[Récit + liste] 3ème partie de HRP à cloche pied

Cat 09 · 09-09-2023 22:59:31

Aaaaahh ! Bien contente que ça continue !

Bombadyl a écrit :

Elle me demande s’il y a des ours ici. Je réponds qu’il ne pleuvra pas cette nuit

bernard_lyon · 10-09-2023 08:27:15

Ça repart !
Merci Bombadyl.

ludof · 10-09-2023 09:38:15

Chouette, c'est reparti ... vite, la suite

Bombadyl · 22-11-2023 22:41:51

Mardi 11 juillet 2023 - Vignemale

Réveil en douceur, je traîne un peu au lit et prends le temps de petit-déjeuner avant de partir, contrairement à mes habitudes.
Il faut que je m'astreigne à faire des petites journées de marche pour que mon genou tienne sur la durée.
Je salue mes voisins de nuit qui ont dormi à la belle étoile. Ils ont l’air entiers et moins stressés qu’hier soir.

La balade du jour commence par une descente facile vers le barrage d'Ossoue.

Un bel endroit pour dormir mais on dirait que la soirée n’a pas été reposante pour tout le monde.
Un groupe de fêtards émerge doucement de cette lourde tente, laissant entrevoir des enceintes et des packs de bière. On sent que le parking n’est pas bien loin.

En longeant le lac, je tombe nez à nez avec une marmotte peu farouche. Elle compte bien compenser sa courte nuit par une longue sieste au soleil.

En prenant de la hauteur, je croise quelques unes de ses congénères qui regardent passer les marcheurs comme les vaches regardent passer les trains.

Je poursuis la visite des différents étages de cette longue vallée qui, vue d’ici, semble terminer en cul de sac.

Je suis sur un tronçon du GR10 et c’est agréable aussi de marcher de temps en temps sur un bon sentier, bien marqué.
A tel point que lorsqu’on arrive devant un obstacle comme ce pont de neige en mauvais état, on hésite presque à sortir du tracé évident qui continue tout droit.
Juste un petit saut… 1 mètre ou peut-être 2…
Des gens sont passés par là, il y a de belles traces…
Oui mais ça c’était avant.

Je me résigne à rebrousser chemin pour contourner le névé par le bas, doutant de la solidité de l’édifice en partie haute.
Vu d’en bas, il ne fait aucun doute que c’était la bonne option.

Pour l’instant il n’y a pas d’autres marcheurs.
Curieux, je décide de les attendre sur place pour observer leur réaction face à cet obstacle.
Je profite de cette pause pour compléter mon petit-déjeuner depuis mon poste d’observation.
Au bout de quelques minutes, les premiers sujets d’étude arrivent en sens inverse et avancent jusqu’à la neige avant de découvrir le problème.
Ils hésitent un instant puis décident tous de contourner l’obstacle. Bon choix.
En position d’arbitre de tennis, assis et dominant le terrain de jeu, je suis prêt à siffler la faute dans le cas contraire.

Certains descendent dans la caillasse raide et croulante, parfois sur les fesses en faisant rouler leur sac jusqu'en bas.
La manœuvre dure 2 minutes pour les plus rapides et jusqu'à 15 minutes pour ceux qui regrettent à mi-pente de s’y être engagés.
Un autre plus malin se laisse glisser sur les fesses dans la neige en bord de névé: record battu.

Estimant que le match est plié, je quitte mon poste mais je me garde bien de traverser le terrain de jeu pour rejoindre le GR au plus court.
Je préfère suivre hors-sentier le tracé naturel du torrent jusqu'à recroiser le chemin.

Ce faisant, je tombe sur un groupe de randonneurs massés autour d'une dame allongée sur la roche. Elle a l'air blessée.
Je m'approche et demande si je peux aider.
Visiblement elle a fait une mauvaise chute de plusieurs mètres, stoppée par un gros rocher dans le ventre.
Elle a de légères contusions au visage mais aucune blessure grave apparemment. Pas de signes d’hémorragie.
Elle est encore sous le choc mais elle pense pouvoir descendre jusqu'à la route qui n’est plus très loin.
La situation ne me paraît pas mériter le déclenchement des secours via satellite.
Je lui conseille de bien se reposer avant de repartir pour éviter le sur-accident lié à sa fébrilité.
Elle n’est pas seule donc je continue ma route après avoir donné des conseils au reste du groupe pour contourner largement le pont de neige (qu’ils n’ont pas encore vu) par l'itinéraire le plus facile.

Toute la montée est dominée par ce que je croyais être le Vignemale, mais qui selon la carte serait plutôt le pic de Montferrato (3219m).
Ce changement de nom ne le rend pas moins majestueux.

Les grottes de Bellevue offrent un abri sommaire mais appréciable en cas de nécessité.

Plus j'approche du refuge de Baysselance plus le vent forcit jusqu'à en devenir franchement gênant pour la marche.
Je m'assois sur un banc du refuge face à la vallée d'Ossoue et à Gavarnie.
Malgré la distance parcourue depuis hier midi, je distingue encore nettement la brèche de Roland si caractéristique.

Adossé au refuge, je grignote quelques fruits secs pendant que mes pieds prennent l’air.
Je dois cependant accrocher solidement mes chaussettes à mon sac pour ne pas les perdre.
Un autre randonneur n’a pas pris cette précaution et a posé les siennes sur ses chaussures de randonnée pour visiter le refuge.
À chaque rafale de vent, les chaussettes se déplacent d’un bon mètre en direction du surplomb rocheux.
Plusieurs témoins observent la scène avec amusement mais personne ne semble décidé à mettre ses doigts sur les chaussettes puantes d'un autre marcheur.
Je dois avouer que cette perspective ne m'enchante guère d’avantage et je trouve un compromis en posant deux pierres sur les fugitives afin d’éviter à leur propriétaire un mauvais moment en sortant du refuge.

Auréolé de sainteté par cette bonne action, je poursuis en direction du col.
La montée est particulièrement facile malgré la minéralité du décor.

La Hourquette d'Ossoue est le point culminant du GR10 à 2734 m.
C’est donc un moment fort de la traversée pour de nombreux marcheurs.
Pour la HRP, rien d’extravagant en revanche.

Je décide de faire l'impasse sur le petit Vignemale pourtant très tentant.
Un 3000 facile à moins d'une heure de marche, ça ne se refuse pas habituellement!
Mais le vent souffle trop fort pour apprécier les lieux à leur juste valeur et j'ai déjà une longue descente à négocier avec mon genou.

La face nord du Vignemale est très impressionnante avec à ses pieds son superbe glacier qui se dévoile au fil de la descente.

On aperçoit tout en bas les Oulettes de Gaube et le refuge éponyme.
Je me suis fixé cet objectif pour une courte journée de marche et un bivouac royal face au Vignemale.
C’est aussi une bifurcation possible vers un retour anticipé.
Mais en face, je devine aussi le col des Mulets que je pourrais éventuellement franchir aujourd'hui si la descente se passe bien…

Pas de décision hâtive, il faut déjà descendre 600m pour rejoindre le refuge.
J’aborde cette descente avec beaucoup de précautions, craignant à tout instant de réveiller ma douleur au ménisque.

Vers 14h à 2400m je m’arrête près d’un ruisseau pour une pause déjeuner les pieds dans l'eau gelée.
Je m’aperçois alors que je mange beaucoup moins que d’habitude.
C’est déjà mon 3ème pique-nique depuis le départ et je viens péniblement à bout de mon premier paquet de Tuc et à peine plus de la moitié d'un saucisson.
Étrange. L’an dernier je mangeais 1 saucisson et 1 paquet de Tuc en 2 repas.
Du coup je porte beaucoup trop de nourriture pour ce petit appétit qui ne me ressemble pas !

D’un pas toujours prudent je finis par atteindre cet immense plat au bout duquel trône le refuge des Oulettes. Je dois reconnaître que l’endroit est magique !

Il y a beaucoup de monde au refuge mais j'ai quand même envie d'y revenir en famille.
Depuis le parking du Pont d'Espagne la récompense est élevée pour un effort très abordable.

À présent il me faut choisir.
Profiter longuement de ce spectacle en barbotant dans l’eau de fonte pour respecter ma promesse d’une courte journée ?
Ou céder à l’appel du sentier qui reprend de l’altitude ?
J’hésite un peu car il n’est même pas encore 16h…
Je consulte la carte: il y a un petit lac au col d’Arratille soit environ 2h de marche. 18h c’est encore raisonnable pour une petite journée….
Je prends une météo de la soirée car je sais qu’un bivouac à 2500m proche d’un col peut vite devenir inconfortable si le vent ne tombe pas.
Les prévisions sont rassurantes: nuit claire et vent faiblissant.

La montée vers le col des Mulets est raide mais rapide. Le ton change, on n'est plus sur le GR10 bien qu’il n’y ait pas de difficulté particulière.

Le col en lui-même est bien large et tout en rondeur et c’est sûrement pour ça qu’il s'appelle "col des Mulets" et non "col des Isards".
En revanche, je prends un énorme vent de face à tel point que je peine réellement à me tenir debout.
Heureusement qu’il y a du plat autour de moi !

La suite est plus corsée dans cette soufflerie infernale.
Petite descente puis longue traversée sur de petits cailloux avec un sérieux dévers.
Pas franchement difficile mais il faut être attentif avec les brusques rafales de vent.

Après une longue traversée à flanc, la sente s’évanouit soudain au niveau d'un bloc rocheux fortement incliné.
Je consulte ma montre qui indique un changement de direction du sentier: apparemment il faut contourner ce bloc par le haut.
Je grimpe comme je peux en suivant une petite faille et débouche tant bien que mal 15m plus haut.
Saperlipopette! Le sentier réapparaît mais en contrebas, quasiment à l’altitude où je l’ai quitté…
Je dois traverser une poussière glissante en fort dévers pour rattraper mon erreur…
Un passage un peu scabreux mais c’est de ma faute. Dans l’autre sens, ça semble bien plus évident.
Et pour éviter à d’autres cette erreur, j’ai depuis corrigé le sentier sur les cartes.

Au col d’Arratille, je rencontre un HRPiste en sens inverse.
Son sac est très léger, il connaît le forum mais n’y participe pas activement.
Il a pris un orage de grêle il y a quelques jours dans le secteur d’Arlet.
La veille, il s'est fait très peur au passage du col du Lavedan: le plus dur qu'il ait eu à faire jusqu’ici. Je note.
Ça confirme les infos que j’avais sur cette option d’itinéraire qui perd encore quelques points dans mon classement.
Je ne suis pas d’humeur à chercher la difficulté après l’expérience douloureuse du col de la Sède.
Restera donc à choisir entre le col de la Fâche et le col de Cambalès pour demain, si je décide de continuer.

Derrière le col se cache un joli lac, surplombé par un névé: mon lieu de bivouac prévu.
Mais une fois sur place, il est évident que je ne vais pas dormir là.
De la pente, des cailloux et des rafales de vent visibles à la surface du lac ne donnent pas envie de traîner dans les parages.

Prochain objectif: le 2ème lac d'Arratille, loin en contrebas.

La descente est rude pour mon genou en cette fin d'étape.
Le terrain est chaotique avec une succession de criques et de ressauts.
Je descends très doucement et j'aimerais que ça s'arrête.
Ce dernier effort du jour, non anticipé, me semble durer une éternité.

Je trouve enfin l'emplacement idéal en surplomb du lac, assez proche d’un ruisseau pour aller m’y baigner.

Je suis dans un petit creux qui semble un peu moins exposé au vent mais j’ai peine à m’en persuader car les rafales tourbillonnent sans direction privilégiée.
Cette fois, je monte la tente bien avant de me coucher pour tester sa résistance au vent.

Ce soir c’est officiel: j'ai mal.
Des petits gestes simples comme m'asseoir dans un ruisseau me font grimacer.

Alors que j'avais retrouvé l'espoir de faire mes deux semaines de traversée à petit rythme, le doute revient en force.
Je suis même assez convaincu que la deuxième semaine serait une bêtise.
Demain je descendrai jusqu'au refuge Wallon et j'aviserai sur place.
Si j'ai mal dans la descente dès le matin, j'arrêterai là.
Sinon je ferai encore 2 petites étapes pour terminer aux pieds du pic du midi d'Ossau.
Oui, si j'arrive aux pieds de “Jean-Pierre” sans douleur ce sera déjà très bien !

Je suis surpris dans mes réflexions par le grondement du tonnerre.

Bizarre ! Ça ne colle pas avec le bulletin météo fraîchement acquis.
Mais les nuages noirs sont bien là et les premières gouttes aussi.
Bien content d’avoir monté la tente à l’avance, je termine mon dîner sous la toile.
L’averse sera brève et la foudre tombera à bonne distance, me permettant de sortir quelques minutes observer les nuages défiler à toute vitesse au-dessus des sommets.

Parcours du jour: -> Trace téléchargeable sur VisuGPX

Quelques chiffres:

karibou31 · 23-11-2023 00:47:37

He's back!!

Dernière modification par karibou31 (23-11-2023 00:47:52)

patou · 23-11-2023 08:46:56

Fin septembre, j'étais au Vignemale. Aucun névé à la montée mais des marmottes oui.
Par contre, je pense que le glacier ( du petit Vignemale ?) que tu as pu admirer après la hourquette d'Ossoue est moribond (je ne l'ai même pas vu). En tous cas, le grand glacier d'Ossoue a perdu plus de 3 m d'épaisseur entre la fin août et la fin septembre. D'ici quelques années, il aura disparu à son tour.

Dernière modification par patou (23-11-2023 09:00:59)

ludof · 23-11-2023 09:45:20

Chouette, du rab de HRP

Bombadyl · 24-11-2023 12:16:19

Merci de votre passage et désolé pour le délai erratique entre les épisodes. Mais j'irai jusqu'au bout

patou a écrit :

#694705
Fin septembre, j'étais au Vignemale. Aucun névé à la montée mais des marmottes oui.
Par contre, je pense que le glacier ( du petit Vignemale ?) que tu as pu admirer après la hourquette d'Ossoue est moribond (je ne l'ai même pas vu). En tous cas, le grand glacier d'Ossoue a perdu plus de 3 m d'épaisseur entre la fin août et la fin septembre. D'ici quelques années, il aura disparu à son tour.

Oui malheureusement nous allons tous les voir disparaître un à un...

Rhomain · 24-11-2023 20:43:33

Merci de votre passage et désolé pour le délai erratique entre les épisodes. Mais j'irai jusqu'au bout :wink:

Justement, merci à toi de ne pas publier trop vite, ça permet à certains de rattraper leur retard dans les récits estivaux…

Tu as une sacré persévérance pour poursuivre jour après jour sans jamais savoir si tu seras en capacité de redescendre ensuite !

Bombadyl · 31-01-2024 22:51:34

Rhomain a écrit :

#694796
Merci de votre passage et désolé pour le délai erratique entre les épisodes. Mais j'irai jusqu'au bout :wink:
Justement, merci à toi de ne pas publier trop vite, ça permet à certains de rattraper leur retard dans les récits estivaux…

J'ai pris le commentaire de Rhomain au pied de la lettre afin de permettre à tout le monde de rattraper son retard dans les récits estivaux
Bon maintenant que même Hervé a terminé le sien, je n'ai plus aucune excuse
Du coup je m'y remet !

ludof · 31-01-2024 23:07:37

Aaaaargh ! Quand j’ai vu la notification de nouveau message je me suis dit « chouette un nouvel épisode » … mais en fait non

bernard_lyon · 31-01-2024 23:32:27

ludof a écrit :

#697942Aaaaargh ! Quand j’ai vu la notification de nouveau message je me suis dit « chouette un nouvel épisode » … mais en fait non

Mais il arrive…
Moi aussi je veux connaître la suite !

Bombadyl · 31-01-2024 23:58:42

Mercredi 12 juillet 2023 - Fâche

Le réveil est encore tranquille ce matin.
Une fois de plus je me promets un rythme paisible, inspiré par la fin de journée d’hier douloureuse pour mon genou.

Je quitte mon bivouac à 8h15, encore à l’ombre du méconnu pic Alphonse Meillon (2930m).

Malgré une bonne nuit de sommeil et un cadre enchanteur, je ne déborde pas de vitalité ce matin.
Mes pensées sont focalisées sur les choix d’itinéraire à faire aujourd’hui:
Retour vers la vallée et le parking du pont d’Espagne pour regagner la maison ?
Col de la Fâche pour un bivouac à Campo Plano juste avant Respomuso ?
Lacs de Cambales, col éponyme puis col de la Peyre Saint-Martin pour rejoindre Campo Plano ?
Le détour par le nord du Balaïtous via Larribet est déjà écarté: aucune envie de redescendre jusqu’à 1200m alors que je peux rester au dessus de 2000m par un itinéraire plus direct et qui évite la difficulté du port du Lavedan.

Je petit-déjeune vers 9h, toujours dans la fraîcheur de l’ombre, avant de plonger vers le refuge Wallon.

A 10h30 je découvre cet immense bâtiment qui ressemble plus à un centre flambant neuf pour colonies de vacances qu’à un refuge de montagne.
L’écriture architecturale et les matériaux employés sont intéressants, mais le gigantisme dénote.

J’entame la conversation avec le cuistot du jour qui termine d’éplucher son deuxième cageot de carottes et s’attaque au troisième.
Je lui demande conseil entre les deux itinéraires qui me permettraient de continuer: “Les deux sont très jolis”. Et pour la difficulté ? Moins bon sentier par Cambalès, un névé délicat après le col de la Fache. Un partout, balle au centre.

C’est donc l’inspiration visuelle depuis le refuge qui orientera mes pas vers la gauche et donc le col de la Fâche.

Autour du refuge c’est effectivement une ambiance de colonie de vacances dans un cadre paradisiaque.
On se baigne dans les eaux turquoises, on saute depuis un petit pont en criant sa peur et sa joie, on tente de faire la sieste à l’ombre des arbres où l’on termine sa grasse matinée dans la tente.

Mon cœur balance entre la crainte d’un club med à la montagne et l’envie d’imiter certains.
Mon côté ours mal léché me poussant à m’éloigner d’une densité humaine supérieure à quelques âmes perdues au kilomètre carré, je me note d’y revenir au calme avec les enfants au printemps.

Une centaine de mètres plus haut, je profite du ruisseau pour me rafraîchir les pieds et me forcer à mettre en œuvre ma devise du jour: “chi va piano va sano”.
Je termine mon petit déjeuner dans l’herbe mais quelques piqûres de fourmis rouges troublent la quiétude des lieux et m’incitent à aller voir ailleurs.

Pendant la montée, je questionne sans exception tous les randonneurs que je croise sur la difficulté du col.
Au nombre total de 3, les avis patiemment récoltés ne m’avancent à rien tant ils sont variés.
Qu’à celà ne tienne, je verrai bien ce qu’il en est.

Tiens, Sisyphe a oublié son rocher ici.

De jolies pépites égayent cette montée, comme ce petit étang sans nom et bien caché.

Puis vient un moment où la vue est plus jolie en se retournant.

Du coup, faute de spectateur, l’herbe se fait de plus en plus rare.
Quelques névés en profitent pour faire leur apparition, captant les regards, quitte à se laisser marcher dessus.

Seul spectateur de toutes ces beautés.

A l’approche du col, ma solitude et mon appréhension sont brisées d’un seul et même coup.
Un troupeau de brebis !
Ces braves bêtes ont beau avoir les onglons plus sûrs que mes semelles, leur présence ici brise quelque peu l’aura du col de haute montagne infranchissable qui planait dans mon esprit depuis ce matin.

Et comme une surprise ne voyage jamais seule, voici à présent 2 gendarmes du PGHM qui descendent.
J’oublie mes moutons quelques instants car je suis curieux de savoir s' ils sont obligés de faire l’aller-retour côté Français ou si leur mission les autorise à quitter le territoire national quelques heures pour faire une boucle via un 2ème col frontalier.
Je n’obtiendrai pas de réponse. Pour cela il aurait fallu leur poser la question.

Au col, le vent me cueille comme il se doit, obligeant veste et bonnet à quitter le sac.
A l’abri d’un muret de pierre, je rejoins un couple qui s’est aventuré sur les crêtes de Cambalès jusqu’au col d’Aragon et à son pic qui nous domine.
Un itinéraire copieusement hors-sentier qui les a épuisés: ils en sont ravis !
Je n’obtiens donc pas plus d’infos sur ma future descente, à part ce névé qui garde jalousement la rive gauche d’un lac et que l’on aperçoit au loin.

Mais d’ailleurs au loin, ne serait-ce pas le pic du midi d’Ossau qui se détache en arrière-plan ?
Ne serait-ce la différence de couleur, on pourrait croire qu’il est posé sur la montagne qui tente de le cacher.

Poussé par le vent, je quitte le col assez vite.
Si la montée était débonnaire côté Français, la descente l’est un peu moins côté Espagnol.

Après un début tranquille, il faut passer un goulot assez raide avec quelques cailloux qui aimeraient bien descendre aussi.
Avec une confiance très limitée dans mon genou droit, je descends lentement et prudemment.

Le joli névé se rapproche et l’on distingue aisément l’itinéraire qui le traverse, assez haut en surplomb du lac.

Vu d’ici, franchement j’hésite.
N’ayant ni crampons ni piolet cette année, je suis prêt à chercher un contournement du lac par la droite pour ne pas risquer une glissade des plus rafraîchissantes.
En pleine hésitation, je suis rattrapé par deux espagnols pressés. Ils ont franchi le névé à la montée ce matin. Pas de problème: la trace est bien marquée, il suffit de mettre les pieds aux bons endroits et surtout d’éviter les trous près des gros rochers.
Ils repartent encore plus vite pour rattraper le temps perdu à échanger ces 2 phrases.
Je m’engage derrière eux sans tenter de suivre leur rythme.

En approchant du névé je repense à la remarque de JJ lors de la sortie initiation piolet/crampons dans le Néouvielle: “on n’a pas toujours un piolet au moment où ça pourrait être utile. Il faut savoir faire un “arrêt piolet” avec autre chose: un bâton, un cailloux, un manche de pelle… C’est pas aussi efficace selon l’état de la neige mais ça peut te sauver la mise”.
C’est l’occasion de mettre en pratique.
Je replie au plus court mon bâton amont qui joue le rôle du piolet.
Je garde mon bâton aval pour m’équilibrer mais je suis prêt à le lâcher en cas de glissade pour saisir à deux mains le mini-bâton et enfoncer la pointe dans la neige avec tout le poids de mon corps.
Une fois cette précaution prise, je m’engage dans la traversée et je réalise vite que ça ne sera pas trop difficile. Les traces de pas sont en effet bien profondes, ce qui rend le risque de glissade assez faible.
La seule difficulté se situe au niveau des gros blocs car le névé a bien fondu et les traces de pas sont désormais trop proches du trou entre les blocs. Il faut donc contourner par l’aval en créant quelques marches avec la chaussure, ce qui est rapide dans la neige fondante.

Rétrospective

De retour sur les cailloux ça n’est pas encore la fin des hostilités car le sentier fait un plongeon après le déversoir du lac.
Respectant mon rythme prudent de septuagénaire, je disparais à mon tour dans la pente.

Avec tout ça il est déjà 15h et mon ventre gargouille.
A la première occasion, je m’octroie une pause déjeuner les pieds dans l'eau avec une belle vue sur le vallon qui remonte vers le Pico de Llena Cantal (2941m).

Le retour de l’herbe.

Je ne sais pas ce qu’il y avait de spécial dans ce paquet de tucs mais je repars dans un état second, proche de l’euphorie.
Je m’extasie devant chaque baignoire bleue et limpide que forme le ruisseau.
Je me retourne régulièrement pour admirer cette vallée dominée par la Grande Fâche (3005m).

Je marche avec allégresse.
Je chante avec enthousiasme.
Je me réjouis d’être là et je verse quelques larmes de joie.

L’arrivée se rapproche. Campo Plano.
Ce gigantesque terrain de bivouac repéré sur les cartes depuis longtemps.

Si grand qu’une fois sur place, on hésite.
Un peu plus à droite ? ou à gauche ? plus loin du lac ? Là c’est bien aussi.

Je me décide sur l’emplacement idéal.
Enfin une vrai journée courte et une longue soirée en perspective…
Oui car il est… 16h30…
Qu’est ce que je vais bien pouvoir faire avant la nuit ?
Écrire un peu, admirer le paysage. Regarder la carte pour voir ce qui m’attend demain.
Sur la carte mes yeux ne peuvent s’empêcher de chercher un lieu de bivouac alternatif, juste un peu plus loin…
Il y a quelques options avant le Refuge de Respomuso. C’est presque plat et c’est proche.
Les options suivantes se situent dans le secteur des lacs d’Arriel, après une longue traversée à flanc.

Allez, je vais voir à quoi ça ressemble en continuant un peu…
Un autre point de vue sur l’emplacement que je quitte, dominé par la Grande Fache et le Pic de Peira.
Elle est pas belle la vie ?

Le sentier serpente entre des petits étangs et je découvre que dans le secteur, presque tous les sommets ressemblent à des dessins d’enfant.
De jolis dessins.

Absorbé par la contemplation, je dépasse le Refuge de Respomuso sans avoir remarqué les emplacements que je suis censé chercher.
Le refuge n’est pas très beau mais le cadre est splendide!

Poussé par le soleil déclinant, me voici engagé dans la traversée à flanc sans espoir de trouver un quelconque terrain plat avant les lacs d’Arriels.
Mais j’aime cette lumière de fin d’après midi et c’est presque plat !
Au début c’est même très plat puisque le “chemin” est en réalité un mur de soutènement.
Sauf que personne n’a expliqué aux arbres qu’il s’agit aussi d’un chemin. Du coup ils poussent là où il ne faut pas.
Pour les contourner, la question ne se pose pas: c’est par le haut !
Je commence à me dire que les 3 km de traversée “à plat” pourraient être plus pénibles que prévu.

Heureusement, les arbres font quelques efforts pour s’écarter dès que le sentier ressemble à nouveau à un sentier.
En regardant devant, je me demande comment le sentier va traverser cette partie rocheuse en restant à niveau…

La réponse c’est qu’il ne reste pas vraiment à niveau… Hop +70m ! Puis -50m, et +20m, et j’en passe.
Bon en même temps je ne suis pas venu en montagne pour marcher sur du plat.
Si mon balcon n’est pas tout à fait plat, ça reste un très beau balcon.
Surtout cette ouverture vers le sud qui dévoile encore plein de sommets pointus dont je n’ai jamais entendu parler.
Il m’en reste des choses à découvrir dans les Pyrénées !

Enfin un lac ! Ce n’est que le 11ème de la journée, mais 3km sans voir un lac c’est long.

En fait, ce n'est pas un lac mais un piège.
Il détourne le regard du chemin pour ne pas que le randonneur s’aperçoive… qu’il n’y a plus de chemin justement.
Enfin si, mais 10 mètres plus bas avec les pierres du mur qui le tenait et qui ont jeté l’éponge.
Me voilà bon pour une désescalade qui m’oblige à ranger les bâtons.

Une fois au bord du piège, je cherche un peu de plat pour jeter aussi l’éponge.
Aïe, je ne suis pas tout seul. 3 randonneurs en contre sens ont la même idée que moi.
Pas question de partager ma baignoire, j’irai voir ailleurs en espérant que si le groupe n’a pas trouvé son bonheur avant, c’est uniquement parce qu’ils ont 2 ou 3 tentes à monter.
Le lac suivant n’est pas moins beau, mais ses berges manquent de moelleux.

Sur ma carte il reste un espoir avec le waypoint HRP nommé “tent site, water!” plus engageant que le dernier recours de l’ultime lac: “small bumpy tent sites”.
Je mise tout sur ce point gps, m’éloignant du sentier, contournant un relief qui cachait…
MON lac !
Avec plage en herbe moelleuse, emplacement pour une tente, accès privatif à la baignade, rocher plat pour manger, rocher tiède pour faire sécher des vêtements… Il ne manque que le placard à balais.
Et la vue ? Balaïtous (3146m), Palas (2974m), Batcrabère (2707m), Arrémoulit (2624m)...
Que demander de plus ?

Ni une ni deux, je suis à l’eau pour célébrer cette journée folle qui a vu mon moral remonter progressivement depuis le fond de mes chaussettes ce matin jusqu’à mon cheveu le plus sommital pendant cette séance de natation vivifiante.

Je suis trop content d’être là.

Pendant le repas, je subis une véritable invasion de moustiques (à 2200m).
Je sors la combinaison intégrale avec capuche et double pantalon.
Ils sont encore 10 sur mes mains. Je mets les gants.
Ils attaquent le nez et les joues.
Je dois les chasser entre chaque cuillère de semoule pour ne pas en avaler.
C’est la première fois que j’en vois une telle densité.
Je pense à Hervé qui parcourt la Norvège et j’espère pour lui que ça n’est pas son quotidien!
Qu’importe, ces petites bêtes ne peuvent pas entamer mon moral du soir.
Je n’ai pas eu de douleur vive au genou aujourd’hui, et ça, ça n’a pas de prix.

Et puis moi je ne dors pas sous tarp, et ce soir je m’en félicite .

Parcours du jour: -> Trace téléchargeable sur VisuGPX

Quelques chiffres:

bernard_lyon · 01-02-2024 00:38:55

Excellent… merci Bombadyl ! Ça nous replonge avec humour dans les belles montagnes pyrénéennes.

laxmimittal · 01-02-2024 00:41:21

tu vois quand on va lentement, comme la vie et belle

L.

DOM42 · 01-02-2024 07:27:49

Magnifique ces images accompagnés d'un récit qui est un délice.

Hervé27 · 01-02-2024 10:02:58

Merci Bombadyl

Toujours autant de plaisir à revoir ce secteur, qui enchante tous ceux qui le traversent ! Visiblement tu as eu le même retour d'énergie que moi à Campo Plano l'année précédente, avec final du soir jusqu'aux lacs d'Arriel, et je t'envie ton spot avec baignade intégrée ...

C'est gentil de penser à moi , mais étrangement les moustiques de Norvège ne m'ont pas tant que ça traumatisé. C'est comme le reste, ça se gère ... C'est quand on n'a rien prévu à leur égard que c'est rude !

ludof · 01-02-2024 10:09:40

Merci pour le récit et les superbes images.
Hallucinant ce refuge Wallon

azerty · 01-02-2024 11:21:01

Excellent.

Étrange comment certains « ours mal léchés » sont en réalité de bons compagnons d’aventures

karibou31 · 01-02-2024 12:05:29

azerty a écrit :

#697968Excellent.
Étrange comment certains « ours mal léchés » sont en réalité de bons compagnons d’aventures

Pas mieux ! Je me suis dit la même chose !

Bombadyl · 01-02-2024 22:22:46

Ah ah, vous êtes gentils.
Peut-être qu'entre ours mal léchés on s'entend bien

Merci pour les commentaires encourageants !

PyrTrekker · 02-02-2024 21:29:06

Merci de me faire revivre ces coins magnifiques, vivement l'été pour y repartir

Super récit comme d'habitude, toujours un plaisir de te lire. Vivement la suite !

Bombadyl · 14-04-2024 15:45:52

Oulala, que les semaines défilent !
L'été est presque de retour ce week-end et il me reste encore 2 épisodes à terminer
Vite, je m'y remet !

Bombadyl · 14-04-2024 16:16:59

Jeudi 13 juillet 2023 - Ossau

Rangement efficace ce matin. 15 minutes après mon réveil, je quitte déjà mon superbe spot de bivouac au bord des lacs d'Arriel.

Si chaque jour devait avoir une couleur, aujourd’hui serait le bleu.
Ou plutôt LES bleus.
Bleu glacial et profond de l’Ibon Alto à l’ombre matinale du Balaïtous.

Bien visible à droite du Pic Palas, le fameux port du Lavedan révélé par une flèche de ciel pointant vers le lac.

Bleu turquoise irréel quelques minutes plus tard au bord du même lac, éclairé par le ciel qui s’embrase, et souligné de rhododendrons en fleur.

Toujours au bord de ce lac, deux bipèdes dans un cocon de plumes aux couleurs vives profitent du spectacle.

Je m’élève à la rencontre de la peinture jaune qui dégouline du col d’Arremoulit.
Les retrouvailles sonnent l’heure du petit déjeuner en surplomb du lac face au Balaitous.

La montée au col est bien raide, offrant une dernière vue magique sur ce lac aux multiples bleus.

Sur l’autre versant, c’est un pierrier de gros blocs qui m’accueille, dominant un autre lac et une mer de nuages.
De multiples cairns m’invitent à les suivre jusqu’à retrouver quelques touffes d’herbes et apercevoir une tache orange signalant probablement le refuge d’Arremoulit.

Je programme d’y faire une pause pour collecter quelques informations sur le passage d’Orteig qui semble être l’itinéraire le plus direct mais qui pourrait bien déplaire à mon genou.

Le lac d’Arremoulit est magnifiquement encadré, et quelques rochers affleurants invitent au plongeon ou à l’exploration sous-marine (sous-lacustre ?)

Malheureusement la couleur orange n’est pas celle du refuge mais celle du chantier en cours. Le refuge est fermé pour travaux et il n’y a pas âme qui vive.
Je trouve néanmoins quelques informations par le biais d’un panneau d'avertissement avec quelques photos à la bifurcation.

Ça n'a pas l'air bien méchant.
Je décide d’aller voir sur place et si ça ne m'inspire pas je ferais demi-tour.

Le sentier surplombe la mer de nuages. Difficile de deviner ce qui se cache dessous.

Je ressens tout de même physiquement une appréhension qui me rend fébrile.
Je décide de m’accorder une pause apéritive pour être en pleine forme dans le passage.
Le saucisson aux truffes m'avait donné la pêche hier après le col de la fâche, voyons si ça marche aujourd'hui.
Pendant que je me sustente, la mer de nuages recule légèrement, dévoilant enfin la traversée qui m’attend.

Petite descente sur la roche brune, puis à plat dans la roche grise et enfin un petit sentier étroit toujours en surplomb.
Un câble sur les parties rocheuses, pas sur le sentier.

Lorsque je suis prêt à m'engager dans le passage, un autre randonneur arrive en sens inverse. Je le laisse passer pour l'observer.
Visiblement c'est un habitué ! Il ralentit à peine, garde les deux bâtons à la main gauche et s'appuie sur la paroi de la main droite sans tenir le câble…
Bon, ça n'a pas l'air technique !
Mais le bonhomme est un peu en excès de confiance, il dérape et se rattrape à la main courante... Ouf.
Je le perds ensuite de vue mais il semble avoir fortement ralenti !

Dès qu'il sort je m'engage à mon tour.
De près ça n'est plus si impressionnant: les pas sont assez faciles, il y a du bon rocher et la main courante pour se tenir fermement à la paroi.
Seul inconvénient: dans mon sens c'est d'abord la descente et le genou m'envoie des alertes qui m'obligent à modifier mes appuis au dernier moment.
Une fois dans la partie plate, plus de difficulté pour moi.
J’attends tout de même la sortie pour regarder vers le bas et me retourner pour voir où je suis passé.

Tiens, vers le bas ça a beaucoup changé! La mer de nuages a été remplacée par un grand lac.

Je m'arrête à nouveau près d’un petit laquet pour récupérer mes bâtons accrochés au sac. Je croise alors un autre HRPiste léger (lecteur du forum) et nous bavardons quelques minutes.

Dans la descente, le pic du midi d’Ossau se dresse fièrement face à moi. Je m’arrête dans un lacet près d’une marmotte pour compléter l’apéritif et profiter de la vue.

Plus je descends, plus le thermomètre grimpe.
Je passe sous la barre des 1800m d’altitude, ce qui ne m’était pas arrivé depuis le ravitaillement à Gavarnie 3 jours plus tôt.
Les fleurs se multiplient.
Puis des buissons apparaissent.

Les arbustes grandissent jusqu'à offrir une ombre bienfaitrice.

Et tout au bout de cette longue descente, une rivière de bitume balafre la montagne, apportant son lot d’insectes métalliques tantôt bourdonnant, tantôt rôtissant au soleil.

Ça y est je touche le fond !

Une seule idée en tête: vite remonter pour une nouvelle bouffée d'oxygène !

Je traverse la route à 1400m avec la très nette impression de changer de montagne.
Les reliefs qui me font face ne ressemblent en rien à ceux que je quitte.
Tout semble plus doux, plus rond, plus vert.

Les gens aussi sont différents.
Plus hétéroclites. Plus affables aussi.

Je rencontre une famille avec 2 enfants qui montent bivouaquer. Je m’adapte à leur rythme quelques minutes pour répondre à leurs questions et échanger sur l’expérience du bivouac avec de jeunes enfants.

Puis je croise une septuagénaire qui m’arrête en chemin pour me raconter les 4 fois où elle a gravi l’Ossau en alpinisme estival puis hivernal. Touchante et débordante d’énergie, je la quitte à regret.

Plus loin c’est toute une colonie de vacances qui se repose dans l’herbe. Les 2 moniteurs m’interpellent pour savoir d’où je viens et où je vais.

J’ai vraiment traversé une frontière en franchissant cette route.

Ce nouveau pays est plein de chaleur humaine…
Mon t-shirt mouillé dans le ruisseau sèche instantanément sur moi.

Je rattrape un couple au style punk. Sandales aux pieds, vêtements déchirés et un chien dans les bras. Ils sont à la peine mais fermement décidés à monter jusqu'en haut. En haut…au col ? Non en haut tout là-haut. Au sommet de l’Ossau ? En sandales ? Sans baudrier ni corde ? Avec un chien qui ne sait pas marcher ?
Mon scepticisme évident ne les décourage pas : ils veulent juste savoir s’ils sont sur le bon chemin. Très bien, bon courage.

La terrasse du refuge de Pombie grouille de vie. Je m’accorde une pause à l’ombre du bâtiment au cœur de la fourmilière.

J’écoute les conversations pour me distraire.
Un homme raconte au gardien sa rencontre avec un VTTiste dans le lapiaz proche du Pic d'Anie. Je tends l’oreille car c’est sur mon chemin, mais ça sera sûrement l’année prochaine pour moi.
Surpris de voir un vélo sur un terrain aussi piégeux, l’homme le met en garde mais le cycliste semble savoir ce qu’il fait. Il lui dit traverser les Pyrénées par les itinéraires de randonnée et avoir l’habitude de porter son vélo la plupart du temps. Quelle étrange pratique !
Quelques jours après cette rencontre, notre narrateur découvre sur les réseaux sociaux l’appel à témoins d’une jeune fille dont le père a disparu, décrivant son itinéraire prévu en VTT dans les Pyrénées. L’homme est certain qu’il s’agit du même cycliste. Il témoigne. Le vélo et le corps sont retrouvés dans le lapiaz, non loin de la rencontre initiale.

Brrr, voilà une histoire qui rafraîchit. J’ignore si elle s’est déroulée il y a dix ans où la semaine passée, si elle est véridique ou romancée, mais l’émotion dans la voix de l’homme est bien palpable, même s’il tente de la cacher en s’insurgeant contre la folie qui pousse à faire du vélo dans un lapiaz.

Pour ma part, je n’ai pas prévu d’y aller en vélo, mais je note de me renseigner sur la définition d’un lapiaz et sur les implications pour le randonneur.

Je suis tiré de ma rêverie par un autre randonneur qui a remarqué mon sac à dos. Il semble avoir regardé toutes les vidéos de Jason et s'intéresse au matériel léger en général même si lui même voyage lourd. Sa jovialité est communicative et il a une sacré tchatche. Parti seul d’Hendaye, il s’est rapidement “associé” à un couple de HRPiste et le trio semble fonctionner comme un groupe de copains d’enfance.

Après cette petite parenthèse de sociabilité, je repars seul vers le col Peyreget à 2320m.

Vu de si près, Jean-Pierre n’a plus la même tête. A gauche le petit pic du midi d’Ossau à 2807m, au centre le vrai à 2884m.
Sa paroi Est complètement dans l’ombre est impressionnante de verticalité. Je repense à mes deux punks avec leur chien.

On dirait bien que j’ai atteint l’objectif fixé il y a deux jours pour cette section de HRP contrariée depuis le premier jour par le réveil de ma blessure au genou.
J’ai encore quelques doutes. La petite voix qui m’incite à continuer refuse de se taire: “Regarde, presque 1000m de dénivelé depuis la route-frontière traversée 3h20 plus tôt, avec 2 longues pauses et de multiples discussions en chemin. Tu peux encore marcher sans traîner la patte.”

Je jette un long regard en arrière sur le paysage traversé aujourd’hui.
La route est déjà sous les nuages. Le pic d’Arriel est dans l’ombre, ainsi que toute la ligne de crête jusqu’au pic Palas, franchie ce matin par le col d'Arrémoulit.
Le Balaïtous en arrière-plan paraît déjà si loin. Certes je suis encore capable d’avancer…

Devant moi vers l’Ouest, ça ressemble encore à un paysage de montagne, même si tout est vert. Ça donne envie de s’y promener.

Je profite du réseau au col pour donner quelques nouvelles à mon épouse et l’avertir qu’elle me verra peut-être rentrer à la maison sous peu. Ou pas.

La descente du col dans le pierrier me ramène assez vite à la réalité de ma situation.

Pour soulager mon genou droit je compense beaucoup avec le gauche mais du coup c'est lui qui commence à grincer.
Pas de douleur vive mais un picotement exactement au même endroit que le droit lorsque je force dessus.
Cette alerte achève de me convaincre. Il serait idiot de tirer sur la corde une semaine de plus.

Je me fais une raison en me disant qu’il n’est de toute façon pas réaliste d’espérer rejoindre l'océan en douceur dans les 7 jours qu’il me reste.
Le TransPyr’ prévoit encore 11 étapes et même si en temps normal j’aurai tablé sur 8 ou 9, ce n’est pas compatible avec le rythme imposé par mes genoux.
Dans le meilleur des cas, je terminerai la semaine à quelques jours de l’Océan, avec un goût d’inachevé et dans un secteur présentant trop peu d’attraits pour revenir terminer plus tard.
Non définitivement, je préfère m'arrêter ici, et garder un peu de montagne pour l’an prochain afin de clôturer cette traversée en beauté !

Mais avant de tirer ma révérence, il me reste un bivouac dont j’ai repéré l’emplacement sur la carte depuis 2 jours !

Je l’atteins à 18h15 : le lieu tient toutes ses promesses.
Pas question de rallonge aujourd’hui, je suis exactement là où je voulais être.
Grande plage en herbe au bord du lac de Peyreget, aux pieds de l'Ossau !

Il y a déjà un couple qui s'installe dans un coin, je vais les saluer.
Le contact passe bien, on discute un moment puis je vais à l'autre bout de la plage pour poser mes affaires et me baigner comme hier soir.
L'eau est presque trop chaude car le lac est peu profond. J'en profite pour nager un peu sans être gelé.
Le couple se baigne aussi mais on est assez loin pour respecter l'intimité de chacun.
Je me sèche puis j'installe mon bivouac.
Elise vient ensuite me proposer de dîner avec eux.
On partage le repas en échangeant chacun des petits bonus qui font plaisir (poivre et dates contre saucisson et chocolat).
Puis ils proposent un jeu de cartes que je ne connais pas. C'est un jeu collaboratif où l'on tient ses cartes à l'envers et où l'on donne aux autres des indices pour qu'ils devinent quelle carte jouer.
Nous passons une très bonne soirée, brisant quelque peu ma routine solitaire.

Le coucher de soleil s’étire bien plus tard que d’habitude.
Le sommet de l’Ossau change de teinte à chaque minute, bien décidé à être le dernier illuminé.

A presque 22h, sur la pointe des pieds, il laisse enfin glisser le dernier rayon.
Un très beau bivouac !

Parcours du jour: -> Trace téléchargeable sur VisuGPX

Quelques chiffres:

bernard_lyon · 14-04-2024 16:42:35

Excellent ! Très joliment raconté. Merci Bombadyl !

Le forum de la randonnée légère ou ultra-légère !

#26 09-09-2023 22:59:31

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#27 10-09-2023 08:27:15

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#28 10-09-2023 09:38:15

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