure que le lyo…) avec panzetta et des petites pommes de terres rissolées avec la petite croûte dorée, je ne vous dis que ça ! Plus un petit dessert à la mandarine corse, ouf ! Je n’ai plus qu’à aller me coucher ! "Mais vous ne partez pas déjà ?" me demande la tenancière… Ah, parce qu’il y a encore la myrte ? Dans ce cas… Si avec ça je ne dors pas bien…

De retour au campement, surprise : mes deux jeunes voisins italiens ont fait du feu. En plein milieu de la pinède. L’occasion de leur rappeler le danger des flammes en Corse, d’autant que tout feu est strictement interdit dans le Parc. "Oui, mais nous avons vu un foyer, alors… -Et vous n’avez pas d’incendies, dans le centre de l’Italie ? -Ben, si, mais … - Bon, laissez ce feu mourir, plus de bois dessus". Ahlala…

Demain, retour vers Corte par le chemin des écoliers. J’en ai assez fait pour la journée !



20,3 km, D+ 1260m D- 1700m

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#19 17-11-2016 08:51:04

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

J8, samedi 20 août


L’aube se lève sur un ciel tout dégagé: je ne pourrai pas dire que j’aurai eu des problèmes de météo ! … A part la chaleur, que je risque de retrouver en fin de parcours en redescendant à basse altitude sur Corte (400m).


Au menu aujourd’hui, jeu de piste : d’abord gagner Bocca a l’Arinella par le Mare a Mare nord, puis suivre la ligne des crêtes jusqu’à Capu Niolatu, et ensuite jouer de la boussole pour gagner le sentier qui doit me mener jusqu’à l’Arche de Corte, ultime spot de ma rando.

cd197855b03089a410a5f121acb3a2ec678399.jpgEtape 8

Je pars tôt, je ne perds pas de vue que j’ai un train à prendre (aux alentours de 17 heures, ce qui est très large). Je suis donc le premier sur le sentier.


Ah, non, il y deux personnes. Flûte. Bon, je les grille, facile. Me voilà donc, comme je le disais, seul sur le sentier. Avant Bocca a l’Arinella, je prends le raccourci indiqué par le patron de la Châtaigneraie, devant la bergerie à droite… et je me paume. Je coupe jusqu’à un grand chemin carrossable, un coup d’œil à la carte, le reprendre sur 800 m (merci, le raccourci) pour rejoindre le col, où est fiché un splendide panneau fléché "Corsia" : c’est bien ma direction, balisage orange. Jusque là tout va bien.


Ce petit sentier est apparemment très peu fréquenté (je serai seul jusqu’à l’Arche), et sur ce terrain facile et dégagé, se perd peu à peu. Le jeu consiste alors à faire preuve de "sens de l’itinéraire" et à se fier à la topographie générale et au pif pour se diriger. Pendant 1,5 km je retrouve des balises de façon éparse, après, plus rien. Pas grave, il y a de bons repères, les bergeries de la Borba, check, passer à gauche du Capu Niolatu, ok, et descendre jusqu’au petit col de Conia, ça doit être celui-ci.


Là, les choses se corsent (il aura fallu 24 pages avant que je case cette expression, ça a été dur de se retenir). Il me faut trouver un petit sentier non balisé indiqué en fins pointillés sur la carte, le plus petit modèle, quoi. Point topo, boussole, azimut, il s’agit de ne pas se planter dans cette forêt, car l’équation serait simple : égarement = grosse galère  avec perte de temps = pas de train = pas de bateau = je suis dans le pétrin. C’est le moment de faire confiance à mes connaissances cartographiques. Et ça marche ! Après un tout droit de 50 mètres, je tombe sur le sentier recherché, très bien tracé, qui file en sous-bois jusqu’aux bergeries de Conia (source). Je rejoins là une grande voie DFCI que je vais suivre jusqu’au col de Cannaghia, 250 m de D+ sans arbre et sur une route toute blanche, bien surchauffée. Heureusement qu’il n’est que 11 heures, je prends un bon coup de chaud dans la montée. La vue plonge sur le vallon de Padule, où le maquis se fait ras, écrasé de soleil. Il s’en dégage une odeur puissante, l’air est gorgé de senteurs qui me font marcher le nez au vent, tel le limier en quête. La bergerie de Padule possède une jolie petite source claire, je discute avec le berger venue prendre l’eau pour l’apéro : "L’Arche est juste derrière le col, à 10 minutes. après, il n’y a plus qu’a redescendre sur Corte. Moi, je l’aime pas, cette descente, et pourtant j’ai l’habitude de marcher ! Enfin, vous verrez bien… En tous cas, l’Arche, ça vaut le coup !".


Joli sentier jusqu’au col, puis je bascule dans le début de la descente. Terrain délicat : pas mal de pente et des petits cailloux qui roulent sous les pieds, l’attention est de mise. Le nez dans les chaussures, j’arrive sur l’Arche sans m’y attendre. Une merveille de dentelle granitique!

085c5b2a38f4c5d7a404b3979bf272731d9b86.jpgArcu di Corte


Une merveille à dimension humaine, elle ne doit guère faire plus de 10 m de haut et son aspect change quand on tourne autour.

c52f7bca52ffe2df7f4589d7fe0e127ca3a1eb.jpgArche est

Je m’installe face à son profil ouest pour déjeuner et profiter pleinement du spot. Il y a pire comme paysage pour un break coppa-comté !


5fb8cd849139f23ca878b8ba384c41cd3677fa.jpgArche Ouest


Je reste une bonne heure pour profiter du spectacle, je suis tout à fait dans les temps, et pas trop pressé de me taper les 900 m de D- qui suivent et ne promettent pas d’être passionnants.

Le début du parcours n’est pas en descente, mais louvoie entre les reliefs, avec de petits escarpements inattendus, pour trouver un petit collu où un oratoire sommaire salue la persévérance du randonneur.

209d9432f3efb96ad6cccd1a5014c8ad86ffc7.jpg...

De là, arriver à Corte n’est plus qu’une question d’endurance. La descente cumule tous les obstacles que peut redouter un marcheur : passages pentus dans la poussière, blocs instables (un rocher de 50 kg s’est décroché à mon passage), racines traîtresses, gravier sur des plaques rocheuses en pente, et fin du parcours en maquis ras où je retrouve ma copine la chaleur étouffante qui m’oblige à m’arrêter à l’ombre : j’ai l’impression d’être un convecteur tellement j’irradie de la chaleur !

Corte, capitale historique et culturelle de la Corse, apparaît comme une cité fourmillante, pleine de touristes et de voitures, et se présente pour moi comme une réimmersion assez brutale dans le monde moderne. Au milieu de tout ce va-et-vient, je me sens un peu décalé … et très sale, la descente n’ayant pas ménagé l’aspect du personnage. J’arrive à trouver un point d’eau à peu près isolé pour faire une toilette sommaire, changer de chaussettes et dépoussiérer le bonhomme. Je peux à présent me rendre dans le centre et m’échouer dans un bar possédant une grosse carte de glaces - récompense traditionnelle des fins de randonnée.

Une dernière marche me conduit à la gare, deux heures à perdre, re-arrêt au bar à côté de 4 jeunes qui ne communiquent que par signes et grognements, le nez dans leur portable respectif. Je migre dans la gare où j’entame la causette avec deux randonneurs en attendant le train. Les quais sont bondés, les deux rames se croisent en gare avant de repartir sur leur voie unique. Le trajet jusqu’à Ajaccio est moins beau que ce à quoi je m’attendais, mais se passe agréablement (rame climatisée, heureusement !). Le temps de prendre de quoi faire un apéro cochon (vin- saucisson, rien de plus !), je m’offre un dernier resto avant de me diriger vers l’embarcadère.

Le bateau, archi-complet, aura une heure de retard à son arrivée, donc autant à notre départ. Vu l’affluence, je préfère me trouver une place à l’extérieur où je passerai une bonne nuit sur mon matelas, malgré le vent constant qui balaie le pont.


Une courte marche me permet au matin de rejoindre la gare de Toulon où je reprends le train pour La Ciotat. Arrivée vers 9 heures du matin… ça fait quand même du bien d’être de retour à la maison !


20,8 km D+ 830m D- 1560m

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#20 18-11-2016 09:18:46

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

Post-scriptum : coup d’œil dans le rétroviseur

Voilà plus de deux mois que les affaires de randonnée ont été remisées pour l’hiver. Le duvet a retrouvé sa housse de stockage, le coupe-pluie est sagement pendu à son ceintre, le sac est rangé à côté des autre, etc. Il reste les souvenirs et l’expérience engrangée. Retour sur images.

Comme tous les treks dépassant la journée, la "traversée Galeria - Corte" a ramené son lot de souvenirs. Des bons et des moins bons. Globalement, et comme souvent, le voyage n’a pas été tout à fait à la hauteur du fantasme : j’avais rêvé de bivouac solitaire au bord du lac de Goria, de bain de minuit à Cala di Tuara, de longues journées de randonnée parfaite ou le programme est suivi à la lettre, et finalement c’est le pragmatisme qui l’a fatalement emporté, révélant une capacité d’adaptation somme toutes très satisfaisante.

Car en somme, qu’est-ce que j’ai loupé ? Le crochet par le refuge de Puscaghia, un lieu sauvage tout au fond de la vallée de la Lonca ; le bivouac du lac de Goria - et là je n’ai pas su faire confiance à mon abri alors que les conditions météo n’étaient pas si mauvaises, en définitive, j’ai préféré la sécurité à l’aventure, et je m’en veux un peu. Et puis c’est quasiment tout. J’ai réussi à recaser mon excursion au Trou du Tafonatu, j’ai bien joint dans les temps le point de départ et le point d’arrivée et vécu des moments d’immersion dans l’environnement (le bivouac de la Lonca, la montée au plateau d’Alzo et sa belle source, le cheminement de la dernière journée avec la découverte de l’Arche …) qui laisseront un bon paquet de chouettes souvenirs. Le parcours était donc bien dessiné.

Côté matos, l’allègement a porté ses fruits : je n’ai physiquement pas souffert et me suis avalé des étapes solides sans difficulté, seule la chaleur m’a bloqué. Le KS50 est un sac très bien adapté à ce type de trek, léger, logeable et solide. Mon duvet a été plus que suffisant dans les conditions très clémentes de température. Le matériel de pluie n’a pas été mis à l’épreuve. Mes chaussures basses concilient la légèreté et l’accroche, je n’en changerai pas. Il n’y a guère que l’abri qui pose question : je ne suis visiblement pas au point avec ça et je préfère nettement ma tente Raidlight ultra. Elle pèse certes 750g de plus mais se monte sans aucune difficulté en moins de 3 minutes et constitue un vrai chez soi fermé plus sécurisant (pas en bivouac, mais en campement : j’avoue être réticent à l’idée de laisser mes affaires à la vue et à la portée de tous, même si je sais que la protection offerte par la tente pour des personnes mal intentionnées est tout à fait illusoire). Il faut que je bosse davantage les montages pour me trouver une solution demi-fermée ou fermée qui me conviendra mieux, mais la difficulté du montage va rester un obstacle : je m’imagine mal devoir monter un abri en conditions difficiles vent + pluie, gérer l’équilibre des "mâts", la toile qui flotte au vent et un montage pas toujours évident, galère en vue…

Cette randonnée a aussi confirmé un point sensible : vaut-il mieux randonner seul ou à plusieurs ? La solitude a ses charmes : totale liberté de progression (vitesse, durée, choix des pauses) mais aussi ses inconvénients, que j’ai ici touché de près : en cas de galère physique ou mentale, mieux vaut être à deux (ou plus) pour supporter le choc. Je ne parle pas de sécurité - une préoccupation qui m’est totalement étrangère en rando -    , mais bien de mental : la vitesse avec laquelle j’ai baissé les bras puis remonté la pente est très démonstrative de la fragilité du mental, même si l’expérience et la préparation physique apportent une bonne confiance dans ses possibilités. Au cours des jours, j’ai opté pour des campements non isolés plutôt que des bivouacs solitaires, et même si le bivouac de la Lonca reste mon meilleur souvenir pour cette traversée, le plaisir de partager ses émotions avec d’autres est certainement ce qui me manque le plus en randonnée.

The liste

HORS SAC 2160
ChaussuresMerrel MOAB gore-tex780
Chaussettes36
Slip34
PantalonMillet256
T shirtNorth Face146
CasquetteQuicksilver88
Cartes8 feuilles A4 1/25 00040
Boussole31
APNOlympus143
FrontaleeLite Petzl27
BâtonsLeki495
PORTAGE725
Sac à dosKS30472
HydratationPoche à eau  Source 2l178
Sacs étanchesSea to Summit (8l duvet, 12l fringues)75
COUCHAGE1410
DuvetBoulder 450844
MatelasThermarest Prolite small334
SursacRAB - Sursac Survival Zone LITE232
ABRI401
TarpHyperlite Mountain Gear 2*3 + haubans255
Sardines12 titane74
Polycree1 feuille 1,50*2,5072
CUISINE106
TasseTitane55
CouvertLight my Fire9
CouteauOpinel n°842
VETEMENTS1193
ShortRunning Nike87
Chaussettes31
T-shirtMerinowool D4125
Rain cutShelter Ultra Raidlight230
Slip25
MicropolaireCraft255
HYGIENE256
Brosse à dents8
Dentifrice18
SavonAlep dans ziplock20
PQ
Lentilles70
Crème solaire61
Gant-serviette64
Mini-pharmacie15
Trousse de toilette
DIVERS20
PapiersCNI + CB + €20
Sur le bonhomme2160
Dans le sac4111
TOTAL6271

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#21 19-11-2016 08:49:30

einganien
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

J'adore ton coup d’œil dans le rétro... Tu as bien résumé les bons et les mauvais cotés de la rando en solitaire. Je m'y suis bien retrouvé du coup roll
Je suis toujours en solitaire et des fois, on se pose des milliers de questions suivant notre forme actuelle ou la météo.
Je vais juste revenir sur ton histoire de tarp car perso, j'ai passé le CAP autrement. il y a 2 ans en arrière, j'étais sous tarp, puis je suis passé à la tente et je suis passé au bivy fermé puis au bivy + tarp si mauvais temps.

Au début, j'étais mal organisé avec mon tarp, avec du matos plus que moyen en couchage et je dormais mal, j'avais froid, enfin bof quoi.
Surtout, j'avais un gros problème de confiance avec ce matos, ce qui limitait mes bivouacs et je m'éttais un temps fou à trouver un spot.
J'ai pris une tente "légère" de 1200g et j'ai pu me protéger un peu plus du vent avec une facilité à réchauffer "l'abitacle" au cas ou. Je me sentais un peu plus en sécurité.
Du coup, bonjour la condensation et aucune visu sur ce qu'il se passe autour de la toile !! moi j'ai besoins de voir... Après plusieurs nuits, ça ne me plaisait pas, puis j'en avais marre de chercher des spots pour planter 6 piquets. Ce que je recherchais, c'est de m'installer n'importe où et n'importe quand avec une facilité extrème.

Comme je voulais dormir sur les sommets et qu'il est pratiquement impossible de monter une tente, je suis passé au Snugpak Stratosphère, un bivy amélioré qui se ferme complètement et qui peu se monter n'importe ou.
Un peu lourd pour ce que c'est, certes, mais on le pose et on dort et il protège très efficacement du vent et du froid.
Ensuite, j'ai pensé au mauvais temps. Si il pleut, comment faire... l'abri est sensé être imperméable (mouhai roll ), mais bouger dans le "cercueil" pour manger ou lire, c'est compliqué. J'ai donc pris un petit tarp de 265x200 pour 270g.
J'ai viré le Stratosphère pour m'alléger en achetant le bivybag Exped event/PU (240x95) qui est plus léger, plus grand et beaucoup plus technique que le Snugpak.
Et bien, à ce jour, j'ai entièrement confiance à mon matériel et je me sens en sécurité et je m'installe n'importe où sans calculer !

Tout ça pour expliquer qu'on peut très bien se protéger avec un petit tarp (moins de prise au vent) et un bivy fermé imperméable en protection tout en restant à l'aise et en sécurité.

De plus j'ai aucun matos (SaD, vêtements etc...) qui traine autour de moi, tout rentre dans la capuche du bivy.

Dernière modification par einganien (19-11-2016 09:12:26)

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#22 20-11-2016 09:43:39

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

Retour sur images.

Bocca Alle Porte, vendredi 19 août. Altitude 2225 m, environ 8h30. J’ai rejoint Lucas et Vincent depuis quelques minutes devant le somptueux panorama de la haute Restonica ; des contreforts du Rotundo aux crêtes du Lombarduccio, la vue plonge vertigineusement sur l’alignement des lacs de Capitello et Melo.

df632d2d0cba60b10e97960523dc795abbf1b3.jpgBrèche de Capitello

L’état d’esprit des deux copains est bien différent - Lucas est contemplatif, Vincent rumine :
"Vivement que ça se termine. Tu vois, c’est le septième jour et j’en ai plein les pattes. Et cette montée, c’est tout ce que je déteste. Trop de pente, et tous ces blocs, il faut tout le temps lever les genoux… C’est loin, Vizzavona ?"

Lucas reste silencieux. J’explique le paysage, les crêtes qu’ils vont suivre, le parcours entre le Rotundo, le Monte d’Oro et là-bas, le Renoso, après Vizzavona. Le regard de Vincent reste fixé au sol, fermé, tandis que celui de Lucas suit les reliefs, sans dire un mot. Il s’imprègne.

Vincent reprend : "C’est trop galère d’arriver jusque là !" Je fais remarquer que c’est quand même juste le plus beau point de vue du GR20, pas de réponse. Je relance : "Tu dis ça alors que tu viens de te farcir une des plus grosses montées du GR20. Je vais te dire : quand comme ici on arrive vers la fin d’un parcours somme toutes assez exigeant, on se dit : 'je serai content quand ce sera fini'. Et puis tu rentres chez toi, avec la satisfaction du devoir accompli, et à peine deux jours plus tard, quand tu ranges les images dans la case "souvenirs" de ton cerveau, tu es repris par l’envie de remettre ça un prochain jour."

Le regard de Lucas s’éclaire.

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#23 20-11-2016 09:58:03

abaddon13
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

einganien a écrit :

J'ai donc pris un petit tarp de 265x200 pour 270g.
J'ai viré le Stratosphère pour m'alléger en achetant le bivybag Exped event/PU (240x95) qui est plus léger, plus grand et beaucoup plus technique que le Snugpak.

Du coup tu utilises le plus souvent le bivybag seul, et tu rajoutes le tarp en cas de pluie ou de menace de pluie, c'est ça ?
Ça fait du 850g pour la protection: c'est moins que ma tente raidlight (1050g) qui reste à l'heure actuelle ce que je préfère (je garde la porte complètement ouverte sauf en cas de pluie et je dors avec la tête près de l'ouverture, bonjour les étoiles !. Le montage très rapide me permet de tout mettre à l'abri en moins de 4 minutes, avec pas mal d'espace. Je vais réfléchir à tout ça, merci des tuyaux !

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#24 20-11-2016 11:38:07

Ezequiel54
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

abaddon13 a écrit :

Je relance : "Tu dis ça alors que tu viens de te farcir une des plus grosses montées du GR20. Je vais te dire : quand comme ici on arrive vers la fin d’un parcours somme toutes assez exigeant, on se dit : 'je serai content quand ce sera fini'. Et puis tu rentres chez toi, avec la satisfaction du devoir accompli, et à peine deux jours plus tard, quand tu ranges les images dans la case "souvenirs" de ton cerveau, tu es repris par l’envie de remettre ça un prochain jour."

Le regard de Lucas s’éclaire.

C'est exactement ca ! Très bien expliqué ce sentiment que j'ai depuis quelques semaines !
Quand on m'a demandé à mon retour du GR20 début septembre si je le referai, j'étais catégorique en répondant que non. Mais finalement, je me dis que 14 jours c'était quand même la glande, et qu'en autonomie (au lieu de louer les tentes sur place), ca aurait vraiment une autre saveur... et puis finalement, pourquoi ne pas y retourner avec plus d'expérience d'ici quelques années  wink

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#25 04-03-2017 23:30:37

sqfp
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Re : [Récit + liste] 8 jours en Corse - août 2016

Chouette compte-rendu d'un parcours que je connais bien. Concernant la galère d'eau, penser à consulter la carte IGN ("fontaines" est un bon indice...) et le site refuges.info pour savoir où en sont les sources... Je confirme que la piste Serriera-Ota/Lonca est une horreur au soleil même en étant motivé-entraîné, c'est chianf et éreintant malgré la pente faible, faut se motiver pour courir d'un coin d'ombre au suivant...
Dommage d'avoir court-circuité le col de Capronale Puscaghja Lonca etc. À faire une autre fois, dans l'autre sens, en variant les plaisirs ? ou au plaisir de s'y croiser vu que j'y vais 1 à 2 fois l'an...

(Pour info, c'est moi qui ai laissé le livre d'or et cairné/débroussaillé l'accès à la source capricieuse de la MF de Lumiu... big_smile)

Dernière modification par sqfp (04-03-2017 23:35:18)


Déficit éducatif + Vide législatif = Comportement nocif hmm

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