Aller au contenu

Annonce

Réservez vos dates pour le Camp d'été 2024 : 10 au 17 août dans le Queyras !

#176 28-04-2024 13:09:23

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

foxof a écrit :

Si jamais tu passes par le Péloponnèse, j'y suis passé l'année passée (en nord sud), donc n'hésite pas si tu as des questions wink

Je n'y passerai pas, mais ça faisait partie des options sérieusesement envisagées. Je suis curieux, comment as-tu trouvé cette region ?

Hors ligne

#177 28-04-2024 14:40:39

Magne2
Membre
Lieu : Vitry sur Seine
Inscription : 23-09-2013
Site Web

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Voir la page 1 de mon profil
La Laconie est une très belle région
Le Magne en fait partie

https://www.randonner-leger.org/forum/v … p?id=27662

Dernière modification par Magne2 (28-04-2024 14:50:10)


kalo taxidi alias bon voyage en Grec bien sur

Hors ligne

#178 28-04-2024 20:46:36

sjeanmarc
Membre
Lieu : Toulouse
Inscription : 10-02-2018
Site Web

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

*Samuel a écrit :

#702543

foxof a écrit :

Si jamais tu passes par le Péloponnèse, j'y suis passé l'année passée (en nord sud), donc n'hésite pas si tu as des questions wink

Je n'y passerai pas, mais ça faisait partie des options sérieusesement envisagées. Je suis curieux, comment as-tu trouvé cette region ?

Avec les montagnes de la Grèce Centrale, tu devrais déjà trouver ton bonheur. Un de mes plus beaux souvenirs de marche (voire le plus beau...). Après, il ne te restera plus qu'à remonter les Apennins, autre massif sauvage et peu connu...

Hors ligne

#179 18-05-2024 23:00:18

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Grèce : Thessalonique > Foteina (Macedoine centrale)

04/05/2024 > 12/05/2024
165 km ; D+ 4600 m ; D- 4300 m

Depuis Ayvalık en Turquie, j'ai pris un ferry pour traverser la mer Égée jusqu'à Thessalonique, deuxième plus grande ville de Grèce. C'est la première fois depuis mon départ il y a 14 mois que je prends un mode de transport, que je me déplace autrement qu'avec mon corps pour avancer dans l'espace et sur la carte. Pour mon lent retour vers la France, je suis dorénavant flexible. Je quitte la Turquie après deux mois dans ce pays. Comme lors des précédents passages de frontière, et plus encore cette fois-ci, c'est une sensation étrange de réaliser que je laisse derrière moi ce pays auquel je me suis habitué et où je me sens bien, que ce qui est devenu un environnement humain et culturel quotidien n'est soudainement plus accessible, peut-être pour toujours, à moins que je ne revienne lors d'une future aventure, à vélo.

Je profite du trajet en ferry pour apprendre les prononciations de l'alphabet grec et m'entraîner en lisant le nom des lieux sur la carte. Il est amusant de remarquer les caractères communs avec l'alphabet latin et l'alphabet cyrillique. De même que pour le slovène, le serbo-croate (parlé en Croatie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro et Serbie) et le turc qui utilisent l'alphabet latin avec chacun des caractères spécifiques, ou que pour le serbe et le bulgare qui utilisent l'alphabet cyrillique, globalement un caractère équivaut à un son, et vice-versa. Comparé au français, cela est nettement plus facile, et j'ai envie de dire logique. Du moins c'est ce que je crois dans un premier temps, je découvrirai plus tard qu'il y a des subtilités d'association de plusieurs caractères pour former d'autres sons. Arrivé en Grèce et au fur et à mesure que je marche dans le pays, comme c'était aussi le cas en Serbie et en Bulgarie, je lis tout ce qui traverse mon champ de vision comme un enfant qui apprend à lire, au début en déchiffrant lentement, puis de plus en plus vite. Cela me donne l'impression d'avoir le pouvoir de décoder des messages secrets. Apprendre un précieux vocabulaire de base prend plus de temps, et nécessite un aller-retour entre l'apprentissage sur mon téléphone et le dialogue avec les gens. Mon cerveau a du mal à se déconnecter du turc. Il est troublant de soudain retomber au niveau zéro de la communication verbale, et je me rends compte une fois de plus comme mes rudiments de turc m'étaient utiles. Anecdote : en Bulgarie, les hochements de tête pour dire oui et non sont "inversés" par rapport à la grande majorité du monde, c'était parfois déstabilisant, et je me suis rendu compte à quel point nous hochons la tête sans cesse. Nouvel élément source de confusion en Grèce : "oui" se dit "né", qui signifie "non" en slovène, serbo-croate et bulgare... Par rapport à chaque pays que j'ai traversé jusqu'à présent, je sens que j'ai un peu moins d'énergie à donner dans l'apprentissage de la langue, l'intérêt pour l'histoire moderne du pays et la situation politique actuelle, mais j'en ai tout de même.

Le hasard a fait que mon ami Victor est en vacances en Grèce au même moment. Il vient donc me rejoindre à Thessalonique et nous passons trois jours ensemble. J'ai ainsi la chance de l'avoir croisé à deux reprises au cours de ma marche à travers l'Europe, à Grenoble et à Thessalonique.

Étant resté plusieurs jours à Ayvalık puis à Thessalonique, en ville, j'ai du mal à réaliser que j'ai changé de pays et suis toujours dans une marche itinérante. L'énergie de ce mode de vie est à nouveau retombée et je me sens dans un entre-deux ou même un "nulle part" inconfortable. Même si cela demande toujours un effort, il n'y a qu'une solution : ne pas m'éterniser en ville et repartir marcher. Un peu de la même manière que lorsque je suis reparti d'Istanbul après un long arrêt, les premiers jours sont difficiles et malgré l'expérience, j'ai des doutes sur le fait que la motivation et le plaisir reviendront. Je dois d'abord marcher 75 km entièrement plats sur des routes et des pistes agricoles. Il fait chaud, avec un ciel sans nuages et un soleil tapant, et il n'y a nulle ombre où me reposer. Je traverse dans un premier temps une petite jolie zone marécageuse, sanctuaire de biodiversité ornithologique, puis des rizières à perte de vue autour du delta Axiós. La marche est pendant ces premiers jours seulement un labeur et non un plaisir. De plus, le rythme de la marche itinérante étant retombé, je me sens pour la première fois pressé : je suis pressé de finir la journée, d'arriver dans la prochaine région montagneuse, et même de traverser la Grèce. Si je me sens pressé et pas motivé, mon itinéraire grec prévisionnel peut alors apparaître angoissant par sa longueur en temps et en distance, alors que maintenant j'ai l'habitude de ces projections. Bref, je n'ai qu'à espérer que ce rythme intérieur revienne avec le temps et les kilomètres, et avec l'aide d'un environnement plus stimulant. En attendant, plaisir ou non, je n'ai qu'à marcher.

Ces jours-ci, je ne suis pas là. Je repense à des moments encore récents entre Bandırma et Ayvalık en Turquie, où j'étais heureux dans le moment présent, et songe à nouveau comme l'instant présent représente une définition juste du bonheur. Là, de toute évidence, je n'y suis pas. Je suis ailleurs, nulle part, à côté, hors de la réalité où se situe mon corps, dans une autre dimension nébuleuse. C'est au présent de me rattraper et de m'extirper de ce nuage borgne, pour me ramener autant que possible vers là où je suis, dans la lenteur et la distance de la marche. Ce présent peut se nommer hasard, chance ou contigence. Pour mon premier jour de marche en Grèce, il me présente les habitant•es de Chálastra (Χαλάστρα), où je m'arrête dans le bon café. Je n'aurais pas pu espérer ou attendre autant aujourd'hui. La famille qui tient la boutique est sincèrement enthousiasmée et intéressée par ma marche. Petit à petit, leur groupe de scouts locaux rapplique. Tout le monde est gentil et curieux, m'offre à boire et à manger, et parle anglais qui plus est. Après quelques heures de discussion, on me propose de dormir dans le local scout dans lequel je m'installe confortablement. Nous sommes le jour de la Pâques orthodoxe. À minuit, on revient me chercher pour aller allumer des bougies sur la place du village où tous les habitants, comme partout ailleurs en Grèce, se rassemblent. J'assiste avec intérêt à ces traditions, et pour un premier soir j'apprends déjà plein de choses sur la Grèce. Une fois de plus, j'accueille naturellement des moments qui resteront forts. Écrire permet de les sublimer, ou plutôt d'en saisir la juste valeur. Après qu'on m'ai posé la question, je me souviens qu'il y a un an j'avais assisté à la Pâques catholique en Espagne, qui y est aussi très célébrée. En termes d'événements religieux et politiques, au cours de ma marche, j'ai aussi eu la chance d'être en Serbie lors des élections législatives contestées et du Noël orthodoxe, ou encore en Turquie lors des élections municipales tant attendues, du ramadan et du bayram.

Je repars le lendemain dans ce désert goudronné sous un soleil intransigeant. Heureusement que quelques oasis de rencontres généreuses ponctuent cette avancée monotone. Un peu à la manière du Noël orthodoxe, trois jours fériés suivent Pâques, et cette fois ce n'est pas l'odeur de cochon à la broche qui embaume la campagne, mais la fumée des barbecues d'agneau. Pendant quatre jours, je ne touche pas à mes vivres car on m'offre à plusieurs reprises des brochettes d'agneau, de la brioche et des œufs durs colorés confectionnés pour Pâques. Comme j'ai du mal à refuser, je porte, et ainsi va mon régime alimentaire.

Trois jours de marche sont nécessaires pour atteindre un peu de relief et de biodiversité que ma tête et mon corps réclament, et parfois un peu d'ombre que je convoite tant. Je quitte la campagne plate pour monter sur des étendues de collines recouvertes d'une forêt à la fois dense et chétive, dont l'hostilité des buissons épineux semble refléter le substrat sec et rocailleux sur laquelle elle s'établit. Je monte à un monastère répéreré sur ma carte qui attise ma curiosité, situé en hauteur en plein dans cette immensité sans autres traces humaines que les pistes forestières sur lesquelles je marche. J'espère pouvoir y dormir sous un porche, un toit, un quelque chose qui ne coûte rien à personne. Mes attentes sont déçues. Ce n'est pas l'espace qui manque et je pourrais aisément ne déranger personne, mais les quelques sœurs qui vivent dans cet imposant monastère remis à neuf et parfaitement entretenu à tel point que je m'interroge sur la provenance de tels moyens, refusent catégoriquement, même pour que je plante mon tarp à côté sur un carré d'herbe. Une fois de plus, on ne comprend pas que je me déplace à pieds malgré mes explications, on me conseille d'aller dans des hôtels avec ma voiture, et je me rends compte d'après leurs suggestions directives, que mes interlocutrices ne connaissent pas l'existence des pistes et chemins dans les collines autour de leur monastère. On peut accueillir ou décliner l'imprévu, même minime, simplement accepter de rendre service lorsque cela ne nous coûte rien, ou préférer ne pas onduler l'ordre du quotidien. Alors au fond, même si ça peut me mettre momentanément dans le désarroi, je ne peux heureusement pas interférer avec la volonté ou l'absence de volonté des gens, et il est certainement préférable de tracer ma route, même dans ces conditions, face à un tel huit-clos.

Je repars ainsi dans cet environnement peu accueillant pour dormir, surtout à cause d'un autre élément que la chaleur et la végétation omniprésentes. Comme ici, il arrive régulièrement que les insectes en quantité innombrable forment un nuage autour de moi, qui devient un essaim lorsque je m'arrête. Les insectes me suivent, se collent à ma peau transpirante, me piquent, rentrent dans mes yeux, mes oreilles et ma bouche, si bien que je dois parfois marcher avec mes lunettes et la bouche fermée, sans m'arrêter. Lorsque le soir la température diminue, ils se font un peu moins nombreux et les moustiques prennent le relais. J'avance ainsi énervé par ces insectes et la question de trouver un endroit où dormir. Plus haut je repère un simple point "Monument" sur ma carte, où il semble y avoir un beau point de vue. Je décide de m'y rendre par un chemin qui s'avère depuis longtemps recouvert par la végétation. J'arrive péniblement à une simple plaque orthodoxe coulée dans du béton, sans vraiment d'espace pour mettre mon tarp. Je suis découragé, n'ai pas envie de dormir ici, mais m'y résigne. Puis, dans ces conditions, se produit pourtant un des plus beaux moments du voyage. Après quelques gouttes de pluie inattendues, un arc-en-ciel majestueux apparaît là, juste à côté de moi, dans le creu des collines verdoyantes que je surplombe. Il forme un trois quarts de cercle dont je vois les deux extrémités ancrées dans la vallée. Il est d'une proximité et d'une intensité inouïes. Un moment de grâce juste là, si beau et intense. L'arc-en-ciel se double ensuite d'un second arc concentrique extérieur, d'une intensité plus faible. Alors que ces phénomènes sont habituellement brefs, cet arc-en-ciel là dure, encore et encore, pendant presque une heure. J'ai le temps de m'émouvoir, de m'assoir le regarder, de le photographier, et d'assister au spectacle de cet arc-en-ciel, qui perdure avec le soleil qui se couche paisiblement derrière la silhouette d'une colline, de l'autre côté du promotoire où je suis, avec le flot de couleurs qui éclairent et subliment la scène. Unis en harmonie, le ciel s'assombrit, la luminosité décline, et l'arc-en-ciel s'éteint en silence. Je me trouve alors bien là où je suis, à ma place, et heureux d'être ici à jouir de ce qui m'entoure. Je retrouve enfin un espace naturel, sauvage, avec sa géologie, son relief, sa végétation, et ses nombreux habitants dont je me fais l'invité. De là où je suis, je vois le monastère en contrebas, je me demande si les sœurs ont vu l'arc-en-ciel. Je ne m'embarasserai pas à planter mon tarp au risque de m'agacer et de l'abîmer, je m'allongerai simplement sur mon matelas qui nivelera les aspérités du sol, sous ma moustiquaire qui m'assurera un sommeil réparateur dans l'activité nocturne des ordes d'insectes. Les étoiles s'allument, j'écoute aboyer mes amis les chevreuils que j'ai retrouvé aujourd'hui, après une période sans les voir. Lorsque je m'allonge dans mon sac de couchage et avant de fermer les yeux, je vois une immense étoile filante traverser le ciel, laissant une traînée de poudre luminescente qui persiste dans le ciel noir. Le clou du spectacle, je suis gâté, cela faisait longtemps aussi. Et depuis longtemps également, je savoure enfin de m'endormir sans un seul bruit de moteur même au loin. C'est un plaisir délicieux et onirique que de sombrer dans le sommeil en écoutant le bruit du vent dans les feuilles, des insectes, de quelques oiseaux et autres animaux.

À partir de là, je me reconnecte davantage avec mon mode de vie d'aujourd'hui, avec le temps et la distance devant moi, et avec la marche. Je sens que j'ai le temps, alors je ne me presse pas et prends le temps de m'arrêter quand bon me semble, quand j'en ai envie, lorsque je suis interpellé par une fleur, un animal, un bruit, un paysage, une pensée. Je n'ai aucun impératif ni objectif de vitesse après tout, alors je peux m'exercer à être au plus prêt de mes envies du moment, libre de choisir à chaque instant, tout en avançant sur mon itinéraire modulable, tout en accueillant et en m'adaptant à l'imprévisible, une rencontre, une invitation, une averse, etc. Dans ces collines et ces forêts, je rencontre des dizaines et même vraisemblablement des centaines de tortues. Quel animal incroyable... Une turque m'avait fait la réflexion que j'étais une tortue. C'est vrai, je suis lent et fais corps avec mon sac-à-dos qui me permet de marcher et de vivre dehors. Je les observe se deplacer, manger, si lentement, et parfois rentrer leur tête et leurs quattre pattes dans leur carapace lorsqu'elles me voient. Dans la rivière d'une forêt, j'observe avec surprise des crabes, moi qui pensais qu'ils vivaient uniquement en milieu marin... Je vois et j'entends, et régulièrement je m'arrête regarder et écouter, de nombreux oiseaux : rossignols, hirondelles, huppes, geais, et tant d'autres dont je reconnais le chant mais ne connais pas le nom, et tant d'autres encore que je découvre ou redécouvre. En dehors des moments difficiles, je m'émerveille de tout.

Comme presque partout depuis 14 mois et 6500 km de marche en Europe, je ne croise personne en dehors des villages. Alors, une fois de plus, je me sens un des rares témoins de la beauté des lieux. J'en profite certes, mais cette pensée m'attriste. Lorsque après une semaine de marche, je vois depuis un point de vue, Thessalonique d'où je suis parti il y a 150 km, à seulement 70 km à vol d'oiseau, je ressens l'incroyable diversité d'univers, de microcosmes, d'écosystèmes dans un si petit espace, et que la marche est un mode de déplacement privilégié pour en approcher et s'en rendre compte. Et pourtant, sur le plan écologique comme hummain, je passe aussi à côté de tant de choses.

Dans ces villages, je reçois un souvent un accueil généreux. J'ai pris l'habitude de dormir dans les églises orthodoxes, nombreuses à la fois au centre des villages et en dehors. Alors qu'en Serbie les églises orthodoxes étaient toujours fermées et qu'on m'y a toujours refusé l'accès, même pour dormir sous le porche ou planter mon tarp à côté, jusqu'à présent en Grèce, les églises sont toutes ouvertes et on m'a toujours très naturellement autorisé à dormir à l'intérieur. Des bivouacs de luxe dans des lieux remarquables. J'ai un bon souvenir à l'église du hammeau d'Elafina (Ελαφίνα), où je me suis arrêté après seulement 9 km de marche, appreciant l'endroit boisé avec un grand porche ombragé où se reposer. J'y ai vu au cours de l'après-midi des familles défiler pour venir pique-niquer et allumer des bougies dans l'église, chacune m'offrant une brioche, un café ou un verre de ouzo. La dame du hammeau qui entretient le lieu me donne les clés de l'église et m'indique qu'il y a même un lit à l'étage, le luxe. Le lendemain, je m'arrête chez elle prendre le café et le petit-déjeuner jusqu'en milieu de journée. C'est parfois un peu déroutant mais bon de prendre le temps.

Lorsque je présente mon périple, l'évocation de la Turquie où j'étais encore récemment suscite toujours des réactions allergiques. Pourtant, lorsque je pose la question, rare sont ceux ou celles qui sont allés sur l'autre rive de la petite mer Égée, comme cet homme qui me dit : "Je suis un militaire grec, si je vais là-bas, c'est juste pour les tuer". À chaque pays, le racisme change de cible. L'histoire partiale et le nationalisme semblent ici aussi bien inculqués à travers l'éducation et les médias. Je suis amusé qu'on me demande souvent et rapidement, dans un esprit de compétition, si je préfère la Turquie ou la Grèce et qui sont les plus accueillants. Alors quand je réponds que je suis en Grèce que depuis quelques jours et que jusqu'à présent, la Turquie est le pays ou j'ai reçu la plus grande hospitalité, on prend cela comme un challenge pour les surpasser, ce qui peut jouer à mon avantage. Malgré une langue et une religion différentes, je peux témoigner que de part et d'autre de la mer Égée, les hommes se regroupent dans les cafés pour boire du thé côté turc et des cafés frappés côté grec, fument des cigarettes en faisant tourner leur chapelets entre leurs doigts, jouent au moultezim, partagent des mimiques que je n'ai vues nulle part ailleurs, et mangent des mezzes en buvant du rakı ou du ouzo, dont seul le nom les distingue.

Depuis mon départ de Thessalonique, chaque jour, je vois le mont Olympe se dresser au-dessus de tout, visible de partout, majestueux et imposant. Déjà depuis le ferry dans la baie de Thessalonique, je voyais et convoitais cette montagne au sommet enneigé et souvent caché dans les nuages. Chaque jour je m'en approche petit à petit, et cet horizon est ma prochaine destination et ma motivation. Après les plaines agricoles et les collines recouvertes de forêts, je gagne encore en altitude en m'approchant de ce perpétuel mont Olympe. Je redécouvre des sensations spécifiques à la montagne, et réalise comme j'avais de la chance, en Italie, en Slovénie, en Croatie ou en Bosnie, de pouvoir tant marcher en altitude dans des environnements si beaux et si variés, sur de si longues distances. Après la chaleur et les insectes, le froid et le brouillard s'installent un temps. Je reste deux nuits et une journée dans la véranda fermée d'un refuge qui semble abandonné à 2000m d'altitude, pour laisser passer une journée de pluie et de brouillard constants par 5°C. Mais avant de grimper sur les sommets de l'Olympe dans les 3000m, je dois redescendre jusqu'à 300m d'altitude. Je dors une fois de plus dans une très belle église à l'extérieur du village de Áno Miliá (Άνω Μηλιά). Je sors de l'église au milieu de la nuit pour aller aux toilettes, et entends non loin des bruits de sangliers. Je m'approche, et vois avec ma lampe frontale des dizaines de sangliers, du jeune marcassin au gros adulte, remuer la terre sous les châtaigners à la recherche de châtaignes de l'an passé. Je les observe ainsi quelques minutes, silencieux, impressionné, puis ils me voient ou me sentent et déguerpissent en grognant. Le lendemain, je pensais passer par Fonteina (Φωτεινά) en milieu de journée, me ravitailler et repartir pour une longue étape, mais nous sommes dimanche et l'épicerie est fermée. Même après 14 mois de marche itinérante, je me fais toujours avoir lorsque je compte par hasard me ravitailler un dimanche. Quelque part tant mieux, je suis déjà fatigué par un kilomètre de sentier inexistant que j'ai parcouru accroupi et à quatre pattes sous la végétation, puis par avoir cherché pendant une heure un moyen de franchir un ruisseau dont le pont s'est effondré il y a bien longtemps. Je vais manger au bistrot et repère une petite église à 3 km d'ici au bord d'un ruisseau, l'occasion d'arriver tôt, laver mes vêtements et profiter du lieu.

8eXS4OXs7.20240518_023839.jpeg
Le lagon de Kalochori, peuplé de flamands roses en cette saison, devant Thessalonique au bord de la baie du même nom.

8eXS9tYJv.20240518_021807.jpeg

8eXSaY8Xp.20240518_020833.jpeg
Les rizières du delta Aksiou, avec leur système d'irrigation.

8eXSdISfA.20240518_020658.jpeg
Le jour de la Pâques orthodoxe, je suis invité par les habitants de Chálastra qui m'offrent le gîte et le couvert. À minuit tout le monde se rassemble pour allumer des bougies sur la place du village.

8eXSguG62.20240518_020415.jpeg
Chaque jour, je vois le mont Olympe se dresser au loin, imposant et majestueux, avec ses sommets encore enneigés. C'est mon cap, ma direction.

8eXSjFzZC.20240518_020201.jpeg
En attendant je dois marcher 75 km sur des routes plates par de fortes chaleurs.

8eXSo0Aa7.20240518_015921.jpeg

8eXSpCovn.20240516_130057.jpeg

8eXStekYk.20240516_125532.jpeg
Après trois jours depuis Thessalonique, j'entre enfin dans des forêts qui offrent de l'ombre et un milieu plus agréable où marcher.

8eXSvot0F.20240516_124755.jpeg

8eXSwN7Cc.20240518_022910.jpeg
Un soir depuis les hauteurs des premières collines, un arc-en-ciel en ciel m'offre un moment de grâce. Une heure de spectacle avec le soleil couchant, suivi d'une nuit à la belle étoile, bercé par le bruit du vent, des insectes nocturnes, des oiseaux et des chevreuils.

8eXSz3Txa.20240518_023515.jpeg

8eXSBfqPG.20240516_124906.jpeg

8eXSDOeU4.20240516_130904.jpeg
Moustiquaire ultra-légère de 90 grammes, rarement utilisée mais très utile lorsque c'est le cas.

8eXSGtCty.20240516_125220.jpeg
Je dors régulièrement dans les églises orthodoxes. Jusqu'à présent, elles sont toutes ouvertes et on m'a toujours autorisé à y dormir. Chacune unique, elles procurent un lieu confortable et atypique pour bivouaquer.

8eXSJeOBH.20240512_221832.jpeg

8eXSL1a3m.20240516_123155.jpeg

8eXSMg68m.20240516_124031.jpeg
Brioche et œuf de Pâques, confectionnés pour la Pâques orthodoxe. Pendant les trois jours que dure la fête religieuse, on m'en offre quotidiennement.

8eXSPqNnf.20240516_124144.jpeg
Après plusieurs jours de marche difficiles, je retrouve le plaisir et le rythme de la marche itinérante. J'ai le temps.

8eXSSGtqf.20240516_124339.jpeg
Je vois des centaines de tortues dans les forêts, les marais, au bord des chemins... Une chose de plus à laquelle je m'habitue sans me lasser.

8eXT1z3Kw.20240516_124422.jpeg
Depuis l'église où je dors, vue sur Elatochóri et toujours le mont Olympe. Le relief s'accentue progressivement.

8eXT3Xt2j.20240518_022154.jpeg

8eXT4So7Y.20240512_222710.jpeg

8eXT5ZSxu.20240512_221210.jpeg

8eXT7ivlX.20240515_160657.jpeg

8eXT9VAEM.20240515_161001.jpeg

8eXTbLJdJ.20240512_222314.jpeg
Après plusieurs jours de marche difficiles, je retrouve le plaisir et le rythme de la marche itinérante. J'ai le temps.

8eXTfGQIz.20240515_160838.jpeg

8eXThaH6U.20240512_221545.jpeg

8eXTjtRyA.20240518_023158.jpeg
Toujours lui, qui de cache et se découvre des nuages, près de la baie de Thessalonique.

8eXTmsxLr.20240512_221336.jpeg
De nombreux sentiers n'existent plus ou sont recouverts par la végétation. Il m'arrive d'avancer à moins d'1 km/h, parfois accroupi ou à quatre pattes sous les arbustes abrasifs, ou cherchant un passage pour traverser une rivière au courant trop fort.

8eXTvRlRZ.20240512_215636.jpeg
Encore un bivouac dans une église répérerée sur ma carte, au bord d'une rivière en pleine forêt.

8eXTx6Mo2.screenshot-6.png

Hors ligne

#180 18-05-2024 23:27:26

ludof
Membre
Lieu : Lyon
Inscription : 24-08-2021
Site Web

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Je me suis une nouvelle fois régalé à la lecture de ton récit, merci de nous faire partager tout ça !

Hors ligne

#181 21-05-2024 14:28:46

fidj
Etiam si omnes, ego non.
Inscription : 19-11-2020
Site Web

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Merci pour ton récit Samuel, concis mais quand même aventureux, comme d'autres, je passe un bon moment.

Tant je suis d'accord avec toi sur certaines choses (tourisme de masse dans certaines montagnes/ villes, les jeunes qui voyagent dans des grandes viles en se targuant d'être allés à tel lieux connu), tant je ne le suis pas au niveau politico-religieux (s'il n'y avait jamais eu de nationalisme, il n'y aurait jamais eu de diversité des Etats-Nations tels qu'on les connait... mais je ne veux pas commencer un débat, ici n'est pas le lieu; et certains ici se moquent de la religion dès qu'ils en ont l'occasion roll ).

Certaines photos m'ont époustouflé !  yikes  rl Quel est le compact utilisé ?

Hors ligne

#182 22-05-2024 09:13:54

Frankie
Membre
Inscription : 29-06-2023

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

fidj a écrit :

#704145Certaines photos m'ont époustouflé !  yikes  rl Quel est le compact utilisé ?

  Bonjour fidj,

  Il y a sa liste dans le post #3 >> Appareil photo Sony RX100 iii

 
  En passant, chapeau pour ce parcours! Et c'est bien agréable de lire un récit avec des ressentis qui sont aussi explicitement et finement exprimés.


Edit sans précision > orth, etc.

Lighterpack

Hors ligne

#183 22-05-2024 12:10:16

fidj
Etiam si omnes, ego non.
Inscription : 19-11-2020
Site Web

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Frankie a écrit :

  Il y a sa liste dans le post #3 >> Appareil photo Sony RX100 iii

Au temps pour moi, je n'avais pas regardé, merci.

Hors ligne

#184 22-05-2024 12:15:32

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Salut,

Merci pour vos retours qui comptent toujours autant pour moi dans le temps l'énergie que je consacre à l'écriture et le travail photo !

Effectivement j'utilise un sony RX100 iii. C'est la première fois que je fais de la photo et ça me plait. J'ai acheté ce compact pour l'occasion, je n'ai pas d'expérience avec d'autres appareils et je ne me rends pas compte de la potentiel différence avec des appareils plus performants, si ce n'est pour quelques photos d'animaux que j'aurais pu faire avec un zoom plus puissant.

Je traite ensuite les photos avec l'appli de base de mon smartphone, pour les publier sur internet. À mon retour je pense me mettre au traitement d'image plus sérieusement avec un logiciel dédié. Photographes si vous avez des conseils, je suis preneur !

Hors ligne

#185 01-06-2024 00:47:25

laxmimittal
Membre
Inscription : 23-10-2016

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

*Samuel a écrit :

#700611Karaburum > Istanbul !

20/03/2024 > 21/03/2024
70 km ; D+ 1200 m ; D- 1200 m



Cette fois je suis dans le centre-ville, ou plutôt un centre-ville d'Istanbul. Je longe la corne d'or en repassant le fil chronologique de ma traversée d'Europe depuis Tarifa. Un fil que je parcours rapidement en chapitres successifs, comme s'il s'agissait d'un film au scénario succin, avec des scènes en particulier qui remontent ici et là à mon esprit. Aujourd'hui comme lors des derniers jours, je ressens peu d'émotions particulières d'arriver à mon objectif qui m'a occupé les jambes pendant une année, et la tête pendant plus que ça. Il m'est naturellement arrivé, lorsque je wagabonde dans mes pensées en marchant, d'imaginer mon arrivée à Istanbul, me voyant parfois fou de joie, euphorique, pleurant, embrassant des gens que j'aime, tout en y pensant à demi-mesure en réalité, l'objectif restant loin devant moi derrière l'horizon. C'est finalement d'une humeur assez neutre que je me dirige vers cette arrivée symbolique. C'est ainsi et c'est ok. J'ai appris au cours de cette marche, pas uniquement par le raisonnement intellectuel mais surtout par le vécu et les tripes, à modérer mes attentes. Tant que je marche au bord de l'eau et avant de regagner l'intérieur du centre-ville, j'enregistre des pensées dans mon dictaphone. Même sans ressentir de vives émotions, je suis content de cet accomplissement. L'accomplissement d'un projet, d'un rêve un peu fou, à la fois grand et à portée de main. Quoique ce que je considère comme réussites ou échecs, des notions à présent plus floues, une chose est certaine : je l'ai fait. J'ai traversé l'Europe à pieds. Pour en avoir tant rêvé et m'être tant projeté dans une telle marche, il m'est satisfaisant d'avoir donné vie et matière à ce rêve. De la projection et l'imagination parfois débordantes en amont, de m'en sentir capable ou pas, d'en avoir envie ou pas, j'ai réalisé cette traversée d'Europe avec le cadre et l'objectif que je m'étais donné, et c'est à présent une réalité, un vécu, une succession de 400 journées qui ont tracé une ligne sur la carte d'Europe. J'ai vécu la marche itinérante comme mode de déplacement et mode vie au long court, pendant 13 mois et 6000km. C'est un projet certes d'une certaine envergure, mais aussi simple et accessible. L'ampleur du temps sur les chemins, de la distance marchée ou du dénivelé grimpé est relative. Comme les paysages admirés, les personnes rencontrées, les plantes et les animaux contemplés, comme ma propre vie, cette marche est grande est peu à la fois. Loin du virilisme et de la mégalomanie qui sont en dissonance avec l'itinerance pédestre, je préfère considérer cette ampleur avec poésie. J'ai vécu pendant cette durée et cette distance : la solitude, la vie dehors, et la marche, trois grands aspects à mes yeux de ce cadre de vie. Trois aspects que je souhaitais vivre pleinement et durablement, auxquels je souhaitais me confronter et voir ce que ça donne. Je suis pendant cette année resté fidèle à ce cadre et à moi-même. Ce mode de vie était le mien, je l'ai choisi avec envie et l'ai maintenu précieusement, Cette originalité a été mon passeport pour rencontrer, discuter, provoquer des moments d'échange et susciter des émotions avec celles et ceux que ma route a croisés. Cette belle originalité que j'aime vivre et porter est aussi parfois difficile à assumer dans un monde où elle est marginale et souvent incomprise. En ce sens, seul, j'ai du rester fidèle à moi-même pour ne pas trahir et abîmer mon rêve aussi puissant que fragile. C'est un rêve qui fait sens et qui aussi me dépasse. On ne choisit pas ses rêves, ce qui nous fait rêver. On peut en revanche choisir de les cultiver et même de les réaliser. Quelle mystérieuse notion que le rêve. Beau, motivant, poétique, et parfois aussi obsessionnel à ne plus savoir comment le regarder. Je me suis projeté, ai cultivé et donné forme à ce rêve qui m'a longtemps appelé. Je l'ai vécu pendant 13 mois et à présent je l'ai réalisé. Bien sûr cette arrivée ne sonne pas la fin de ce rêve en moi, elle marque un accomplissement, l'atteinte d'un cap qui a donné la forme poétique de cette longue marche. Le rêve lui reste vivant, et renaîtra bientôt dans une autre poésie.

Après avoir longé l'eau quelques kilomètres, je regagne l'intérieur de l'ancienne Constantinople et me dirige vers la mosquée Sainte-Sophie. J'y arrive à 22h30. Une arrivée symbolique sobre et solitaire, à l'image je crois de cette traversée du continent. Je vais à présent me reposer et rester un temps à Istanbul.

.

quelle arrivée magnifique !!!

je viens de terminer ton récit que j'avais gardé au chaud (ou au froid) en te laissant du coté de la Serbie.

j'ai vraiment beaucoup aimé ce que tu écris.

je vais lire à présent c que tu raconte de ton retour mais je ne voulais pas attendre pour te remercier.

un grand merci d'avoir déposé ce cadeau sur notre forum.

L.

Dernière modification par laxmimittal (01-06-2024 00:52:19)


La touche Majuscule de mon ordinateur fonctionne mal.

Hors ligne

#186 02-06-2024 14:43:10

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

laxmimittal a écrit :

quelle arrivée magnifique !!!

je viens de terminer ton récit que j'avais gardé au chaud (ou au froid) en te laissant du coté de la Serbie.

j'ai vraiment beaucoup aimé ce que tu écris.

je vais lire à présent c que tu raconte de ton retour mais je ne voulais pas attendre pour te remercier.

Merci sincèrement !! Je suis content de savoir que mon récit peut plaire, alors merci de partager ce retour et de ne pas le garder pour toi. Ça fait plaisir et m'encourage !

Hors ligne

#187 02-06-2024 19:14:45

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Grèce : Foteina > Livadi (Mont Olympe)

13/05/2024 > 17/05/2024
75 km ; D+ 4400 m ; D- 3600 m

De Foteina, il me faut une journée de marche pour me rendre au pied du grand mon Olympe. Quel curieux massif, petit en superficie, il borde la mer et est entouré de plaines agricoles et de modestes collines. Pourtant, il se dresse haut, rendant énigmatiques ses différents sommets, là où les Dieux festoient sur les roches échancrées, souvent masquées par les nuages que forme son micro-climat. Après une nouvelle journée de marche transpirante à la merci du soleil, j'arrive à ma destination visée pour la nuit : une église construite au XIVème siècle sur un rocher qui surplombe une falaise. L'église est ouverte de part et d'autre, ce qui a permis à trois couples d'hirondelles d'y construite leur nid et de trouver domicile. Je passerai la soirée et la nuit avec elles. L'église comporte comme toujours de nombreuses bougies et icônes, et aussi d'anciennnes peintures murales de l'époque de sa construction. Un balcon permet d'apprécier la vue veritigineuse avec d'un côté la plaine et la mer, et de l'autre les flancs et falaises du mont Olympe qui se perdent dans les nuages. J'y passe la soirée, regardant le jour céder la place à la nuit avec comme chaque jour un spectacle inédit, tout en écoutant les insectes et les oiseaux. Surtout, je contemple le vol des hirondelles qui rentrent et sortent de l'église, chassent les insectes dans les gorges, d'un vol rapide et erratique, incroyablement précis. Je songe à ces petits oiseaux qui chaque année parcourent environ 10 000 km pour migrer en Afrique, puis reviennent dans le même nid. Ces hirondelles que j'observe sont allées quelque part en Afrique, elles ont construit un nid à base de brindilles et de boue qui tient comme par magie entre le mur et le plafond de l'église, et en ce moment même parcourent environ 300 km par jour pour chasser des insectes et nourrir leurs oisillons. Quelle vie, je suis admiratif.

Une visite me sort de ma contemplation. Un groupe de touristes visite rapidement l'église, accompagné d'un guide de montagne avec qui je discute. Avec l'enneigement actuel, il me déconseille formellement de monter sans crampons jusqu'au sommet culminant du mont Olympe, le Mitikas, surtout par la face que je m'apprête à gravir. Cela me contrarie et me fait revoir tous mes plans, alors que j'aimerais m'adonner à la tranquillité de ma soirée qui avait bien débuté. Je mélange toutes les informations que j'ai à ma connaissance sur les chemins, la météo, ma quantité de nourriture, mes préférences, etc., laisse passer du temps pour mouliner tout ça jusqu'à prendre une nouvelle décision pour le lendemain. Je contournerai le massif par une longue et lente à ascension en forêt, avant de monter jusqu'à une cabane proche des sommets. De là-bas, je verrai si je peux monter plus haut. De toute manière, le massif va vraisemblablement rester dans le brouillard, alors je ne me risque pas à tenter une ascension et devoir redescendre, si c'est pour être continuellement dans la brume. Ainsi soit-il, je vais me coucher à pas de loup pour ne pas déranger les hirondelles qui dorment à présent.

Le lendemain, ce sont les hirondelles qui me réveillent à 5h30, dès que les premiers rayons du soleil à peine perceptibles pénètrent dans l'église. Comment six oiseaux peuvent faire autant de bruit ? Et pourquoi ? Même mes boules quies ne me permettraient pas de me rendormir dans une telle cacophonie, voilà l'occasion de partir tôt. Je pars dans le brouillard, marche dans le brouillard qui a saturé la végétation en eau, gagne de l'altitude et atteins une longue section de faux plat sur une ancienne piste pastorale, toujours dans le brouillard. La marche est méditative sur cette piste stable et répétitive. Je profite de l'ambiance que procure une forêt dans la brume, je m'arrête de temps à autre écouter les nombreux oiseaux, ou tenter d'apercevoir les sangliers qui fuient à mon approche. Puis, je m'ennuie. S'en suit une ascension raide de 1200m jusqu'à la cabane visée. Je suis surpris : malgré la météo orageuse et la forêt bien en deçà des sommets, je n'ai croisé aucun ruisseau. Je dois donc faire cette ascension finale avec 400 mL d'eau et me rationner. Là-haut je trouverai de la neige à faire fondre. Cela fait par ailleurs longtemps que je n'ai plus avalé de tels dénivelés, et mes jambes ont aujourd'hui du mal à monter ce qui était pourtant quotidien lors des 1000 km de ma traversée de l'arc alpin. Le brouillard n'aide pas le moral, et je me retrouve à peiner, avec la soif, la fatigue musculaire et une glycémie faiblarde, à atteindre mon objectif du jour. De temps en temps, une brèche dans la masse de nuages qui surfe sur la montagne laisse apercevoir un instant les lieux.

Lorsque j'arrive, épuisé, dans la vallée encaissée d'altitude au bout de laquelle m'attend une cabane, les nuages se dissipent et me laissent prendre connaissance des lieux : une fine vallée, belle et sombre, encerclée par des pans rocheux recouverts de neige, perchée dans le ciel, où je m'enfonce dans sa forme en arc de cercle. Cette arrivée majestueuse m'amène jusqu'à la cabane que je découvre. C'est un grand refuge non gardé, accessible en 4X4 l'été. Résultat : l'intérieur est jonché de déchets des barbecues et beuveries de l'été passé. La porte, elle, est recouverte de stickers aux logos virils de groupes de 4X4, fiers d'être venus ici poser leur marque et laisser leurs merdes. Ça me dégoûte. Comme je prévois de passer deux nuits et une journée ici, je prends suffisamment soin de moi et prends d'abord un moment pour rassembler tous les déchets dans une grande caisse. Encore une douche froide à prendre avec de l'eau laissée ici, faire fondre un peu de neige et la mettre à filtrer, et je peux enfin me réconforter. Je me prépare un goûter, je m'allonge dans mon sac de couchage, et j'écoute de la musique. Je suis exténué physiquement et moralement. J'apprécie simplement mais entièrement mon matelas, mon sac de couchage, une tisane et la musique dans mes oreilles.

Le lendemain je reste dans cette grande cabane pour une journée de pause. Je dors, je mange, je travaille mes photos, assis ou allongé dans mon sac de couchage par 5°C. De temps en temps, je mets le nez dehors pour constater le brouillard épais et l'humidité saturante, et rentre à l'intérieur. Dans l'après-midi, j'aperçois par surprise un renard à travers la fenêtre, juste là. Je sors l'observer. La présence de cet animal d'un roux vif semble surnaturelle dans ce paysage presque sans couleurs. Il est moins farouche et plus curieux que ses confrères. Nous nous regardons, proches, les yeux dans les yeux. Je profite de ces instants intenses et suspendus pour observer ce renard de si prêt et si longtemps, comme cela ne m'est jamais arrivé. Cette rencontre inattendue est un privilège féerique. Je l'observe marcher autour de la cabane, sauter habilement sur les murs en pierre et scruter la vallée, puis s'éloigner sur le versant en face de moi, d'une démarchem élégante et tranquille. Je suis enchanté par cette rencontre inopinée. Quelle chance, quelle moment de grâce !

Une fois le renard loin dans la montagne, le brouillard qui semblait immuable se dissipe, et les crêtes et sommets qui m'entourent apparaissent aussitôt. Je découvre alors le visage du versant enneigé qui ferme la vallée, en haut duquel se dessine la crête qui relie les plus hauts sommets du mont Olympe. L'émotion de cette éclaircie inespérée s'ajoutant à celle de la rencontre animale, je décide de monter sur cette crête et tenter ma chance pour peut-être découvrir de nouvelles vues. Le temps de me préparer, le paysage se voile à nouveau, mais mon entrain reste et je m'élance dans cette ascension. Je vais voir, simplement. Je suis venu jusqu'ici hier sans bien savoir pourquoi, et aujourd'hui je vais voir là-haut sans bien savoir pourquoi non-plus. De ma cabane où je me reposais, je me retrouve rapidement dans la neige, le brouillard et le vent, décidant d'avancer péniblement et sans visibilité sur un névé qui n'en finit pas, décidant toujours de continuer alors qu'aucune éclaircie ne semble s'annoncer, et qu'une part d'inquiétude m'habite en plus de ce labeur choisi inutile. Alors que je m'attendrais à ce que je choisisse de faire demi-tour, je continue à chaque fois que je me pose la question à moi-même, comme un dialogue entre deux personnes en désaccord. Je m'inflige ainsi souvent des choses. J'en suis capable, mon mental et mon corps résilients en sont capables, et j'ai au fond du mal à me reposer. Alors je continue, peut-être par orgueil, par espoir car ça vaut le coup d'essayer, ou peut-être sans raison. La masse de nuage en mouvement parfois discontinue joue avec mon espoir et mon désespoir d'assister à une éclaircie. Mais ce ne sont que des nuages et du vent à qui je donne une intension en réalité aussi aveugle qu'aléatoire. Je suis là-haut dans la neige, le brouillard épais et le vent violent. Qu'est-ce que je ressens ? Je ne sais pas bien, peu importe. Être là peut à la fois être une bêtise, une folie, une drôle d'idée, une détermination, une motivation qui témoigne de ma quête d'émerveillement face à des vues grandioses et inédites, de mon accord à tenter le coup avec tout le labeur que ça implique, face à une probabilité peut-être faible, un pari que je prends et que je suis prêt à perdre, une chasse au trésor où la trouvaille n'est absolument pas une certitude. Ainsi va le jeu de la vie. Que penser, que ressentir dans de telles conditions ? Que fait ce bonhomme seul là-haut dans un vent froid impitoyable, en plein dans des nuages gris impressionnants, les pieds mouillés sur cette neige à moitié fondue, et pourquoi donc ? Je ne sais pas bien. Au moins, personne n'est là pour me le demander et exiger une reponse.

Lorsque la vue se dégage de toute part alors que je suis à quelques mètres de la crête, je suis fou de gratitude. J'ai tenté le coup, en acceptant d'en baver et sans doute de perdre, et le trésor est là. C'est maintenant, tout autour de moi. Je suis libre d'aller où je veux, de regarder où je veux. Les choix sont infinis à chaque seconde. Je suis partagé entre l'immense mer de nuages à ma droite, et, à ma gauche, la crête enneigée accueillante qui m'invite à marcher dessus jusqu'au prochain léger sommet, qui me promet une vue encore plus privilégiée et panoramique sur cet océan. Je cours d'abord à ma gauche, descendre légèrement de la crête pour m'abriter du vent assourdissant, ou plutôt pour rester dans un vent qui menace toujours d'emporter le moindre objet que je ne tiendrais pas fermement, mais où je parviens avec difficulté à enfiler mes vêtements supplémentaires. Cela accompli, je regarde cette nouvelle vue, et jete un œil à ma carte pour savoir à quoi cette nouvelle vallée et ces nouveaux monts correspondent. Je vois alors, perché en haut à gauche, le fameux mont Mitikas sur lequel j'espérais avant monter, qui apparaît et disparaît à travers des nuages sombres soufflés par le vent d'une force qui menacerait d'emporter un humain avec. Cette fois, c'est sûr que je n'irai pas là-haut, sans regrets. Je photographie, filme, et admire cette profonde vallée d'où émergent ces monts rocheux au-dessus de la mer de nuages étincelante. Ces nuages sont d'un blanc si dense qu'ils réfléchissent toute la lumière du soleil et m'éblouissent. J'oublie que cette éclaircie n'est pas définitive mais évidemment d'une durée complètement aléatoire. Le paysage sombre rapidement dans l'opacité alors que je ne suis pas encore retourné sur la crête, admirer dignement l'autre mer de nuages que j'ai vue à mon arrivée. Alors je reste sur ce versant, filme la vallée qui disparaît sous les nuages et par moments feinte de réapparaître, et j'espère une nouvelle éclaircie durable pour jouir de l'autre spectacle que je n'ai que trop rapidement aperçu. À plusieurs reprises, je me réjouis de la chance que j'ai du cadeau qui semble s'ouvrir lorsque la silhouette du soleil se dévoile et amincit le manteau de nuage toujours déferlant, mais cela n'amorce en réalité jamais une éclaircie. Même avec l'expérience, le recul et le caractère manifestement imprévisible du brouillard, je ne manque pas de me faire avoir par moi-même à chaque fois. Patientant ainsi dans cette nuit de nuages où je n'entends que le vent et ne ressens que le froid, je finis par repartir en quête d'autres vues potentielles que j'ai délaissées en montant pour d'abord tenter ma chance ici. C'est la loterie, il n'y a pas de bon au mauvais choix, c'est le hasard qui décidera. Il se trouve que la crête restera dans les nuages, tandis qu'un peu plus bas, une autre mer de nuages aperçue lors de mon ascension se voile et se découvre successivement. J'y cours à grandes enjambées descendantes dans la neige, et tant pis pour la neige qui rentre dans mes chaussures. J'arrive à une des plus belles vues de ma vie, un des plus beaux paysages, un des plus beaux spectacles auxquels j'ai assisté. Une mer pas comme les autres : le plateau ondulé de nuages qui s'étend jusqu'à l'horizon alterne une couleur grise avec le reflet blanc du soleil. De part et d'autre de ce plateau, se dressent des falaises verticales et sombres partiellement recouvertes de névés. Ainsi, dans les nuages comme dans la roche, le gris et le blanc s'associent, et créent un paysage à la fois lugubre et onirique. Par ce temps de tempête, la mer forme des vagues qui se déplacent, engloutissent puis libèrent les sommets rocheux. Une tempête sinistre pourtant éclairée par le soleil qui veille au-dessus. Moi, je suis bien en surplomb de ce spectacle, d'une place comparable au soleil, mais sans aucun rôle à jouer. Je regarde, photographie, filme, captivité et stupéfait. Au fond, je ne réalise peut-être pas bien ce qui se déroule devant mes yeux, je ne sais pas bien ce que je ressens, comment je reçois cet instant hors de tout. C'est fou d'être ici. Je suis en partie hors de moi, et pourtant tout simplement là. Ces questions ont peut-être leur place, mais les réponses ne sont pas nécessaires. Lorsque le brouillard recouvre à nouveau le paysage de façon durable, il est temps de redescendre dans ma cabane. Je descends d'une allure rapide et énergique, avec des pas agiles et apaisés. Je rentre dans mon petit creu de vallée d'altitude, beau et paisible, à la fois grandiose et protégé du vent qui règne là-bas plus haut. J'arrive la nuit tombante. Il s'est écoulé trois heures, mais le temps est une notion floue, j'ai vécu une aventure lors de cette expédition unique.

Après m'être lavé, je médite un temps dehors. Je veux être là jusqu'à ce qu'il fasse nuit. Je suis bien ici, être venu ici a dorénavant un sens. Ce lieu a marqué mon esprit, ce soir je m'y sens chez moi et je l'aime. Je souhaite le regarder jusqu'à ce que la nuit l'assombrisse. Un peu hors de moi, je ressens qu'il n'y a rien à être, faire ou penser. Je sors de moi pour mieux être ici et finalement ressentir des émotions nouvelles qui naissent d'une page blanche sans dessein. Je m'oublie pour être pleinement là, pour m'extraire de qui je suis ou pense être, et me laisser traverser par des sensations inconnues auxquelles je conscens aveuglément. Je m'émancipe de moi pour un temps faire physiquement partie de cette vallée. Cela me fait du bien, me libère, me repose aussi. Je sais que cet instant sera sûrement passager et que je retournerai à des choses plus pragmatiques, mais j'aimerais que cela dure et me marque. Alors j'écris tout cela en suivant. J'écris sincèrement et spontanément, même si mes mots peuvent transformer ou sublimer la réalité. Je me remercie pour aujourd'hui, comblé par moi même et par ce qui me dépasse.

Le lendemain, je repars de cette vallée qui appartient dorénavant à mes souvenirs, et redescends progressivement du mont Olympe. Un vent fort et des averses se succèdent, et j'assiste à une nouvelle belle mer de nuages que je regarde remplir et vider par alternance une vallée que je surplombe. Après un long moment de contemplation, il me faut plonger dans cet océan d'humidité et marcher plusieurs heures dans la végétation détrempée jusqu'au village de Kokkinopilos (Κοκκινοπηλός), où je dors sur la terrasse d'un restaurant. Le jour d'après, je me réveille toujours dans le brouillard, et dois marcher 20km sur le macadam et sans visibilité sur la plaine que la route surplombe, jusqu'à Livádi (Λιβάδι) où je reste deux nuits à l'hôtel. J'y suis accueilli et sympathise avec Thanos, et profite de la vue une fois le brouillard enfin dissipé.

8flxYl7US.20240527_145646.jpeg
Bivouac dans une église du XIVème siècle qui surplombe des gorges au pied du mont Olympe.

8fly1slHi.20240527_145226.jpeg
Toujours et encore, forêt et brouillard.

8fly3kGR6.20240527_143626.jpeg

8fly4QbY8.20240527_142634.jpeg
Lorsque la vue semble se dégager, jouant avec mon espoir.

8fly5ZNOb.20240527_142842.jpeg
Et parfois, même pour un bref instant, les nuages se dissipent réellement et laissent le paysage alors inconnu se decouvrir.

8flyaB74C.20240527_145032.jpeg

8flydaqHR.20240527_144540.jpeg

8flyfeIbA.20240527_133727.jpeg
Refuge Christaki (Καταφύγιο Χριστάκη), au creu d'une vallée d'altitude sous les sommets du mont Olympe, où je m'installe deux nuit et une journée.

8flypFUdF.20240527_135813.jpeg
J'y rencontre un renard, très peu farouche, magnifique dans ce lieu.

8flytM9gY.20240527_133144.jpeg

8flyuZiIr.20240527_131918.jpeg

8flyFn1WR.20240527_141032.jpeg

8flyHIfHh.20240602_152237.jpeg
Lorsque le brouillard se dissipe soudainement, je décide de monter sur la crête enneigée pour tenter d'apercevoir les sommets.

8flyLnlvK.20240527_131918.jpeg
Les nuages réapparaissent et disparaissent par alternance et de façon imprévisible. J'assiste par moments à des vues oniriques sur de fantastiques mers de nuages.

8flyQ0pfD.20240527_140403.jpeg

8flyTbXd3.20240527_132755.jpeg
Une des plus belles vues, un des plus beaux spectacles de ma vie.

8flyVpyK2.20240527_134841.jpeg

8flyWNBSi.20240527_131058.jpeg

8flyY5GPF.20240527_132413.jpeg

8flyZNWgK.20240527_134216.jpeg

8flz6Q0HO.20240527_130422.jpeg
Je redescends du mont Olympe, et contemple une nouvelle mer de nuages en mouvement, avant de plonger dedans.

8flzkCUCJ.20240527_121948.jpeg

8flzlOicS.20240527_121822.jpeg

8flznOz5y.20240527_114030.jpeg

8flzoIYij.20240527_114327.jpeg

8flzs9h5z.screenshot-7.png

Hors ligne

#188 05-06-2024 21:29:03

Yapluka
Membre
Inscription : 23-05-2023

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Bonjour Samuel, je suis tombé par hasard sur le livre de Nicolas Bouvier "L'usage du monde" en fouinant à la bibliothèque.  Il y raconte son voyage en 1953 à travers la Yougoslavie de Tito. Il voyage en voiture au rythme de la marche en séjournant dans les villages et les villes. Son voyage a lieu quelques années après la fin de la guerre et l'atmosphere est un peu post-apocalyptique. Mais la description des rencontres, l'accueil, les relations entre les communautés rappellent ce que tu nous décris.
Après le plaisir de te lire, je prolonge le rêve en lisant Nicolas Bouvier. Il y a une persistance dans les ambiances, dans les rencontres.
Merci à toi et merci à Nicolas Bouvier.
J'avais traversé la Yougoslavie en train. C'était un peu une épopée  smile
Édit orthographe

Dernière modification par Yapluka (06-06-2024 12:33:04)

Hors ligne

Pied de page des forums