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#151 01-04-2024 18:03:12

gabuzo
Membre
Inscription : 18-07-2023

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Je t'ai suivi également avec plaisir, avec ton magnifique récit tu nous permets de partager un peu cette immense aventure (immense, ce n'est pas seulement une question de kilomètres...).
Merci d'avoir pris le temps de partager tout ça avec nous!

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#152 20-04-2024 20:31:38

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Istanbul

22/03/24 > 12/04/2024

Me voilà à Istanbul. Je suis parti d'une extrémité de l'Europe, face à l'Afrique, pour rejoindre cette autre extrémité et cet autre détroit, face à l'Asie. Après une longue marche à travers le continent, m'y voilà. L'origine du nom "Istanbul" vient d'une expression qu'utilisaient les grecs pour dire "Je vais à la ville". C'est effectivement ce que j'ai fait pendant ces 13 mois de marche, je suis allé à la ville, et quelle ville ! Istanbul est la huitième plus grande ville du monde. Elle compte officiellement 16 millions d'habitants, certains parlent de 20 millions, soit à peu près autant que la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie et la Bulgarie réunies. C'est un pays dans un pays, un pays d'urbanisme qui s'étend de part et d'autre du Bosphore sur une centaine de kilomètres de long. Je trouve la géographie de la ville et de la région passionante. Au nord s'étend la mer noire, dont le pourtour touche les frontières de la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, l'Ukraine, la Russie et la Géorgie. Le détroit du Bosphore et, plus au sud, le détroit des Dardanelles, semblent avoir été dessinés pour former des passages maritimes afin de relier entre elles la mer noire, la mer de Marmara, et la mer Égée. Cette dernière héberge une constellation d'îles et d'archipelles, puis s'ouvre sur la grande mer méditerranée, dont le détroit de Gibraltar semble lui aussi avoir été dessiné pour joindre l'Atlantique.

Istanbul est en plein cœur de ce beau Bosphore qui scinde la ville en une rive européenne et une rive asiatique. Même la partie européenne est séparée par l'estuaire de la corne d'or. Pourtant, l'eau ne cloisone pas la vie urbaine qui s'épanouit de chaque côté du détroit, traversable de toutes parts par de nombreux ferries que l'on emprunte comme des bus. J'ai ri la première fois que j'ai entendu naturellement "aller en Asie" ou "aller en Europe", puis je m'y suis vite accoutumé et ai adopté l'expression. Ainsi se mêlent l'air marin, le relief des collines, la beauté d'une ville à l'histoire incroyable, la magie de la rencontre et du mélange de deux continents, une densité de population folle dans une urbanisation effrénée, formant un tout que l'on nomme Istanbul.

Je suis venu ici à pieds, ayant pour cap et pour objectif cette ville symbolique. Alors n'ayant délibérément pas de contrainte de temps, je vais y rester pour une période décente, sans prédire quand il sera opportun de repartir. Cette absence de contrainte, autrement dit cette liberté, est un luxe rassurant mais peut aussi être une difficulté pour me fixer moi-même un cadre et me motiver. J'ai la grande chance d'être hébergé pendant tout mon séjour chez Virgile, un français installé à Istanbul depuis 12 ans. Je bénéficie donc du confort matériel d'un appartement, où je peux étaler mon matériel pour une grosse session nettoyage et entretien. Un confort où, comme lorsque je suis seul à l'hôtel, je peux parfois avoir étonnement du mal à faire preuve d'auto-discipline et m'activer pour sortir ou faire ce dont j'ai réellement envie. Alors que j'ai dû sans cesse faire preuve d'auto-discipline, d'efforts bien plus significatifs, d'adaptation ou de ténacité pour venir jusqu'ici, cela reste bien mystérieux. Liberté et difficulté s'entremêlent, le temps fait son œuvre et je peux découvrir et profiter d'Istanbul sans me presser.

En Bosnie-Herzégovine je m'étais découvert une passion pour les mosquées, des lieux que je trouve beaux, paisibles et vivants. J'aime les visiter, contempler ces monuments qui le méritent bien, m'asseoir et méditer, et si j'ai la chance même y dormir. Alors à Istanbul, je suis servi, dépassé même ! La ville héberge une quantité et une densité folles de mosquées, qui sont toutes des monuments exceptionnels, construits au fil de l'empire ottoman et de ses sultans. Chacune mériterait une attention et même une contempplation approfondies, tant elles constituent un amoncellement de moyens architecturaux et artistiques. Mais face à autant de beauté mais aussi de mégalomanie, le cerveau sature et c'est nonchalamment qu'après avoir déjà visité cinq mosquées dans une journée, je peux passer à côté d'une sixième tout aussi incroyable sans y rentrer. En cette période de ramadan et en particulier dans certains quartiers, les mosquées sont très fréquentées en fin de journée. Dans la cours ou à l'extérieur, en famille et entre amis, on prépare convivialement l'iftar.

C'est également la période des élections municipales dont j'ai déjà saisi l'importance. Voilà une bonne occasion de parler politique. À Istanbul comme dans les autres petites villes et villages que j'ai traversés, les affiches, drapeaux, camions, stands, pubs, etc., rivalisent d'envergure et envahissent l'espace public. Le soir des élections, je vais manger dans une lokanta (cantine turque) pour suivre les résultats à la télé. Le principal parti d'opposition remporte Istanbul et la plupart des grandes villes, et est majoritaire dans le pays. Pour beaucoup, ces élections annoncent lors des prochaines élections présidentielles, la fin du règne d'Erdoğan et de son parti, au pouvoir depuis 20 ans. Dans les jours qui suivent, je n'aurai jamais vu autant de personnes se réjouir des résultats d'une élection.

Pendant plusieurs jours, j'explore la ville à pieds pour, comme au cours de ma longue marche, traverser et voir tous types d'endroits, ne pas occulter volontairement des réalités. C'est avec satisfaction que je prends mes marques dans la ville, que j'apprivoise la géographie, retiens le nom des quartiers. Le beau et la magie de cette ville unique s'amalgament avec la tristesse de l'exode rurale et le moche de l'urbanisation. En 1950, Istanbul comptait un millon d'habitants... Aujourd'hui encore, à l'ouest et à l'est, la ville continue d'empiéter sur la terre, d'ériger de nouveaux immeubles et quartiers toujours plus loins du centre. Beaucoup d'agriculteurs ne pouvant survir économiquement face à des produits importés du Brésil ou d'ailleurs, des familles viennent chercher des travails modestes en ville, et passent des heures dans des transports déjà surchargés. Beau ou moche, ou les deux, tout cela reste assurément intéressant. Ici se vivent aussi beaucoup de réalités loins de celles que j'ai côtoyées cette année. Je suis peu passé par les villes, et n'ai jamais été dans une de ces grandes mégalopoles mondiales. C'est l'occasion d'en avoir un aperçu, et de flâner dans mes pensées nourries par ce que j'ai vécu.

Istanbul, c'est aussi la ville du tourisme... de masse. 17 millions de touristes par an, dont j'ai fait partie contre mon gré. Comme au marché de Noël de Strasbourg où j'habitais avant cette aventure, deux populations distinctes peinent à cohabiter dans le même espace et se gardent d'interagir entre elles. Même pour les touristes, il y a trop de touristes. Sur la pointe européenne qui touche le Bosphore, la zone qui abrite le palais de Topkapı, la mosquée Sainte-Sophie et la mosquée bleue, est envahie et concédée à ce business ici concentré. Une fois de plus, je suis choqué et énervé par les gens, la foule, en particulier dans les mosquées. Alors que ce sont des lieux calmes qui imposent d'eux-mêmes, me semble-t-il, silence, respect et humilité, ces sanctuaires de beauté et d'histoire où viennent tout de même prier quelques fidèles, se voient piétinés par un foule qui parle, crie, se bouscule pour se prendre en photo. Se taire et prendre le temps de regarder vraiment, autrement qu'à travers l'écran de son téléphone, semble utopique. On ne vient pas là pour ça, même les guides touristiques crient pour couvrir le son du brouhaha et montrent du doigts les fidèles qui prient pour expliquer l'islam, comme on montrerait un animal dans un zoo pour expliquer son mode de vie. Comme dans le désert des Badernas en Espagne, comme dans les Dolomites en Italie, l'écœurement et la colère en moi masquent la contemplation et l'émerveillement que je pourrais sinon ressentir dans de tels lieux. Le tourisme de masse vient consommer salement Istanbul. De mes yeux, je ne vois pas une quête de découverte, d'apprentissage ou de rencontre, mais la simple consommation d'un produit exotique. En voyant ce monde bruyant se prendre sans cesse et fièrement en photo, je me demande quel mérite ou satisfaction y a-t-il à s'afficher avec tant de vanité ? Je rêve d'un monde où l'on s'intéresse et rêve à des lieux lointains, pour peut-être s'y rendre un jour et les découvrir de nos yeux avec émotion. J'aurais aimé ressentir cela, tel un voyageur qui parcourt le monde et rentre témoigner de ces lieux. Malheureusement pour moi, Istanbul est accessible en avion depuis le monde entier pour toutes celles et ceux qui en ont les moyens, et viennent en majorité passer un court séjour avant d'aller directement en Cappadoce puis à Antalya pour "faire la Turquie". La beauté et l'exotisme de la mosquée bleue et de Sainte-Sophie m'ont ainsi été volés, mais c'est anecdotique. Une fois de plus c'est tout ce que cela représente et implique qui m'affecte, et quant à moi je ramènerai d'autres souvenirs et témoignages.

Difficile pour moi de ressentir un sentiment d'arrivée et d'accomplissement, seul dans une telle ville et devenant subitement un touriste parmi d'autres. Heureusement, de belles rencontres rompent cet anonymat et marquent mon séjour à Istanbul. Grâce à des connaissances de connaissances, à mes initiatives ou au hasard, je suis gâté. Je rencontre Oytun, membre de l'association hikingistanbul qui organise des randonnées chaque dimanche en périphérie d'Istanbul. Oytun est de plus très impliqué dans la création et la promotion d'itinéraires de randonnée en Turquie. Il n'y a exceptionnellement pas de marche pendant mon séjour à cause du ramadan et des élections. Mais adorable et passionné, en plus de me conseiller et de me faire rêver sur la carte de Turquie, Oytun m'emmène marcher une journée dans un coin insolite, alors même qu'il jeûne et qu'il fait dorénavant beau et chaud. Un guide parfait, de chouettes échanges, un intérêt mutuel, une belle rencontre. Amro m'accueille comme un roi dans son restaurant où une diaspora palestinienne vient rompre le jeûne le soir. Kübra m'emmène visiter les îles des princes dans la mer de Marmara. Je passe deux soirées festives avec Necmi et ses ami•es, dans une convivialité touchante, où nous célébrons les élections et mon arrivée à Istanbul, ou simplement la joie de vivre. Juste avant de repartir, Mary venue de Russie me fait découvrir son univers et nous nous encourageons mutuellement dans nos projets. Et je suis très reconnaissant envers Virgile qui m'a hébergé pendant trois semaines. Malgré nos différences peut-être vertigineuses, nous avons réussi à nous rencontrer et nous bousculer, et j'ai été touché par son admiration pour ma marche.

Après trois semaines à Istanbul, il est plus que temps de repartir. Je me suis habitué de force à un faux confort et à un environnement qui ne me réussit que brièvement, et surtout je suis entrain de louper l'arrivée du printemps. Au cours de ces treize mois de marche, je ne savais pas ce que je ferai une fois arrivé à Istanbul. Je voulais laisser la porte ouverte sans impératif et sans prévoir. Évidemment, je ne suis pas venu ici à pieds pour ensuite me téléporter en avion. J'ai déjà écarté l'option de rentrer en France en bus et train. J'ai laissé décanté les idées et me suis décidé pendant mon séjour sur le Bosphore. Alors comment et où vais-je repartir ?...

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Depuis la mosquée Süleylaniye. De l'autre côté du Bosphore : l'Asie.

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Kız Kulesi

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Au bord de la corne d'or

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Les deux rives se relient aisément en ferry. Le transport en commun est une croisière sur le Bosphore.

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Yeni Cami (Mosquée neuve) de jour...

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...et de nuit

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Sultanahmet Camii (Mosquée bleue)

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AyaSofya Camii (Mosquée Sainte-Sophie)

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Süleymaniye Camii

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Eyüp Sultan Camii

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Büyük Mecidiye Camii (Mosquée d'Ortaköy)

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Camlıca Cami. Immense mosquée construite récemment sur un sommet de la rive asiatique, à l'initiative d'Erdoğan, inaugurée en 2019.

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Les élections sont pour bientôt.

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Le détroit du Bosphore est un axe maritime et commercial très important, notament pour l'Ukraine et la Russie qui exportent par voie maritime.

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Depuis les îles des princes. Observation de l'éclosion des bourgeons et du traffic maritime.

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Forêt de Belgrade, en périphérie d'Istanbul. Ça y sst, les arbres sortent leurs premières feuilles.

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Oytun m'emmène marcher sur ce barrage ottoman, toujours utilisé pour alimenter Istanbul en eau (non potable). Les chiens errants nous font toujours compagnie.

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Orphys miroir, une orchidée qui se prend pour une abeille.

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C'est sûr : le printemps s'installe. C'est sûr : je ne veux pas manquer ce spectacle quotidien ! Il se fait temps de quitter Istanbul.

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#153 20-04-2024 21:16:18

Joy Supertramp
Sempervirens
Inscription : 25-03-2019
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Trop chouette, merci pour ce partage !
C'est drôlement bien écrit, je reconnais bien là les émotions d'une fin, qu'elle soit relative ou définitive.

J'ai traversé une partie de l'Europe en stop et à pieds il y a 10 ans et l'arrivée à Istanbul fut quelque chose de très marquant pour moi, une effervescence incroyable ! Le besoin de vite fuir m'avait envahie ainsi que mon compagnon et nous avions filé rapidement vers l'Est. J'étais alors heureuse de dire, de l'autre côté du Bosphore, nous voilà en Asie ! D'ailleurs je garde un souvenir plus apaisé de la partie orientale de la ville, et encore, ce n'était rien en comparaison de la traversée du pays qui a suivi. On m'avait beaucoup mise en garde à propos des turcs, nous n'avons rencontré que des gens adorables !

Mais j'avais déjà arpenté cette ville 4 ans avant, j'avais 20 ans, en logeant sur place, et j'avais également été très touchée par les mosquées, que j'avais parfois eu la chance de visiter alors qu'elles étaient vides !

Je ne sais pas où tu as décidé d'aller ensuite, mais j'ose souhaiter que tu puisses persévérer vers l'Est ...
La Géorgie est un pays incroyable !

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Edit sans précision : ortho ou faute de frappe !

Liste montagne été top confort

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#154 20-04-2024 21:16:26

XavN
PRO
Lieu : Tarn
Inscription : 14-09-2011
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Merci pour ce superbe récit  pouce

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#155 20-04-2024 21:57:00

ester
Membre
Lieu : Bzh
Inscription : 24-08-2011

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Remettre son matériel en état, récupérer soi-même, et voir la suite de l'itinéraire s'imposer petit à petit, puis le préparer, ce n'est pas ne rien faire.  wink
Ton corps et ton esprit en ont manifestement besoin.

J'ai pensé au bateau-stop pour Marseille...
Mais c'est plus vraisemblablement l'appel de l'Est, à pied, qui gagnera. cool


Grâce à vous, j'avance ! merci !  smile

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#156 21-04-2024 08:26:19

Nicolas36
Marcheur léger
Inscription : 04-03-2021

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Bizarre, tu élimines le bus et pas la voiture  lol
Reste la voiture, le bateau ou faire le retour à pied avec toutes les contraintes que tu as eu : militaires, kangals, postes frontières, mais tu profiteras du printemps là où tu as connu l'hiver et tu rencontreras les mêmes gens sympas.
_ Tu vas où ?
_ Je rentre.
_Comment ça ? Encore à pied ?


Modifications non signalées = Corrections de français

Récits-Listes : Brenne - Ecrins et Queyras - HRP par section

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#157 21-04-2024 09:27:45

ludof
Membre
Lieu : Lyon
Inscription : 24-08-2021
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Bonne continuation pour la suite de ton aventure pouce

Petite question si ce n'est pas indiscret, surtout si tu prévois de continuer : même si tes besoins sont réduits au strict minimum (manger, se loger), comment gères tu le côté financier ? As tu une idée du total dépensé pendant ces 13 mois ? Je pense que ça pourrait être intéressant pour quelqu'un qui souhaiterait se lancer dans ce genre de périple ...

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#158 21-04-2024 10:58:38

brons07
Membre
Inscription : 27-06-2015

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Bonjour,
merci de nous faire partager tes aventures avec autant de sensibilité et de réflexions pertinentes.

Le détroit du Bosphore reste ouvert au trafic maritime car c'est la Turquie qui en a la maitrise...

Bonne suite.

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#159 22-04-2024 22:07:17

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Hey ! Une fois de plus merci à vous pour vos beaux retours !

Merci Joy pour ce partage d'expérience sur le Bosphore. Istanbul a du bien changer en 10 ans, comme on me l'a dit à plusieurs reprises là-bas d'ailleurs. Aujourd'hui la rive est, notamment à Kadıköy qui est aussi très animée et très jeune, mais moins touristique. Tous les quartiers sont différents c'est assez remarquable. Maintenant que j'en suis parti et qu'après plusieurs jours j'ai repris un rythme de marche itinérante, je me répète que je suis bien mieux hors de cet univers fou, et pense à tout ce que je vois et que les stambouliotes ne voient pas, voire de connaissent pas... Je suis depuis longtemps attiré par la Géorgie et le Caucase en général ! Ta photo est sympa et donne envie...

Pas de soucis ludof pour la question, on me demande souvent sur la route d'ailleurs, surtout en Turquie où ce n'est pas un tabou. Hors équipement, j'ai dépensé en moyenne 20€ par jour, repartis de la manière suivante : 8€ en supermarché/épicerie/boulangerie, 5€ en café/bar/restaurant, 5€ en hébergement, et 2€ de dépenses diverses (carte sim, frais bancaires, timbres, etc.). Je n'ai pas encore fait les calculs précis, mais j'estime à environ 6€/j l'amortissement du matériel pour de la très longue distance, à peu près repartis comme ça : 2€ chaussures, 1€ sac de couchage, 3€ tout le reste. Donc ramené à un an (mon voyage fera plutôt dans les un an et demi) ça fait un peu plus de 7000€ vie quotidienne + 2000€ matos, sans compter l'achat de base de tout l'équipement (que j'avais déjà et qui me sert en partie à d'autres choses, mais c'est une grosse somme), sans compter non-plus une assurance spécifique (ffcam 170€/an) et tous les frais constants, voyage ou non (banque, mutuelle, abonnement téléphonique UE, abonnements applications téléphone, etc.).

Merci brons07. La Turquie a le contrôle du détroit du Bosphore, mais par un traité qui le considère comme eaux internationales, elle ne peut pas interdire le passage de navires commerciaux en temps de paix (wikipedia, j'ai pas poussé plus loin).

Nicolas36 c'est vrai je n'ai pas exclu la voiture, et j'ai d'ailleurs beaucoup hésité à m'acheter la dernière tesla pour le retour.  lol

C'est marrant, la suite n'est pas exactement dans vos hypothèses, mais un peu comme un compromis entre chacune.  smile  La voici !

Dernière modification par *Samuel (22-04-2024 22:11:59)

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#160 22-04-2024 22:11:15

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Et maintenant ?

Voilà plus d'un an que je marche, que la marche est non seulement mon mode de déplacement, mais aussi mon mode de vie, mon quotidien, mon activité principale qui structure mes journées et ma vie. Cela fait plus d'un an que moi et mon équipement élémentaire marchons et vivons durablement dehors, dans un très large pannel d'environnements, de saisons, de météos, d'ambiances, de réalités. L'objectif initial de traverser l'Europe à pieds du détroit de Gibraltar au Bosphore en passant principalement par les montagnes est atteint. En cela c'est une réussite d'avoir vécu et réalisé cette longue marche, dans le cadre simple mais strict que j'ai choisi, en marchant et vivant ainsi de façon durable. Tout au cours de cette traversée et même jusqu'à à la fin, je ne savais pas ce que je ferai une fois arrivé à Istanbul. J'ai d'ailleurs été surpris d'à quel point, dès l'Espagne, on m'a souvent et rapidement posé la question. J'ai souhaité effectivement ne pas avoir d'impératifs en termes de dates ou autres, c'est à dire de ne pas avoir de plan prédéfini pour après. Cet inconnu total est souvent difficile à gérer, mais c'est aussi ce qui permet de se laisser changer, ne serait-ce qu'un petit peu, par l'expérience, et de se confronter à toute la difficulté, la responsabilité et le potentiel que représente la liberté.

Ma marche a pris un renouveau, comme un deuxième départ, en entrant en Slovénie 6 mois et 4 000 km après mon départ de Tarifa. J'étais effectivement surtout attiré par les pays d'ex-Yougoslavie, l'Europe de l'est, la Turquie. Je suis alors rentré davantage dans un environnement inconnu avec plus de découvertes et d'adaptations qui accaparent le quotidien. Je suis également très attiré par la Turquie, les plateaux anatoliens et les grands massifs montagneux à l'est du pays, ainsi que par les pays du Caucase, leurs montagnes et leurs habitants. Alors après avoir déjà traversé l'Europe d'une extrémité à une autre, à présent à Istanbul aux portes de l'Anatolie et du Caucase, il est tentant sur le papier ou plutôt sur la carte, de continuer à marcher vers l'est et d'aller plus loin dans l'éloignement, dans cette expérience approfondie de la marche et de la solitude, dans un dépaysement avec un goût pour la découverte et la recontre à pieds.

Lorsque je marchais encore récemment dans les montagnes bulgares en hiver, bien dans ce quotidien changeant et souhaitant approfondir tous ses aspects, je me voyais continuer encore et encore, même si traverser la Turquie jusqu'en Géorgie représente objectivement un sacré morceau. Je voyais ensuite l'arrivée à Istanbul se rapprocher trop vite. Pourtant, pendant la même période en marchant dans la monotonie de la Thrace, je sentais s'installer une certaine lassitude de la solitude. En plus de cette solitude plus pesante et moins bénéfique, je ressens un manque en termes de relations. J'ai globalement une bonne relation avec moi-même. Les rencontres éphémères de toutes sortes sur la route comptent, elles sont importantes et répondent aussi à un besoin d'interactions humaines. Sans les minimiser, je suis en manque d'un autre type de relations et d'interactions absentes dans l'itinerance solitaire. Les relations avec des proches évidemment, mais plus largement des relations où l'on découvre l'autre et soi-même sur la durée, avec l'expérience, au long court, comme la marche finalement. À présent je souhaite me diriger vers ce type d'expérience et d'enrichissement.

J'ai donc laissé decanter tout ça sans trop y penser pendant mon séjour à Istanbul, et c'est assez naturellement que, comme je le préssentais en arrivant, j'ai décider d'entamer un retour progressif vers la France. Un retour plus rapide, mais toujours sans transports motorisés. Je change les règles et ajoute un second mode de déplacement : la voile. Sans aucune expérience dans ce domaine, en m'y projetant sans toutefois en avoir les moyens, j'ai soudain très envie de naviguer et de découvrir cet univers. Je vais donc tenter la conavigation, ou bateau-stop, dans l'objectif de me diriger vers la France à travers la méditerranée, ses terres et ses îles, en alternant marche et navigation. Je traverserai donc peut-être les Cyclades, la Grèce, le sud de le l'Italie, la Sardaigne ou encore la Corse, selon mes envies mais surtout selon les opportunités. J'ai pu échanger longuement au téléphone avec un navigateur expérimenté à qui j'ai pu poser un tas de questions de néophyte et écouter ses conseils. Cet échange m'a bien motivé à faire des sauts de puce sur la méditerranée et découvrir plusieurs bateaux et styles de navigation, et bien sûr leurs capitaines. Je deviens donc à présent bien plus flexible sur l'itinéraire et même le cadre du voyage. Je m'apprête ainsi à amorcer à la fois la suite de ma longue marche en Europe, découvrir je l'espère le monde de la navigation, et réaliser peut-être un autre depart et un autre voyage dans le voyage.

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Dernière modification par *Samuel (23-04-2024 09:01:04)

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#161 22-04-2024 22:14:19

Jurgen76
Membre
Lieu : Normandie
Inscription : 11-03-2023

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

*Samuel a écrit :

#702177  smile  La voici !

OU Samuel ? (Impatient !).

Dans le même timing...

Au début de la lecture j’ai fortement pensé aux secrets de la mer rouge de H. De Monfreid...mais si on y arrive bien via la  méditerranée,  c’est aller au sud vers l’Afrique et non au nord vers l’Europe...mais bon va savoir, les sauts de puce peuvent mener loin...au plaisir de te lire de nouveau.
Bons vents !

Dernière modification par Jurgen76 (22-04-2024 22:29:30)


Mon trombi ici

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#162 22-04-2024 22:17:27

ester
Membre
Lieu : Bzh
Inscription : 24-08-2011

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Ester a écrit :

J'ai pensé au bateau-stop pour Marseille...

Si, si, si, évoqué !  big_smile
Mais l'attrait de l'Est me paraissait plus fort.  wink

Edit : Bon retour, Samuel !

Dernière modification par ester (22-04-2024 22:18:00)


Grâce à vous, j'avance ! merci !  smile

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#163 23-04-2024 00:12:19

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

ester a écrit :

Si, si, si, évoqué !  big_smile

Haha oui c'était presque ça, mais il manque les étapes à pieds.  wink   En Turquie, puis bientôt j'espère traverser les montagnes greques, puis... on verra !

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#164 23-04-2024 08:04:40

ludof
Membre
Lieu : Lyon
Inscription : 24-08-2021
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Quel beau moyen de finir ce périple qu'un retour combinant voile et randonnée .... bon retour  pouce

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#165 23-04-2024 11:30:49

Rodo le Preux
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Inscription : 19-01-2023

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Quelle jolie fin de périple !  pouce

Une question : est-ce que l'on aura la chance de suivre tes prochaines aventures ici ou faudra-t-il aller sur "Naviguer-leger.org" pour lire la suite de tes pérégrinations dignes d'Ulysse ... ? ^^

Dernière modification par Rodo le Preux (23-04-2024 11:31:03)

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#166 23-04-2024 12:10:30

*Samuel
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Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Haha je sais pas s'il existe un un naviguer-léger, ça doit être minoritaire dans ce milieu aussi ! D'ailleurs à ce sujet, il y a l'aventure de Yann Quenet qui est intéressante, un breton qui a fait un tour du monde sur un mini-voilier de 4m fait-maison, complètement dans la démarche MUL.

Oui je continuerai de publier ici la suite de cette aventure.  wink

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#167 23-04-2024 12:11:14

ester
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Lieu : Bzh
Inscription : 24-08-2011

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

*Samuel a écrit :

#702181

ester a écrit :

Si, si, si, évoqué !  big_smile

Haha oui c'était presque ça, mais il manque les étapes à pieds.  wink   En Turquie, puis bientôt j'espère traverser les montagnes grecques, puis... on verra !

Oooook !  smile

Si je peux aider, quelques références de sites issus du Lonely Planet : la bible du grand voyageur (juin 2021). (Il y a 10 pages très intéressantes sur le bateau-stop.)

www.findacrew.org
www.crewbay.com
www.crew4crew.net
www.crewseeker.org (payant mais excellent)
www.bourse-aux-equipiers.com
www.co-navigation.fr

Il y en a d'autres...

Vu comme ils ont généreusement cité, utilisé et référencé RL, je pense que les quelques liens ci-dessus ne lèseront pas le livre...

Bon voyage  smile


Grâce à vous, j'avance ! merci !  smile

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#168 23-04-2024 12:13:55

ester
Membre
Lieu : Bzh
Inscription : 24-08-2011

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

*Samuel a écrit :

#702181

ester a écrit :

Si, si, si, évoqué !  big_smile

Haha oui c'était presque ça, mais il manque les étapes à pieds.  wink   En Turquie, puis bientôt j'espère traverser les montagnes grecques, puis... on verra !

Oooook !  smile

Si je peux aider, quelques références de sites issus du Lonely Planet : la bible du grand voyageur (juin 2021). (Il y a 10 pages très intéressantes sur le bateau-stop.)

www.findacrew.org
www.crewbay.com
www.crew4crew.net
www.crewseekers.org (payant mais excellent)
www.bourse-aux-equipiers.com
www.co-navigation.fr

Il y en a d'autres...

Vu comme ils ont généreusement cité, utilisé et référencé RL, je pense que les quelques liens ci-dessus ne lèseront pas le livre...

Bon voyage  smile


Grâce à vous, j'avance ! merci !  smile

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#169 24-04-2024 17:40:21

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Hey merci ester pour ces ressources !! pouce

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#170 24-04-2024 19:20:27

ester
Membre
Lieu : Bzh
Inscription : 24-08-2011

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

De rien.  smile

Si tu passes dans une ville et que tu peux lire les 10 pages concernant le bateau-stop,

(le sommaire du livre est très clair), c'est sûrement un plus. wink


Grâce à vous, j'avance ! merci !  smile

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#171 25-04-2024 00:24:33

bruno7864
partir, partir et découvrir
Lieu : toujours dans la Lune
Inscription : 11-10-2012

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Merci Samuel d'avoir partagé cette aventure extraordinaire, qui finalement ne s’arrête pas là. J'avoue je n'ai pas compris ton choix et ai eu extrêmement peur pour toi lorsque qu'après tes déboires tu as décidé de continuer d'avancer à travers le montagnes enneigées en plein hiver. Mais, ce grain d'insouciance ou de folie qui t'habite est peut être nécessaire pour te permettre d'aller au bout de tes rêves, la preuve est là.
Alors, pour ce nouveau départ je ne peux que te souhaiter bon vent.

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#172 25-04-2024 07:11:56

patou
Membre
Inscription : 11-05-2014

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

pouce
Et un bon conseil de marin : Quand les mouettes ont pied, il est temps de virer. big_smile
Allez Bon vent !


Mul part ailleurs

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#173 26-04-2024 12:41:50

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

bruno7864 a écrit :

Merci Samuel d'avoir partagé cette aventure extraordinaire, qui finalement ne s’arrête pas là. J'avoue je n'ai pas compris ton choix et ai eu extrêmement peur pour toi lorsque qu'après tes déboires tu as décidé de continuer d'avancer à travers le montagnes enneigées en plein hiver. Mais, ce grain d'insouciance ou de folie qui t'habite est peut être nécessaire pour te permettre d'aller au bout de tes rêves, la preuve est là.
Alors, pour ce nouveau départ je ne peux que te souhaiter bon vent.

Merci Bruno !
Ma péripétie en Bosnie dans la neige n'était pas extrême et était le résultat d'un concours de circonstances... Il n'y avait pas de danger à traverser le grand balkan en février, et je m'engageais avec moi-même à m'adapter aux conditions pour ne pas prendre de risques. En vrai, comme en janvier j'ai coupé par la campagne serbe sans passer par les montagnes monténégrines et albanaises, le passage en montagnes bulgares en février était trop court ! Même si à la longue l'hiver peut être fatiguant par sa longueur, j'aurais aimé marcher dans les montagnes et la neige avec mes raquettes et mes crampons plus longtemps, c'est grandiose ! Peut-être comme tu as trouvé ton passage dans les Pyrénées superbe mais trop court lors de ta traversée d'Europe. C'est ainsi, j'ai déjà hâte du prochain hiver !

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#174 27-04-2024 16:28:04

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Turquie : Istanbul > Ayvalık

13/04/2024 > 23/04/2024
222 km ; D+ 3400 m ; D- 3400 m

Après une arrivée et un séjour prolongé à Istanbul, je quitte la magie et la folie de cette ville. Il est grand temps de me replonger dans un quotidien autre, une itinérance suffisamment longue avec un objectif suffisamment lointain. J'ai cherché par tous les moyens de quitter Istanbul en voilier, tout en étant très flexible quant à la direction vers le sud. Quelques fois je n'étais pas loin de trouver une opportunité de conavigation et ça aurait pu fonctionner, mais après deux semaines de recherches et démarches en parallèle de mon temps à Istanbul, je n'ai rien trouvé et ne vais pas rester ici plus longtemps. C'est donc à contrecœur que je traverse la mer de Marmara en ferry, mais sans regret puisque j'estime avoir tout essayé. Pour maintenir la continuité géographique de mon itinéraire dessiné sur la carte, je repars depuis la mosquée Sainte-Sophie vers le port où j'embarque pour Bandırma, à 100 km de l'autre côté de la petite mer de Marmara. J'imaginais au moins passer ce trajer sur le pont du bateau, à regarder Istanbul s'éloigner derrière l'eau qui s'étire. Que nenni, c'est interdit, on m'oblige à rentrer m'asseoir dans les rangées de sièges à l'intérieur. Alors que dehors existent le vent, l'eau, les mouettes, la ville que nous laissons et la côte que nous longeons, il n'y pas d'autre possibilité que de rester assis à l'intérieur, avec une climatisation inutile et trop forte, forcés à avoir deux écrans de télé dans notre champ de vision où que nous soyons. Alors que dehors défile un monde intéressant que j'aimerais simplement observer, j'ai donc le choix entre regarder la télé, regarder mon téléphone, ou fermer les yeux.

C'est donc depuis Bandırma que je reprends l'itinerance pédestre et entame un itinéraire jusqu'à Izmir, 300 km plus loin. De là-bas, je compte à nouveau chercher des opportunités de conavigation à travers la mer Égée. Les premiers jours de marche sont difficiles. Je marche quasi-exclusivement entre les champs de blé et de colza, sur des pistes agricoles, sous 35°C et sans arbre pour me reposer à l'ombre. Je trouve le paysage triste, tout comme les villages qui le parsèment. Je réalise alors que cela fait deux mois que je n'ai pas été dans un endroit beau, où le beau n'est pas à chercher dans la fleur de coquelicot au bord du chemin, mais est omniprésent, m'englobe, accapare les sens et parfois même la pensée. Cela fait deux mois que je suis descendu des montagnes bulgares du grand balkan, et que depuis je marche soit dans ces campagnes plates et répétitives, exclusivement consacrées à l'agriculture avec une biodiversité subsistante réduite au minimum, soit dans des environnements urbains auxquels je suis de plus en plus allergique. Je suis en manque de montagnes, de paysages, des sensations et émotions qui vont avec, ou tout simplement de forêts, de sentiers, de biodiversité à observer. Pour la première fois je crois depuis mon départ il y a 14 mois, ce labeur s'accompagne de doutes et remises en question quant à mes plans. Mon cadre et mon objectif sont à présent moins clairs et plus flexibles. Je suis donc moins porté par une destination lointaine dans l'espace et le temps, qui donne sens à la marche et aux difficultés qui vont avec. Là, je me dis que j'ai déjà suffisamment donné en labeur, et me sens moins porté par mon nouvel objectif de rentrer à pieds et en bateau. À un moment, j'ai une grande envie de me déplacer à velo et une grande frustration qui en découle. Toutefois, j'accepte et prends en compte mon état toujours à cheval entre la suite ou la fin du voyage, et continue de marcher.

Après ces premiers jours, le rythme de la marche revient. Je trouve à nouveau confortable d'avancer d'une trentaine de kilomètres par jour, d'évoluer à ce rythme avec le temps à ma disposition, sans la sensation désagréable d'être pressé. Le changement de météo et d'environnement contribue également. Après trois jours de soleil accablant sans nuages, trois jours de pluie prennent le relais, puis enfin une météo tempérée avec un ciel nuageux appréciable qui me protège des UV. Un peu de relief et de forêts ont leur place dans le paysage, je vois et entends plusieurs espèces d'oiseaux, contre une seule auparavant, j'assiste réellement au printemps qui se déploie. Il ne s'agit bien sûr pas du même beau que celui d'un environnement montagneux que j'explore et qui me submerge, mais par moment je suis très heureux d'assister à la féerie du printemps. J'écoute avec attention et amusement le chant virtuose du rossignol, qui partout vante son repertoir varié de jour comme de nuit. Selon l'exposition au soleil, je vois tous les stades du développement des feuilles et des fruits du figuier, l'emblème du printemps. Les arbres sortent leurs jeunes pousses aux couleurs claires, les fougères se déplient dans les sous-bois, les insectes butinent les fleurs qui subliment ce paysage déjà coloré, les grenouilles s'en donnent à cœur joie dans leur période de reproduction, et je m'arrête régulièrement regarder, écouter et sentir tous ces spectacles.

Un matin, je marche quelques kilomètres sur une apparente banale piste agricole qui longe un fin court d'eau presque stagnant. Je suis impressionné et émerveillé par la densité de vie qui cohabite dans cette étroite bande d'eau : une grande quantité de plantes aquatiques qui masque presque la surface de l'eau, une multitude d'insectes et notamment de belles libellules colorées, des grenouilles de toutes les tailles et de toutes les couleurs, et plus de tortues que je n'en ai vu jusqu'à présent dans ma vie. Je marche lentement pour observer toute cette richesse juste là, et voir les animaux qui fuient au fond de l'eau en m'entendant approcher. Les grenouilles m'impressionnent autant qu'elles me font rire. Au fil de mon avancée sur le chemin, elles sautent dans l'eau depuis la rive l'une après l'autre, et forment ainsi une vague qui s'achève par une succession de "plouf". Petites et avec leurs cuisses surpuissantes, elles bondissent sans réfléchir, sans savoir les obstacles qu'elles rencontreront en vol ni dans quel sens elles plongeront dans l'eau. Je les trouve courageuses et surtout tellement drôles. À ce moment-là, je suis content de me déplacer à pieds pour pouvoir admirer pleinement tout cela. En parallèle, je me sens paradoxalement privilégié et seul à tant jouir gratuitement et gracieusement de toute cette beauté accessible. Je ne peux m'empêcher de me faire la réflexion que la plupart des stambouliotes, bien que dans un environnement infiniment plus complexe et sophistiqué, n'entendront ou n'écouteront peut-être pas le chant du rossignol pourtant omniprésent ici, ne verront peut-être pas d'autres fleurs que les tulipes des parcs de la ville, ne verront peut-être pas d'autres oiseaux que les pigeons, mouettes et corneilles d'Istanbul, et resteront peut-être dans des endroits où il est impossible de ne pas avoir d'immeuble dans son champ de vision, ni de moteur thermique dans son champ auditif. Je me fais ce genre de réflexions peut-être fausses même lorsque, après avoir contemplé avec joie tout cela, je traverse une petite ville où l'on s'entasse sur du goudron et dans du béton, sans vraiment accorder de place visuel ou sonore au beau.

Petit à petit, ce sont aussi les oliviers qui font leur retour dans le paysage. Cet arbre est et restera pour moi toujours associé au sud de l'Espagne, à ces déserts d'oliviers dans lesquels j'ai marché pendant plusieurs jours et semaines il y an de cela. J'ai depuis un rapport particulier avec cet arbre emblématique. Un an et plusieurs milliers de kilomètres plus tard, me voilà à nouveau à la même saison à marcher dans des vergers d'oliviers. Ici, les parcelles sont en revanche de tailles plus raisonnables, avec souvent des animaux d'élevage sous les arbres, et une production moins intensive et plus diversifiée. Comme en Andalousie, les endroits uniquement dédiés à la culture de l'olivier s'accompagnent aussi souvent de clôtures, barbelés, chiens méchants et systèmes d'alarme et de video-surveillance, la bonne ambiance. À cette période, les oliviers aussi fleurissent.

Depuis Istanbul, j'ai retroqué mon statut de touriste lambda pour celui d'OVNI. Depuis 14 mois que je marche, j'alterne successivement l'un et l'autre selon si je suis dans un lieu touristique ou non, en ville ou en campagne/montagne, sans presque aucun intermédiaire. Comme depuis mon entrée en Turquie, la plupart du temps lorsque je traverse les villages, je suis d'abord un dangereux migrant, puis une curiosité, puis une attraction. Parfois la première étape n'a pas lieu, parfois aussi on en reste à celle-ci. L'association du nationalisme et de l'hospitalité turc forme vraiment un étonnant mais possible mélange. Attention aux généralités toutefois. Malgré des situations certes répétitives, je rencontre une diversité de personnes, de comportements et d'interactions. Je romps avec l'anonymat et l'indifférence de la ville, et m'arrête rencontrer et discuter avec les hommes dans les cafés. On m'offre toujours le thé, souvent à manger, et parfois l'hospitalité. Quelque fois mais rarement, j'ai aussi l'occasion de rencontrer les femmes. Je suis toujours heureux lorsque ma marche suscite un intérêt et des émotions. Au cours de cette section, je dors deux nuits dans des petits lieux de prière à l'entrée des villages, avec l'accord des habitants. J'y retrouve l'intimité et le plaisir des nuits en cabane en montagne.

J'ai décidé d'écourter cette seconde section de marche en Turquie en me rendant finalement à Ayvalık, sur la mer Égée. De là, je chercherai de nouveau des opportunités de conavigation vers la Grèce. Comme presque toutes les côtes méditerranéennes, il s'agit d'un lieu dédié au tourisme balnéaire, à destination des turcs aisés et des étrangers européens. Les prix sont multipliés par deux ou trois. En approchant, un peu comme sur la côte adriaque en Croatie, je traverse des quartiers résidentiels touristiques qui vivent deux mois dans l'année, uniformes et construits à la va-vite. Beaucoup d'autres sont en construction, et entre ces îlots d'appartements et de villas, toujours le même envers du décors : des décharges à ciel ouvert d'électroménager et de matériaux de construction. Les interactions humaines deviennent aussi plus froides et purement commerciales. En amont de mon arrivée sur la côte égéenne et une fois sur place, je recherche par tous les moyens des équipages qui iraient vers les îles Cyclades, la Crète ou la Grèce, mais en vain. Comme à Istanbul, on essaye de se débarrasser de moi le plus vite possible au port de plaisance, et on me refuse même que je laisse une annonce à la capitainerie. Je ne vais pas m'éterniser ici, quelques jours a déjà des conséquences négatives sur mon humeur, et je ne suis pas optimiste pour arriver à repartir d'ici en voilier. Faute de m'adapter aux opportunités de navigation, je décide donc moi-même de la suite de mon itinéraire. Je vais reprendre le ferry pour traverser la mer Égée jusqu'à Thessalonique en Grèce. De là-bas, j'ai dessiné une itinéraire pour traverser la Grèce d'est en ouest par différents massifs montagneux. Environ 600 km et 25 000 m de D+, de quoi m'occuper le mois de mai et retrouver un rythme de marche itinérante et un environnement montagneux. Ensuite, j'espère vraiment parvenir à parcourir la méditerranée en voilier, en une ou plusieurs étapes. D'ici là, j'ai le temps de rechercher des équipages sur internet. Ainsi, après deux mois en Turquie, je m'apprête pour la dixième fois à franchir une frontière, quitter un pays auquel je me suis habitué et où j'ai mes repères, pour entrer dans un nouvel inconnu à découvrir, auquel m'intéresser et où poursuivre mon aventure.

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Après avoir traversé la mer de Marmara, je reprends la marche entre les champs de blé et de colza sous 35°C. Difficile physiquement et mentalement pour une reprise.

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Sous cette chaleur, la pointe de mes bâtons s'enfonce dans l'asphalte mou.

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Après trois jours de chaleur accablante, trois jours de pluie et d'averses.

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Progressivement, le relief et la biodiversité reprennent de la place dans le paysage.

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Là, ça fait plaisir de retrouver des endroits sobres mais beaux.

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Sous les pins, des jeunes euphorbes au vert clair et vif.

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Un an après avoir marché des jours et des semaines dans des vergers d'oliviers dans le sud de l'Espagne, je retrouve en Turquie cet arbre emblématique.

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Mon nom est kangal.

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Hello

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Chasse gardée, c'est ma poubelle !

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Les oliviers aussi fleurissent...

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...tous comme les graminées, plus discrètes.

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Je ne passe jamais inaperçu dans les villages. Passés les premiers instants parfois de méfiance et d'étonnement, on m'invite à boire le thé et parfois à manger, ici des pişi, de délicieux beignets turcs.

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Je ressors mon précieux outil de communication qui me permet d'expliciter ma marche : une carte d'Europe avec mon itinéraire.

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23 avril, journée de la souveraineté nationale en Turquie. Encore plus qu'à l'habitude, sont érigés le drapeau turc et le portrait d'Atatürk, le fondateur de la république de Turquie et héros national inconditionnel, représenté absolument partout...

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...jusque sur les accordéons.

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Je m'approche de la côte égéenne touristique, avec ses quartiers résidentiels balnéaires, toujours en expansion. Entre ceux-ci, je traverse les inévitables décharges à ciel ouvert d'électroménager et de matériaux de construction.

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Mes derniers jours en Turquie, deux mois après que j'ai passé la frontière Bulgarie-Turquie. Difficile de réaliser que je vais quitter le pays.

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Après la mer Méditerranée, la mer Adriatique, la mer Noire et la mer de Marmara, la mer Égée.

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Mon itinéraire complet en Turquie. 580 km et 9000 m de D+ à pieds, 100 km en ferry.

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#175 27-04-2024 17:53:00

foxof
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Inscription : 15-05-2022

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

*Samuel a écrit :

#702499Turquie : Istanbul > Ayvalık

Je vais reprendre le ferry pour traverser la mer Égée jusqu'à Thessalonique en Grèce. De là-bas, j'ai dessiné une itinéraire pour traverser la Grèce d'est en ouest par différents massifs montagneux. Environ 600 km et 25 000 m de D+, de quoi m'occuper le mois de mai et retrouver un rythme de marche itinérante et un environnement montagneux. Ensuite, j'espère vraiment parvenir à parcourir la méditerranée en voilier, en une ou plusieurs étapes. D'ici là, j'ai le temps de rechercher des équipages sur internet. Ainsi, après deux mois en Turquie, je m'apprête pour la dixième fois à franchir une frontière, quitter un pays auquel je me suis habitué et où j'ai mes repères, pour entrer dans un nouvel inconnu à découvrir, auquel m'intéresser et où poursuivre mon aventure.

Si jamais tu passes par le Péloponnèse, j'y suis passé l'année passée (en nord sud), donc n'hésite pas si tu as des questions wink


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